Un Livre Que J'ai Lu (208) : Comment Meurt La Littérature (George Orwell)
La liberté intellectuelle, nous dit George Orwell, subit des attaques provenant de deux directions. D'une part les apologistes du totalitarisme et d'autre part l'administration ou la bureaucratie qui est le relais doctrinaire de l'état. C'est ce mouvement général qui s'oppose de manière sournoise à l'intégrité de la pensée. Tout à notre époque, écrit George Orwell, c'est à dire dans les années 40 du XX è siècle, conspire pour transformer l'écrivain, le penseur et l'intellectuel en un fonctionnaire subalterne voué à retranscrire la vision du pouvoir. Il faut en faire un scribe bien obéissant ou du moins un scribe qui n'ose pas écrire ce qui lui semble être la vérité. Les rebelles à l'ordre établi sont invités à adopter la doctrine en vigueur sous peine d'être marginalisés. L'écrivain, le penseur et l'artiste ne doivent pas acquérir une indépendance d'esprit. Ils sont, par l'attrait que procure l'argent sur le caractère, assaillis par des propositions financières qui ont pour principal objectif de les maintenir dans un confort matériel afin de faire taire en eux tout esprit de constradiction.
Cette obstruction à la liberté intellectuelle oppose toujours la discipline pour le bien collectif à l'indépendance d'esprit. En ce sens la vérité est reléguée derrière le parti-pris et le vrai débat n'a pas lieu, ainsi les questions pertinentes sont éludées. Le collectif est devenu une fin en soi, il est un prétexte pour dominer l'être pensant. Le parti pris pousse n'importe quel penseur, journaliste ou intellectuel à falsifier quelque peu les faits. On glisse doucement vers le mensonge organisé, George Orwell parle de désinformation. Simone Weil a développé le sujet dans cet excellent petit ouvrage (ici). Le parti pris, écrit-elle, est totalitaire en germe et en aspiration. Ajoutant que les partis et surtout les partis politiques sont mauvais dans leur principe parce qu'ils installent le mensonge au centre même de l'âme. Pour ces partis, l'idéal collectif supplante la vérité. Du moins la vérité et le mensonge sont soumis au pour ou au contre. Tout est une question de point de vue, le mensonge peut devenir la vérité et la vérité le mensonge. Prendre position passe avant la réflexion.
En Angleterre, nous dit George Orwell, ce sont les patrons de presse, les magnats du cinéma et les bureaucrates qui sont les ennemis immédiats de la vérité. Ils sont en capacité de noyer le peuple sous des flots de mensonges. A ce propos, la philosophe allemande naturalisée américaine, Hannah Arendt avait écrit ces phrases lumineuses (ici),
" Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. "
Ainsi, quand l'état a des tendances autoritaristes, il use de tabous pour paralyser l'esprit de la manière la plus totale. En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, le racisme est le tabou par excellence. Il empèche toute discussion sérieuse sur le sujet de l'immigration invasive. Le tabou est une frontière mentale, c'est un interdit qui neutralise la progression de la réflexion. La littérature ne peut survivre dans un état totalitaire, lequel ne peut supporter la pensée qui se dépasse et qui dépasse la condition humaine. Voyez comment l'islam à travers le coran a empêché la pensée arabe de poursuivre son cheminement dans la poésie et la littérature. l'islam est un totalitarisme religieux qui a réussi à neutraliser l'esprit pour l'enfermer dans une prose bourrée d'interdits. Et ces interdits doivent être acceptés sous peine de damnation. Ainsi la littérature en prose, nous dit George Orwell, a atteint ses plus hauts sommets dans des périodes de démocratie et de libre spéculation. Il est donc nécessaire que l'esprit reste indépendant vis à vis des croyances officielles. Sous les régimes du nazisme et du communisme, la littérature s'est complètement dégradée et a presque disparut. L'auteur révèle également que le catholicisme traditionnel a été un frein à la littérature et particulièrement aux romans. George Orwell place la culture libérale à partir de la Renaissance. L'art littéraire a alors commencé à s'épanouir et à croître en des proportions admirables.
C'est en 1946 qu'est publié pour la première fois ce petit ouvrage. L'auteur est réputé pour sa clairvoyance depuis son fameux roman "1984" publié en 1949 (ici) où il narre un avenir où règne le totalitarisme et la surveillance de masse. Dans l'ouvrage que nous venons de commenter, il nous conte déjà les dégats que vont causer la technique et l'industrie. Il écrit que les technologies télévisuelles amoindrissent le besoin de lecture. Romans et nouvelles, dit-il, seront probablement supplantés par les productions cinématographiques et radiophoniques. Cette lucidité lui fait même dire que des machines issues de l'ingéniosité humaine, pourront écrire des livres. Ce processus mécanique, dit-il, se retrouve dans les films des studios Disney où les artistes relèguent leur style individuel au second plan. En somme, c'est la standardisation et l'industrialisation de l'art. On produit de la littérature bon marché avec des intrigues toutes faites. C'est un totalitarisme industriel qui produit de la pensée écrite comme elle produit une automobile. L'état industrialise tout pour devenir totalitaire. Les esprits sont ainsi malaxés dans une culture de masse qui les débilise.
Antoine Carlier Montanari