L'architecture Du Diable (5)
Une gravure, une gravure de Lucas de Leyde, on recule, on approche, la garder en soi, c’est cela une belle image. Bien sûr, il ne faut point s’en priver, s’arranger avec elle, s’enthousiasmer, s’inspirer, imiter parfois, toujours la regarder dans les yeux, c’est une récompense pour le cœur ! Etre exposé à de telles représentations, à plus de beauté, de talent, c’est un bénéfice immense ! L’exactitude représentation de la nature, les règles de la proportion, la finesse du trait, l’ombrage, la mise en lumière, tout semble vraisemblable, seulement avec du noir et du blanc. Certes c’est une méthode académique, pourtant ce système nous fait croire, nous propose même une visibilité nouvelle. L’imitation est parfois troublante, on est même ébahit devant tant de ressemblance, on félicite l’artiste et sa technique, procéder de la sorte, c’est user de la rigueur, de la volonté, de la patiente, c’est une ascèse que peu d’hommes peuvent développer. Les modernes ont tout fait périr, au lieu de cela leurs images trainent du pied, fragmentées, amputées, bizarres le plus souvent, iniques aussi, surtout pour le religieux. Malheureusement l’on ne peut que constater la faiblesse de ces âmes, substance refroidie, un véritable état d’esprit. La cause de cette impuissance est solidement ancrée, elle s’accroche, il n’y a même plus de trace de l’antiquité et ni de la renaissance. Cette société moderne s’est affranchie du passé, amnésique, fortement, il n’y encore que les vieilles institutions qui gardent jalousement leur histoire. Les autres, les nouvelles, s’éloignent si fortement des premières, que leur principe et leur autorité domine outrageusement la société. Elles sont reines, leur rapport intime avec les médias leur facilite l’intrusion dans les mentalités, puis elles tentent de régler la manière de penser dans les diverses activités humaines. Et comme elles sont subversives avec les idées de l’ancien monde, elles vont préconiser un ordre nouveau, une nouvelle religion, une nouvelle politique, une nouvelle culture. Ces affreux personnages qui les dirigent, usent des mêmes actes que les vulgaires, n‘ont jamais tenté de joindre à leur manière l’efficacité de la courtoisie, du même savoir-faire que Lucas de Leyde. Mahomet, entre leurs mains, celles de Charlie Hebdo, voilà ce qu’ils en ont fait, un linge de corps étalé sur une corde, devant et de manière à ce qu’il soit repérable par tous, surtout par les obscènes. Il y aurait là, paraît-il, selon ce qu’est la caricature, un art bien français propre à bousculer par sa nature l’oligarchie et ces messieurs de haut rangs sous un air que le plus ridicule animal n’en voudrait pas pour compagnon. Jalousement usé de manière à faire rire le peuple, aujourd’hui, entre leurs mains, ils ne font plus rire que les imbéciles. Mais n’y aurait-il pas là aussi un acte imbécile que d’empêcher une telle expression de surgir de cette manière, même dépourvu de ses attributs les plus nobles? Après tout la liberté est une semence rare pour ne point la laisser se dessécher et s’il convient à la communauté de l’accepter, sa liberté n’est pas non plus exempté d’user des attributs de la sagesse et de la prudence afin qu’en retour on ne puisse éviter un acte qui nuirait à celle-ci. Donc si nous voulons jouir tous ensemble des richesses de chacun, tout en reprochant à l’autre ses égarements, nous devrions à la manière de Lucas de Leyde, instruire le regard et l’intelligence. L’assassinat du moine Sergius lorsque Mahomet dort ne peut laisser sans réaction, raconter de la sorte la manipulation du prophète peut provoquer et scandaliser, mais jamais s’affaire la dérision ou la moquerie. C’est une grande finesse de l’art que ce style qui propose à l’esprit de passer à un état autre qu’il a habituellement, et de pourvoir à la conscience une raison de comprendre sagement l’argument adverse. C’est là, je crois, le bon moyen pour parvenir convenablement à ouvrir la conscience d’autrui sans atteindre ce qu’il tient pour sacré, c’est-à-dire en usant d’une méthode sage et adroite. Une multitude d’œuvres, construites ainsi, dans les cartons des petits et des grands palais, des vieilles institutions demeurent encore cachées, et qui aujourd’hui, au lieu et à la place de cette fournaise d’images médiocres, pourraient, en rangs bien ordonnés, édifier toute la beauté humaine. Le cœur ravi, parlerait en langue courtoise et savante des voyages d’Ulysse, de Virgile et de Dante, de Don Quichotte et de Sancho Panca ou encore des faits d’armes de Léonidas, d’Achille et d’Hector. Et c’est là, après tant de découverte, que l’esprit s’illustre et devient part entière de la vérité.
Antoine Carlier Montanari (commentaire suite à l'esposition de Lucas de Leyde au Petit Palais)