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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

14 May

Un Livre Que J'ai Lu (154) : Lettres luthériennes (Pier Paolo Pasolini)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #PASOLINI, #Un Livre Que J'ai Lu

 Pier Paolo Pasolini est un cinéaste italien qui réalisa 10 films entre 1961 et 1975. "L'Evangile selon saint Matthieu" qu'il réalisa en 1964 constitue la pierre angulaire de son œuvre. Entre 1963 et 1971 il réalisa 7 documentaires dont un sur le film que l'on vient d'évoquer. Il écrivit également une dizaine de roman et une bonne quinzaine de livres de poèmes. Sa mort mystérieuse dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, lâchement assassiné sur la plage d'Ostie près de Rome, ne fait qu'apporter de la sollicitude à une vie portée au tragique dont l'œuvre sulfureuse et tourmenté ne fait que confirmer cette phrase de la psychologue suisse Marie-Louise Van Franz (ici),

" Si l'on parvient à s'adapter au diable sans se faire dévorer par lui, il se produit de la conscience. "

 Pasolini est une sorte de Baudelaire italien qui a vu dans la modernité de son époque, ce même diable que ce même Baudelaire a qualifié de trismégiste et qui précisément est celui qui tient les fils qui nous remuent. Pier Paolo Pasolini éructe contre un monde ou plutôt contre une manière d’être qui fraie avec le clownesque. Peut-être qu’un certain Guy Debord, tout aussi réalisateur et surtout bien à l’aise avec le spectacle et contemporain de notre italien, aurait certainement aimé mettre en scène avec notre italien, une pièce d'un certain Céline, que l'on aurait probablement nommé « Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde!». A propos d’entreprise, à propos donc du Capital qui a fini par vaincre avec sa société de consommation tous les totalitarismes archaïques, Pasolini est sans concession, pour lui c‘est le dernier des désastres, le désastre de tous les désastres (p11). C’est un fascisme nouveau, dépouillé de sa forme conventionnelle et qui commande aux hommes d’être heureux en étant malin, c'est à dire vicieux (p73). Ces fils que cette société de consommation façonne, sont presque tous des monstres, surtout les plus jeunes nous dit Pasolini à la page 12. Leur manière d’être s’apparente au stade primitif de l’espèce, qui voit les hommes vénérer des statues de bois qu’ils prennent pour des dieux. Ils ont régressé, nous dit Pasolini à la page suivante, jusqu’à l’état brut du primitif. Asséchés et empoisonnés par le spectacle débilisé de la vie, ils sont pareils à des automates qu’un masque à face humaine vient humaniser. Mais si Pasolini pouvait voir ce que sont devenus aujourd’hui, les hommes et les femmes, jeunes et moins jeunes, chaussés de grolles caoutchoutées et fringués comme des peaux rouges partant à la guerre, ignorant qu'ainsi ils ridiculisent toute l’espèce humaine parce qu’ils sont les jouets grotesques de la mode - il aurait certainement réévalué voire rehaussé ceux-là même qu’il avait déprécié à son époque. Quoi qu’il en soit, ces jeunes gens qu’il harangue et qui forment cette jeunesse italienne qu’il côtoie, sont presque aphasiques, c’est-à-dire incompréhensibles et font sortir de leur bouche une foule obscène de mots que l’on croirait prononcés par les démons eux-mêmes. Mais ce n’est pas tout, nous dit Pasolini, ils gouaillent pour ne pas dire ricanent comme des hyènes autour d'une dépouille. Cette rhétorique de la laideur peut-être justifié pour moitié par l’héritage paternel qui en ayant mis au pouvoir les fascistes et les antifascistes a libéré un besoin frénétique de jouir (p15,p17).

 A propos de l’antifascisme, cette arme de la gauche qui désacralise tout ce qu’elle vise, il semble que cet antifascisme soit revêtue d’une autorité supérieure qui lui donne la légitimité de préjuger de tout, cela provient de cette pensée kantienne qui s'articule autour de l'a priori purgé de l'analyse expérimentale. Son verbe est la tolérance et il a fait de cette vertu une déesse de la guerre qui condamne à perpétuité quiconque le défie. Il est une forme raffinée de la condamnation nous dit Pasolini, à la page 29, et il se fait d’autant plus intolérant lorsqu’il jette dans l’infamie ceux qu’il désigne comme intolérants, les enfermant dans un isolement moral abject. Bien entendu cette tolérance intolérante est portée par ces épouvantables véhicules pédagogiques que sont la presse et la télévision (p41). En réalité le fascisme a adopté la posture de l’antifascisme pour revenir sur la scène politique (p149). Une phrase de Donald Trump résume bien la chose (ici),

« Il existe un nouveau fascisme d'extrême gauche qui exige une allégeance totale. Si vous ne parlez pas sa langue, ne pratiquez pas ses rites, ne récitez pas ses mantras et ne suivez pas ses commandements, alors vous serez censurés, bannis, persécutés et punis."

 Car cette fameuse tolérance qui aujourd'hui est sur les lèvres des hommes consensuels et des arbitres de la pensée, est, comme le rappelle Pasolini à la page 30, un mot d'une extrême ambiguïté puisqu'il insinue l'idée de l'obligation tout en contenant l'idée de supporter c'est à dire endurer ce qui nous est étranger. L'étymologie du mot nous dévoile d'ailleurs cette charge puisque le mot emprunte au latin tolerantia le fait d'être endurant et patient. Ce qui induit un effort et non une empathie ou une affection. Autrement dit être tolérant c'est contenir en soi des différences peu supportables et de les y maintenir pour ne pas avoir à froisser l'autre, c'est pourquoi elles ressurgissent aussitôt que la trahison vient à s'exprimer. La tolérance ne fait qu'étouffer temporairement des incompatibilités, elle est en quelque sorte la forme courtoise de la haine. Etre tolérant c'est donc être bon au sens laïque, au sens chrétien c'est être indulgent, à savoir être enclin à pardonner les fautes d'autrui. En réalité la tolérance n'est pas un sentiment d'absolution, c'est un sentiment de contenance qui maintient la détestation, celle-ci ne disparait pas, elle est simplement contenu. Ainsi se dire tolérant c'est accepter l'autre tout en conservant son intolérance au plus profond de soi. Il va sans dire que ce terme laïque est employé pour maintenir une distance invisible entre l'autre et soi, en réalité être tolérant c'est dire, j'accepte tes différences mais je ne tiens pas à les vivre, je t'accueille mais tu vis loin de moi - et le terme prend véritablement son sens quand on dit à la personne, je te tolère. Ce qui infère, de la part de celui qui le dit, un sentiment d'orgueil et de supériorité auquel s'ajoute une dose de mépris qui vient confirmer que la tolérance fait conserver dans le cœur une certaine inimitié.

 Quelques pages plus loin, Pasolini parle de cette qualité mystérieuse des objets produits par l'artisanat et qui ne causait pas une régression violente comme le produit aujourd'hui l'industrie avec ses objets manufacturés qui malheureusement enfante à l'intérieur de l'être une sorte de malaise du fait de cette impersonnalité froide qu'inaugure la machine. Le temps industriel, nous dit Pasolini à la page 53, et ses machines ont changées la manière dont sont faites les choses. Jusqu’en 1950, ces choses étaient encore faites ou façonnées par les mains des hommes dont les phalanges après avoir été entrainées à travailler le bois, le tissu, la pierre et la terre, produisirent des merveilles et des chefs d’œuvres. Mais aujourd'hui la puissance d’accomplissement de l’industrie qui ne fait plus qu’élaborer de la stérilité formelle et impersonnelle a remplacé cette expérience d'être et surtout cette manière de faire. Comme le mode de production a changé, le rapport des hommes entre eux a changé, remplaçant les valeurs anciennes artisanales par des valeurs modernes technicistes. Et bien sur la maison traditionnelle a été remplacé par des immeubles populaires en vue de concentrer et d'abriter des millions de travailleurs voués à vendre leur énergie dans des usines mécanisées et bruyantes. Cette sorte de barbarie existentielle qui forme et soude le métal comme ces orques acharnés à forger leurs lames dans les profondeurs du Mordor, fait régresser l’individu à l’état de machine vivante destiné à être un bon mort-vivant. Pasolini ne peut échapper à ce constat du nouvel état d’être du vivant, là où Marx précédemment (ici), avait désigné l’aliénation comme la définition de cet état d’être. Tout le monde sait désormais, nous dit Pasolini, ne serait-ce qu’inconsciemment, que l’humanité est devenu triste et malheureuse (p70). Cet état d’être a rendu les nouvelles générations infiniment plus faibles, plus laides, plus pâles, plus agressives, plus déprimées et plus malades que celles qui les ont précédées. On peut ainsi comprendre pourquoi, dans cette Italie encore un peu catholique, des larmes coulent sur les statues de la Sainte Vierge. Un très court chapitre est accordé à ce phénomène miraculeux et Pasolini, certainement sensible à cette Mère qui a pris les traits de sa propre mère dans son Evangile selon saint Mattieu, en 1964, rappelle ce don qui fut accordé par le Ciel à cette pauvre Italie qui a vu des millions de ses âmes honorer celle qui fit tourner la clef du haut amour. Mais aujourd’hui, après deux mille ans de catholicisme, les italiens ne sont plus très catholiques (p138), surtout les partis démocrates-chrétiens qui ont été au pouvoir (p77). Il semble donc, nous dit Pasolini à la même page, que nous sommes devant un nouveau projet démoniaque qui mène les vieilles nations européennes à leur disparition.

 A propos de cette bonne vieille terre italienne infiltré en partie par les mafias, Pasolini consacre un chapitre sur la drogue qui fait des ravages parmi les jeunes (p105). La drogue est devenu la grande consolatrice des âmes, elle a remplacé la grâce et corrompu la manière d’être du peuple italien (p102). Pasolini maudit le fait que le haschisch a remplacé la lecture produisant ainsi une sorte de mutation anthropologique qui a ôté au peuple italien sa qualité historique (p104). Toutes les classes sociales sont entrainées dans ce processus. La consommation de drogue est l’apprentissage de la consommation de masse, c’est une nouvelle culture du comportement de l’être qui pousse l’individu à consommer perpétuellement. Ce phénomène extrémiste est le spectacle tragique et répugnant de la consommation aboutie, faisant du consommateur un drogué, c’est-à-dire un esclave de la marchandise. En ce sens la culture du haschisch qui a pour vocation de tranquilliser l'esprit et de dédramatiser la vie, a fait de l'italien une chose inerte qui a oublié la grandeur de sa culture et fait de la société de consommation la nouvelle culture. Pour cette raison Pasolini n'est pas du tout tendre à l'égard de ceux qui se droguent et qui ont substitués aux valeurs de leurs pères des valeurs de jouissance pure. 

 Mais ce n’est pas tout, si la drogue affaibli la qualité d’être de l’homme, la luxure est devenu le moteur énergétique de la société de consommation. En effet, l’homme fort est chaste, nous dit Pasolini, et la société de consommation a besoin d’hommes faibles, qui cèdent facilement aux tentations proposées par la publicité (p121). L’homme est donc contraint de satisfaire la femme, et n'oscille plus qu’entre le fait de se faire plaisir et de faire plaisir. A ce jeu, l’homme et la femme ont fait de leur corps une marchandise de jouissance pure. Dans ce nouveau mode de production (p169), tout y passe, l’urbanisme, l’architecture, l’écologie et l’éducation (p172). Tout se mélange, tout se coït, tout se mêle, le beau et le laid, la vérité et le mensonge, le bien et le mal, l’authentique et le factice, la dignité et la lâcheté, la courtoisie et la bestialité. Cette hybridation des contraires a fait sombrer l'Italie dans l'état le plus désastreux possible (p169). Pasolini étend ce constat à la France. Cette nouvelle culture démocratique relayée par le parti de la démocratie chrétienne est une culture vulgaire qui dégrade le passé et entraine le présent dans un vaste processus d'annulation et de destruction du sens. Cette culture génocidaire où la télévision est l'auto-école de la frime et de la triche poussant les masses de jeunes dans une amélioration illusoire du niveau de vie (p210), est une nouvelle forme d'éducation morale qui fait des élèves non plus des élèves mais des spectateurs. 

 Le pire, peut-être, est l'absence totale de compréhension de ces phénomènes, nous dit Pasolini à la page 132. La foule dit-il, quelques pages plus tôt, ne perçoit pas cette révolution anthropologique parce qu'elle est composé de gens bien expérimentés dans l'art d'ignorer. Cette foule des années 70 n'est pas satisfaite tant qu'elle ne sait pas tout à fait déguisée ou enlaidie, elle fait tout ce qu'elle peut pour devenir vulgaire. Voyez comme les chevaux des grands haras, dressés dans l'absolu maintient de la position la plus digne, satisfont l'œil qui voit là se manifester l'élégance de l'esprit et de la chair. N'est-ce pas là un exemple admirable qui devrait faire quitter les hommes de leur contenance clownesque pour acquérir la maîtrise de soi ? Car quand bien même le cheval ne serait pas dressé dans le but que l'on vient d'évoquer, il conserve cette élégance naturelle qui enchante tout œil. L'italien quant à lui, s'est, selon les dires de Pasolini, dégradé anthropologiquement. Désormais, et cela ne touche pas seulement les italiens, les occidentaux sont également dans une large majorité affectés par cette dégradation anthropologique, qui tord leur corps en autant de mouvements dysharmoniques qui ôtent à la colonne vertébrale sa fonction verticale, laquelle est devenue une voûte de courbatures dont le mouvement sert à plaquer au sol le visage comme dans cette sculpture de Dante aux enfers (ici) qui montre ce dernier repousser de son pieds droit la tête d'un damné qui n'a plus d'autre vocation qu'à manger de la poussière. Cette statue de Jean-Paul Aubé qui illustre un passage du chant XXXII du fameux enfer du grand poète florentin, nous sert de pont concluatif afin de rendre hommage à notre auteur italien qui mourut atrocement sur une plage près de Rome. 

 Pasolini a donc oscillé entre l'invocation vers Dieu, que Baudelaire a précisément vécu dans "Mon cœur mis à nu", et la joie de descendre vers Satan. Cette joie qui met en mouvement la modernité a bien ruiné la beauté et la dignité en abjurant définitivement tout amour spirituel. Ce monde moderne a les moyens de faire aimer le mal qui ne peut par lui-même se faire aimer pour lui-même tant il est affreusement ténèbres. En cela, ce mal prolonge son règne en empruntant à la vertu sa face innocente afin de diaboliser le bien qui n'a pas le vice du mensonge pour se défendre. La modernité a très progressivement inversé les polarités négative et positive, faisant du mal un nouveau bien et du bien un nouveau mal. Ce glissement n'a pu s'opérer qu'en faisant céder au bien, petit à petit, par très faibles graduations, ses prérogatives. Ainsi on a vu l'Eglise catholique, dans son grand ralliement au monde, avec Vatican II, céder certaines de ses propriétés les plus intimes, de sorte qu'en se dépouillant progressivement elle a finit par ne plus être elle-même, elle est ce que l'autre a voulu qu'elle soit, c'est à dire le monde lui-même. En ce sens, nous explique précisément Patrick Buisson dans son interview à Valeurs Actuelles (ici), à propos de son dernier ouvrage,"La fin d'un monde" - le concile Vatican II a marqué la fin du catholicisme "rituel et festif" dans nos sociétés occidentales, ajoutant que ce recul du sacré dans le quotidien n'irrigue plus ni le corps social ni le champs mental des individus. L'Eglise en faisant le choix d'abaisser la verticalité du sacré pour se mettre au niveau des besoins horizontaux, s'est banalisée et s'est rendu au monde pour devenir une simple croyance. En modifiant les règles d'hier, pour se mettre au goût du jour, l'Eglise donne l'apparence, ajoute Patrick Buisson, en reprenant les mots du général de Gaulle rapportés par Peyrefitte, à la mort du pape Jean XXIII - de se renier et d'avoir honte d'elle-même. Comment voulez-vous que les autres croient en vous si vous n'y croyez pas vous-même?

 Pasolini a donc bien vécu ce grand reniement de l'Eglise catholique (p152) que Patrick Buisson montre du doigt pour expliquer les causes de notre décadence. Bien que Pasolini fut un grand pourfendeur du cléricalisme italien, il condamne comme Patrick Buisson la bourgeoisie cléricale qui a rationalisé le catholicisme qui a fait basculer des millions de catholiques dans la société de consommation, les réduisant à vivre dans un bien-être hideux et à devenir des marionnettes remuées par des mains expertes dans l'art de la vilenie (p156). Quoi qu'il en soit, cet ouvrage qui pour Pasolini est un petit traité pédagogique, reprend tout le codage marxiste avec une sensibilité que l'on sent affectée et blessée par une société de consommation qui a engloutie un peuple qui jadis a fait sortir de ses rangs des maitres et des génies qui ont fait de l'Italie une admirable nation et que l'on sait immensément grande à travers une paternité incarnée par deux enfants allaitant une louve. 

Antoine Carlier Montanari

 

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