Un Livre Que J'ai Lu (183) Le Horla (Guy de Maupassant)
C'est peut-être avec le mont Saint-Michel qu'il faut appréhender cette histoire. En effet, Maupassant s'est déjà attardé sur la chose en écrivant ce conte intitulé "La légende du Mont Saint-Michel", qualifiant ce colosse de pierre et de roche, de bijou monstrueux grand comme une montagne. Dans le horla, il le décrit, selon son profil, de fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. Ce mont étrange, dit-il, s'élevait sombre et pointu. Admirable demeure gothique construite pour Dieu sur la terre et semblable à un gigantesque bijou de granit, aussi léger qu'une dentelle où Chimères, diables et bêtes fantastiques, fixées aux murailles, semblent se lancer dans le ciel. Selon une légende conté par un moine, un bouc à figure d'homme et une chèvre à figure de femme, la nuit, dans les sables, bêlent de toutes leur force. Les gens du pays prennent cela pour des voix qui se parle.
Cette étape au mont Saint-Michel n'empèchera pas le narrateur de vivre un cauchemar avec un être invisible qui habite sous son toit et qui la nuit, le regarde, le palpe, monte sur son lit, s'agenouille sur sa poitrine et boit l'eau et le lait posés sur la table, à l'exception, étrangement, du vin, du pain et des fraises. Et cette chose, appelé le Horla, casse des verres, la nuit, dans les armoires. Le narrateur se demande s'il ne devient pas fou, dans l'allée des rosiers d'automne qui commencent à fleurir, il voit de ses propres yeux, la tige d'une de ces roses se plier, puis se casser, comme si une main invisible était à l'oeuvre. Puis, cette rose s'éleve et se déplace selon la trajectoire qui convient lorsque l'on porte une fleur à ses narines pour y sentir son parfum. Et cette rose rouge disparaît au moment où il veut la saisir, bien que la tige où elle fut ôtée, était fraîchement brisée. De même, quelques jours plus tard, ce sont des feuilles d'un livre qu'il voit se rabattre comme si des doigts les eurent tournées.
Cet être invisible, décrit par le narrateur comme une force occulte qui affaiblit en lui le pouvoir de mettre en mouvement sa volonté, est un être nouveau. Cet être nouveau possède mon âme et la gouverne, dit-il, il ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Et c'est en prenant conscience de ne plus être maître dans son propre corps, qu'il demande à Dieu, sans trop y croire, de le sauver. Ce vouloir étranger en lui, le hante. Cet autre esprit, pareil à une possession diabolique, s'est infiltré en lui pour le gouverner. Le narrateur se demande si cette autre esprit n'est pas un rôdeur d'une race surnaturelle. Ce rôdeur le tourmente si intensément qu'il s'en prend finalement à Dieu à travers sa créature, à savoir l'homme, en disant d'elle qu'elle est mal réglée, ingénieusement mal faite et si maladroitement conçue. C'est pourquoi il cite Voltaire, "Dieu a fait l'homme à son image, mais l'homme le lui a bien rendu.".
Cet être nouveau a donc eu raison du narrateur, celui-ci, hanté et possédé a mis le feu à sa demeure, sans penser à ses domestiques. Il a mis le feu pour tuer cet être nouveau qu'il a enfermé dans sa chambre, espérant en être débarrassé par les flammes. Ce feu, ce brasier horrible et magnifique et bûcher monstrueux - qui renvoie à ce mont Saint-Michel, qualifié de bijou monstrueux par Maupassant, vers lequel les âmes prient pour échapper à l'océan de flamme sur lequel trône l'antique serpent - devait piéger le corps d'esprit de cet être nouveau. Hélas, le Horla est cet impitoyable carnassier d'âme qui ne craint pas les flammes et encore moins ces autres moyens qui tuent aisément les hommes. C'est pourquoi, Guy de Maupassant, friand de cette mort volontaire, qu'il qualifiera, de sublime courage des vaincus, fait le choix d'en finir avec la vie, et c'est là l'oeuvre du diable. L'idée est tenace pour Maupassant. Et c'est peut-être là qu'il faut retrouver ces figures de pierre perchées sur le mont Saint-Michel qui, les gueules ouvertes, vomissent, bien malgré elles, l'eau tombée du ciel. Démons exilés et pétrifiés par les hommes sur cet échafaud minéral pour avoir voulu les damner. Satan, l'oeil vicieux et le souffle brûlant, avec sa cohorte de bêtes monstrueuses, erre au bord de cet édifice pour y voler les âmes. Pour lui, comme pour le Christ, le véritable temple n'est pas de pierre mais bien de chair.
Antoine Carlier Montanari