L'architecture Du Diable (4)
Ce film « l’ombre d’un doute », dévoile toute la nature d’un crime, toute la violence d’une âme ! C’est ici, inspiré d’une pensée de Conrad et de Ford, vous voyez le cœur s’enflammer et énoncer un châtiment, vivre libre, heureux, débarrassé de cette caste mondaine dont on accuse bien souvent être la source de tous nos problèmes. Les hommes souffrent, ne supportent plus la compagnie des riches et des puissants, la plupart, d’après Machiavel, ne cherchent pas à se venger, ils supportent patiemment ce mal, mais un petit nombre tombe dans le désespoir et finissent par devenir des criminels. Comme la justice ne semble pas s’appliquer, parce que l’assemblée des magistrats n’a pas à la manière d’un tribunal divin, écartée les bons des mauvais, ce petit groupe d’hommes se fait bourreau. Charlie Oakley est de ceux-là, amère, trop d’ailleurs pour ranimer l’espérance, la patience aussi, Marnie aussi était dans cet état-là. Hitchcock met en scène le désespoir, l’homme désespéré plein de ressentiment, causant ainsi de nouveaux troubles dans le cœur des autres ; la multitude se voit encore soumise à de nouvelles injustices. Là, Charlie Oakley dit très calmement : « à leur mort bien sûr, l’argent va à leur femme, à leur veuve en larme et que font ces veuves alors de cet argent durement gagné. On les retrouve dans les salons des meilleurs hôtels entre poses inutiles, mangeant leur fortune, la dévorant, occupées à des parties de bridge allant tard dans la nuit et puant le fric. Fiers de montrer leurs bijoux à défaut d’autre chose. Horribles, fardées, fanées, grasses et cupides. » C’est à cette inégalité que Charlie Oakley accorde toute son attention. Sa seule pensée fut de s’accaparer, par tous les moyens possibles, la richesse de ces veuves. Son ardeur à causer leur ruine le transforme et le soumet à une funeste condition, celle de la vengeance. Sa nièce Charlotte lui rétorque alors: » on ne va pas les tuer pour autant, ce sont des êtres humains ! » Il répond : » Crois-tu ? Crois-tu qu’elles soient encore humaines ? Ne sont-elles pas devenues des espèces de larves impotentes ? Et que fait-on d’un animal qui est devenu trop vieux et impotent ? Je suis convaincu qu’à la vision de cette scène beaucoup de spectateurs approuvent Charlie, mais le malheur est que le constat n’invite pas la justice des hommes à y mettre un terme. C’est très rageant mais en même temps Charlie incarne une sorte de justice invisible. Bien sûr, ce n’est pas moral, loin de là, c’est la catharsis qui opère et qui nous projette vers la conséquence d’un tel crime. Il faudrait citer un autre exemple, qui à mon avis, saura souligner d’avantage cette grande iniquité. Bien entendu il y a une foule d’autres exemples, je m’attacherai donc sur celui que j’ai évoqué en tout début. C’est là une sentence, une sentence solennelle, une redoutable péroraison qui conduit à se demander comment la richesse nous entraine à de funestes pensées « Vous vous demanderez comment je puis être capable de cette cruauté ultime – la chose la plus cruelle, peut-être, qu’un homme ait jamais fait subir à un autre. Je vais vous dire pourquoi : c’est parce que je déteste tous les Edouard Fardeau de ce monde – parce que, étant en ce monde des éternels nantis, ils ont imposé leurs propres règles du jeu. Et vous et moi, nous les subissons ; vous et moi, les éternels démunis. » Voici donc ce que dit le narrateur dans « La nature d’un crime ». La richesse offense, d’une part elle procure l’envie, la jalousie et d’autre part elle est cause bien des inégalités dans le monde. Faire éclater cette bourgeoisie, cette aristocratie, cette monarchie, voilà le moyen qui permettra de retrouver l’égalité et qui pour notre plus grand malheur s’est concrétisé dans l’espérance communiste et celle des lumières. Tout s’est enflammé, là s’est concrétisé toute la vengeance humaine, Satan bienheureux avec les riches, s’est bien gardé de vouloir leur perte, c’est celle des rois qu’il a montré du doigt, les peuples ont suivi. Car bien entendu, c’est le roi qui porte l’étendard du Christ, et si on peut encore en voir de nombreuses traces dans leurs palais et leurs demeures, il ne reste plus rien de ce rôle qui leur permettait d’empêcher des groupes puissants de le devenir d’avantage. Il faudra lire « L’heure du roi » de Boris Kazhanov, une redoutable synthèse de cette déchéance. De sorte qu’ensuite, la tyrannie s’est élevée subtilement au milieu des peuples et a transformé la monarchie en une oligarchie financière ou politique. Ce qu’écrivit Conrad en 1906, dans sa nouvelle « un anarchiste », juste avant cette grand révolution de 1917, ne fait que constater ce ressentiment éprouvés par les classes sociales les plus basses: « Le monde entier hors de ce café lui apparût comme un endroit lugubre et néfaste où une multitude de pauvres diables devaient travailler comme des esclaves à seule fin de permettre à quelques individus de rouler carrosse et de vivre de façon tapageuse dans des palais… Il n’y avait qu’un seul moyen de traiter la pourriture de cette société : démolir tout la sacrée boutique. Faire sauter tout ce spectacle d’iniquité. » On peut dire cependant que si le monde s’est rebellé, on peut dire tout autant que toutes ces révolutions n’ont pas empêché la multiplication outrageante des richesses individuelles et si notre religion exige que nous nous éloignons de cet état elle n’a pas non plus empêché qu’il croisse dans le monde. Les hommes livrés aux désirs du monde plutôt qu’à une imitation du Christ, s’affairent vigoureusement à placer leurs idoles au-dessus de tout. Satan, probablement Satan, son rôle a consister à supprimer Dieu de l’état, maintenant il règne des puissantes organisations athées ou laïcs. La haine envers ces classes aisées n’a pourtant point disparu et si Charlie Oakley en incarne la mesure, il ne pourra pas être évidemment considéré comme ces mêmes justiciers qui ont décapitées les têtes couronnées. Il mourra par la main innocente, celle de sa nièce Charlotte, mais cette main qui n’est autre que la nôtre n’a fait que rendre justice mais alors, dirais-je, qui rendra justice pour tous ceux qui là-haut causent le massacre de tant d’innocents par leurs lois.
Antoine Carlier Montanari