Le Dessous Des Toiles: Gatsby Le Magnifique (Baz Luhrmann)
Tout semble visible ici, lié au majestueux, à l’excès, à l’énorme, l’impression de l’exagération, avec une force qui surprend. Grand instant de l’image, de la représentation du monde, on sent abusivement les couleurs et la lumière prendre le dessus. Aussi, on sent alors le plaisir surgir, à la vue du ciel et des étoiles, de la lune et de l’eau, des hommes et de leurs demeures, combinés comme autant d’effets scintillants que l’on retrouve sur le pourtour d’une couronne. Aussi, ce n’est pas sans peine que je tente de m’orienter, de nommer les faux dieux et de donner un avis juste sur les héros. Dans ces choses du paraître et des mondanités, il y a des marques qui avertissent et qui instruisent de cette volonté démesurée des hommes, de cet orgueil qui a l’air noble et qui infiltre les autres du désir de s’élever toujours plus haut. C’est là, c’est juste là que tout est dit, là que le film prend toute sa richesse. C’est fort dans mon esprit, ça se collisionne si précisément, juste là, derrière mes oreilles comme une masse sonore en pleine jeunesse. Gatsby, c’est ce type d’hommes, indispensable, malade, à qui l’on voudrait retirer toute blessure. C’est lui, redressé par un Di Caprio galvanisé, c’est là un vrai plaisir je puis dire. Sa tête, son profil, son allure ont bien imité, sous cette forme il rend ardent le personnage, passant en plein centre, intense, vigoureusement planté, sans doute trop parfaitement pour ne pas y voir une véritable intronisation. Il a su dégager une puissante correspondance avec le spectateur, un peu, beaucoup même, comme ce poisson lanterne des abysses qui use de sa lumière pour capter sa proie. C’est là l’extrême rigueur de l’expression, un envoutement qui nous ait signalé en tout début de film par cette hypnotique lueur verte et qui entraine dans son sillage les âmes insuffisantes tel que Nick Carraway, tel que Marlow. L’homme à demi tourné vers la foule, sur le balcon, debout, bien droit, saisit le froid et le chaud sans se soucier de ces bandes de malheureux, qui reviendront de toute manière chaque soir, tel est Gatsby, tel est Kurtz. L’interprétation, la confrontation, énonce ici l’enthousiasme de deux hommes. Se rapprocher ainsi de l’œuvre de Joseph Conrad c’est évoquer ce qui anime profondément le cœur, prendre le monde en son noyau, halluciné avec lui, entièrement, corps et âmes réuni au point d’aller rejoindre cette formidable centrifugeuse cosmique qu’est le soleil. Admirablement synergique, qui inspire et expire comme un cœur nourricier, infligeant à l’âme bien des combustions extrêmes. Ce n’est pas une idée ordinaire, Carraway et Marlow en ont bien pris la mesure, ils ont humé, narines grandes ouvertes, à plein poumon, prendre l’air de ces grands capitaines. J’ai donc vu l’homme, Gatsby, Kurtz, ravagés comme des falaises, faisant de leur race une race semblable à des éclairs, des éclairs qui poussent subitement du bas vers le haut en fracassant tout comme de la dynamite. Quelle rencontre pour cet autre homme, Carraway, Marlow, tout éclate entre leurs mains, c’est feu d’artifice pour eux, ils viennent d’être criblés par des flammes humaines. Gatsby le magnifique*, c’est pourquoi j’affirme que Kurtz était un homme remarquable*, c’est ainsi que nous avançons, barque à contre-courant, sans cesse ramener vers le passé*, parce que nous voyagions dans la nuit des premiers âges, de ces âges qui ont disparu en ne laissant presque pas de traces et aucun souvenir*. Le drame continue toujours, le récit de ces malheurs, il est vrai, ne peut être demandé à tous. Aussi bien sur scène que dans un livre, c’est toujours avec une brillante manière que l’on peut exposer de tels récits de vie. Ce qui est génial avec eux, avec Francis Scott Fitzgerald et avec Joseph Conrad, c’est qu’ils ont refusé à Carraway et à Marlow de s’abandonner, de se livrer totalement comme Gatsby et Kurtz. Vraiment, ils n’en tirent aucun bénéfice, au contraire presque, hésitant, reculant, ils constatent qu’ils n’ont rien à offrir, rien qui les mènera à de grandes vérités. Sachez-le, c’est de cette manière que Fitzgerald et Conrad refusent au lecteur les bienfaits de la catharsis, d’une histoire aboutissant à une lumineuse révélation.
Antoine Carlier Montanari
*extraits des livres de Francis Scott Fitzgerald et Joseph Conrad, respectivement "Gatsby le magnifiquet" et "Le coeur des ténèbres"