Le Dessous Des Toiles: Spiderman 2
Un film peut, s’il est bien bâtit et bien pensé, offrir au spectateur une foule de visions, ou du moins incrémenter à sa réflexion des références toutes aussi louables que celles fournies par les autres catégories artistiques. C’est toujours par la sémiotique, l’analyse des signes, que l’on pourra concevoir la trame cachée de la toile. Par cette perspective, on assure à son analyse une correcte progression et surtout une conclusion stable et vérifiable. L’idée de décortiquer une scène ou un ensemble de scènes ainsi est facilement surmontable à la condition que la connaissance du spectateur soit nourri en abondance de philosophie, de littérature, d’histoire et de toutes ces connaissances sérieuses qui prennent leur point d’appui dans les sciences et les arts, d’ailleurs toutes rassemblées dans ces institutions solides et centenaires qui trônent en palais au milieu des grandes cités. On peut ainsi assurément comprendre le caractère d’un film, sa personnalité et ses influences. Pénétrons donc dans la scène finale du deuxième opus de Spiderman, pour montrer comment s’y prendre. Disons-nous bien que le film est un déguisement pour un bon réalisateur, qui ne représente qu’un vêtement d’emprunt, un maquillage. Ce qui constitue le point d’émergence de la construction mentale, savoir reconnaitre le maquillage en tant que tel. Comprendre l’imitation ou l’allégorie fait voir clairement où le réalisateur nous emmène, conséquence idoine d’une œuvre réussie, l’extrême rigueur avec laquelle il l’aura construite montrera définitivement la grandeur de celle-ci. Pour cela c’est au nombre de références, de signes, de symboles qu’on pourra juger de la qualité de l’échafaudage et plus encore si ceux-ci sont tout aussi ajustés dans un ordre bien précis. C’est là un procédé courant en art, son usage est extrêmement gratifiant pour son auteur, d’autant plus lorsqu’il est soumis à la plupart et que celle-ci en comprend toute la teneur. Ici donc, pour situer la scène, le héros, l’homme araignée, épris de la belle Mary Jane devenue la prisonnière du docteur Octopus, vient la délivrer. Il faut d’abord se rendre bien compte du triptyque qui s’impose à nous (les trois protagonistes) et des circonstances de sa formation, à savoir l’amour et la lutte du bien contre le mal. Cette situation puisque commune à bon nombre d’histoires, peut alors être comparée. Ne soyons donc pas restrictif dans les choix et plongeons à notre connaissance de manière à trouver quelle est la plus appropriée. Avant tout présentons plus amplement la scène, ici Mary Jane est ligotée à une poutre métallique qui elle-même supporte un édifice situé en bordure du fleuve, où le docteur Octopus aidé de ses quatre tentacules de fer érige une machine pouvant stabiliser l’antimatière. A ce stade, lorsque l’expérience commence, Spiderman, alias Peter Parker, arrive. Il sauve bien entendu sa bien-aimée et déjoue le plan de son adversaire, celui-ci finit par sombrer dans l’eau avec sa création. Le triptyque en place, la scène chevaleresque, la lutte du bien contre le mal, même si ici le docteur Octopus trouve la rédemption par le sacrifice, il incarne tout de même le mal durant tout l’affrontement. A parti de cela, décortiquons les personnages, le lieu et les signes associatifs nécessaires pour former notre comparaison. Mary Jane nous permettra, si l’on prend soin de la regarder attentivement, on se rendra compte très vite de l’image véhiculée, la femme enchainée à savoir Andromède. La composition du réalisateur peut-être ici comparée à celles de Rubens et de Véronèse si on s’attarde bien sûr sur les éléments communs à leur ressemblance comme la couleur de la peau et des cheveux, la chaine qui la maintient prisonnière, ainsi que de sa tenue légère. La disposition du corps est particulièrement proche de celle de Rubens et s’il est besoin de chercher celle qui possède une morphologie similaire on pourra désigner la composition de Joachim Wtewael (Persée secourant Andromède, 1611), ou celle d’Emile Jean-Baptiste Philippe (Persée délivrant Andromède, 1865) peut-être la plus ressemblante, les carmins de la peau, la chevelure en cascade et la silhouette fine sont suffisamment démonstratifs, quoique celle d’Henri-Pierre Picou de 1874 est à mentionner également. Je ne tairai pas non plus la sculpture de Jules Franceschi à Saint Gratien, elle servira de modèle solide, en effet il faut croire que la sculpture est en mesure de rendre compte vite des bonnes proportions. Rappelons-nous simplement combien il est important de toujours chercher qui le mythe inspire, remonter ainsi aux sources permet de découvrir les nombreuses représentations pour nous interroger sur son importance et sa longévité. Chaque œuvre apportera par son interprétation, une multitude de renseignements, qui permettront par l’analyse de déterminer l’influence du mythe sur l’époque. Pour la plupart, une telle démarche n’est pas de mise, semblable construction de l’esprit, fusse simple, n’est jamais entreprise, on peut alors les désigner comme des esprits vulgaires. Car décortiquer le monde c’est déjà comprendre les coulisses d’un spectacle. On pourra revenir sur la fonction du mythe pour expliquer le logos, cher à Nietzche, qui permet avant tout de se jouer du monde comme l’a si bien démontré Shakespeare dans Hamlet, on en revient alors au théâtre et à la mise en scène, preuve que cet art est adroit pour la subtilité. Il nous reste donc à poursuive dans cette direction et rechercher les autres éléments constitutifs du mythe dans la scène qui nous intéresse. Tournons-nous donc vers le héros, celui par qui vient la victoire et qui libère sa bien-aimée, ici indiscutablement représenté par l’homme araignée, et par Persée dans le mythe. On ne trouvera évidemment pas d’œuvre suffisamment forte pour appuyer le personnage de Peter Parker en araignée, à part peut-être une nouvelle fois celle de Jean-Baptiste Philippe, où la sculpturale anatomie de Persée peut sensiblement évoquer celle de sa projection. Il est vrai que dans cette représentation, le héros semble aisément virevolter entre les rochers et la bête, son casque ailé a remplacé Pégase, signe symbolique né de la libre expression de l’artiste. Il faudra également évoquer celle de Carle Vanloo de 1735, où manifestement Persée est ici représenté en train de voler, à ses jambes des petites ailes. On comprendra alors que les filaments de l’homme araignée sont tout autant l’image du cheval ailé. Sam Raimi use des manières de ses prédécesseurs, là, comme cela, vous pouvez suivre ce fil d’Ariane et remonter tranquillement jusqu’aux âges les plus lointains. Nous n’oublierons pas non plus la délicate sculpture de Joseph Chinard de 1791, qui dessine la belle musculature de Persée, peut-être la plus proche de celle de l’homme araignée. De cette manière les arts témoignent de leurs imbrications et de l’importance du passé sur le présent et le future. Le mythe prospère ainsi, au travers des âges par les moyens des hommes et de leurs différents langages, l’adage sur le passé est ici honorablement justifié. On peut désormais parler du troisième protagoniste en la personne du docteur Octopus. Cette incarnation du mal peut être identifiée au Kraken, cette bête affreuse qui peut engloutir le monde rappelle également les histoires de Saint Michel ou Saint George et le dragon. Nous pourrions bien évidemment se poser et développer mais cette démonstration en appellerai une autre et encore une autre au point que nous nous écarteront du sujet premier, cela a au moins le mérite de vous montrer comment l’esprit procède lorsqu’il possède en multitude de sages connaissances. Pour associer le mieux l’image du docteur Octopus avec le Kraken, il faudra se référer à l’œuvre d’Edward Burne Jones de 1884 où Persée est emmêlé dans le corps tentaculaire du monstre. Cette représentation sérieuse de la bête renvoie une fois de plus au serpent du paradis perdu, preuve ici que pour idéaliser le mal la référence chrétienne est encore de mise. Cet enlacement des influences permet d’élever l’analyse et d’approfondir la richesse de l’œuvre étudiée, on comprend mieux alors l’importance des signes, des symboles, des couleurs, des formes, des objets, qui incrustés consciemment ou inconsciemment, déposent au regard de l’esprit des strates de questions. Les mentalités les plus éclairées analysent ainsi les choses. Ainsi, il faudra se pencher sur d’autres éléments communs, ceux-là même qui pourront rendre l’ensemble plus cohérent. Si dans le mythe d’Andromède, celle-ci est rattachée à la terre par les rochers, Persée à l’air par Pégase et le Kraken à l’eau par la mer, dans notre scène chacun des protagonistes est associé au même élément. Cette constatation complète la comparaison, d’autant plus qu’elle matérialise les forces naturelles en jeu. De ce point de vue on pourra expliquer chacune des associations, entrainant entre elles les rapports liés à leur nature, à leur comportement, de la même manière qu’on expliquera l’influence de la lune sur les marées. Pour ne pas être incompréhensible, de mon point de vue, la terre représente la création, la femme (Mary Jane/Andromède), celle qui donne la vie, tandis que l’air suggère l’esprit, celui par qui vient la lumière, la libération, le héros (l’homme araignée/ Persée) puis l’eau exprime le déluge, par elle vient la fin d’un cycle, le méchant ( Docteur Octoppus/ le Kraken). On peut ainsi voir au travers de ces calques, la bonne organisation des symboles. Telle relation assure à l’œuvre une certaine consistance, la relayant ainsi à la mythologie permet de développer des thèmes fort bien ancrées dans la culture. Ce mécanisme révèle assurément un ensemble d’engrenages qui peut s’avérer complexe, que le bon serrurier pourra découvrir avec bonheur, qui subjugué matérialisera à son tour pour en faire profiter un autre.
Antoine Carlier Montanari