Marc Chagall
Son blanc me plait, le blanc de Chagall, d’ailleurs un peu comme celui d’Utrillo. Son blanc prend tout, éclaire chacune des toiles, sur la mariée, sur la colombe, sur la neige, sur la lune et encore sur les visages et les anges. Je sens, comment dire, une odeur de soufre et de feu, cette singularité blanchâtre m’amène à cela, je voudrais pouvoir vous faire part justement de toute cette charge, si bien exprimée par Giono sur les branches de son arbre. C’est cela, l’impression profonde, le temps de participer au monde qui brûle et qui hurle, là au coin du bleu et du rouge, du jaune et du vert et qui ne tarde pas à se scinder comme la nuit et le jour. Des enjambements, parade l’humanité, qui s’étire entre joie et gémissement et par moment fornique comme une bête sous la lune. En même temps, lézarde la paix, ni gênée, ni honteuse, le visage calme regarde passer la vie puis la mort. En effet, Dieu est au rendez-vous, là-haut, sur son arbre, près du soleil, il succombe. Révélatrice l’humeur de Chagall, il n’est pas indifférent au plan divin, l’étendue solitaire de l’homme, de l’homme sur la croix, incroyablement patiente. Il faut avoir passé par là pour voir le poète, ses visions, ses images secrètes et ses prodigieuses couleurs. Flamme, cheval, chèvre, coq, colombe, maison, visage, fleur, Christ, lune, violon et mariée, une multitude, telle est cette polyrythmie vagabonde qui semble déborder simultanément sur tous les côtés de la toile. Un homme qui a de la religion, Chagall, oui je parle de Chagall, qui mène son Dieu, d’ailleurs comme celui de Gauguin en jaune. Ah ! Tout ce qui peut se montrer ici, devant nos yeux, derrière les dos et les cheveux, se montre et l’on parait ressentir un plaisir salutaire, là encore une beauté paysanne, vous savez comme la laitière dans sa cuisine. C’est cela la peinture de Chagall, vigoureuse et pleine de santé, folle et fraiche, qui bouge sans cesse, plus vite que la mescaline, pour redonner, en quelque sorte, le sens du réel. L’esprit une fois imprégnée par tant de mouvements, dépasse le sien, de toute part, ne se limite plus, va en tous sens, se bouscule, chancelle, virevolte et commence à dépasser toute obstruction ou limitation. L’incroyable imaginaire de l’enfant, ici et là comme sur ces toiles, l’homme qui vole, la tête à l’envers, à la hauteur qu’il faut pour dominer la terre et ses labeurs, lumière partout, des prophètes et de leur or, dans quelque chose comme cela, j’aurais été fou de ne pas avoir vu le soleil danser !
Antoine Carlier Montanari (commentaire suite à l'exposition de Marc Chagall au palais du Luxembourg)