Un Livre Que J'ai Lu (165) : Au Pied Du Sapin, Contes De Noël (Pirandello, Andersen, Maupassant, Giono etc...)
Au moment où j'écris cette fiche de lecture, la neige a déposé sa blanche toison sur le paysage montagneux où une épaisse couche nuageuse presque aussi blanche que la neige, voile l'entier spectacle de la chaine pyrénéenne qui d'ordinaire me fait face et me joint à l'Espagne. Il ne cesse de neiger depuis ce matin, en ce 24 novembre 2021. Je dois dire que tous ces grains de neige, qui sont destinés à communier avec la terre et qui, quand le froid le permet, s'agrègent les uns aux autres pour y former ce que l'œil voit comme une matière immaculée, me renvoie inévitablement au feu des cheminées, au bois et aux pierre des chalets et des couleurs chaudes et vives qui habillent tous ces intérieurs préparés pour cette fête qui célèbre un nouveau-né né à Bethléem, dans la paille et le bois. Les cœurs sont étreints de cette empreinte éternelle qui chaque année vient illuminer le monde au point que le monde s'endort avec l'idée que toutes ses afflictions, toutes ses peines, tous ses échecs et tous ses espoirs se rassemblent pour y être sublimés dans un renouvellement spirituel où la neige, de ce côté du monde, symbolise le renaissance et la pureté. Noël, ce grand anniversaire - pour reprendre les mots de Charles Dickens qui dans sa nouvelle "Noël quand nous prenons de l'âge", permet l'exercice d'un joyeux devoir et la mise en pratique de ces grandes vertus qui nous enseignent à porter un regard plus sincère sur la vie terrestre - doit être le moment de contempler ce cadeau offert par Dieu à l'humanité et qui mourut sur une croix avant de ressusciter le troisième jour. Ainsi, Charles Dickens, célèbre pour ses contes de Noël, dans lesquels la providence joue un rôle primordial, honore le Très-Haut avec des mots savoureux qui semblent parfois avoir été empruntés à ce poète qui fit escale dans ce lieu maudit qui tourmentent les âmes qui ont refusé l'amour.
Chaque année, à l'approche de Noël, je réalise quelques fiches de lecture sur ce thème qui, pour ma part, est essentiel voire salutaire, s'il n'est pas corrompu et déraciné, dans un monde déboussolé par tant de mauvaises lectures. Beaucoup de très bons auteurs se sont affairés à reprendre cette narratologie bien spécifique en espérant contribuer à épaissir un thème devenu universel. Et pourtant pour certains, c'est le moment de l'audace et de l'extravagance, voire de l'indélicatesse. La toute dernière nouvelle de l'ouvrage, intitulée "Conte de Noël" d'Alphonse Allais, que l'on a déjà commenté, va dans ce sens-là. En effet l'auteur met en scène un Dieu marxiste, assez colérique, qui ne supporte plus que les pauvres se laissent docilement exploités par une minorité de fripouilles libérales. La morale de cette histoire, que le lecteur découvrira par lui-même, est un saut périlleux dans le Capital et qui malgré les très bonnes intentions du bon père Noël envers les nécessiteux, nous fait basculer dans la promotion de la marchandise bon marché et, comme dirait Colette, dans une sentimentalité mercantile. Une autre histoire, celle de Guy de Maupassant, intitulée "Nuit de Noël", est toute aussi impertinente. En effet, l'auteur de Bel-Ami, met en scène un certain Henri Templier qui pour une histoire de fesse, finit par devenir le père d'un enfant qui n'est pas le sien et qui, avec une femme de petite vertu, permet à Maupassant de singer la sainte famille. Cette brève histoire se finit avec irrévérence, mais cette impertinence de Maupassant a le mérite de mettre en évidence des conjonctions bénéfiques qui sous le signe de Noël ne sont peut-être pas fortuites.
J'opposerai bien à cette nouvelle de Maupassant, cette nouvelle de Luigi Pirandello, intitulée "Noël sur le Rhin", et dans laquelle, le personnage principal, contrairement à celui de Maupassant qui ne réveillonnera plus jamais, n'oubliera jamais cet arbre de Noël qu'il avait décoré pour les autres plus que pour lui-même. A propos d'arbre de Noël, la nouvelle de Dostoïevski, intitulée "Un arbre de Noël et un mariage", conte l'histoire d'un homme du monde qui intéressé par la dot importante d'une jeune fille, fit promesse de l'épouser à ses 16 ans pour l'obtenir. Le narrateur aura peine à cacher son aversion lorsqu'il vit la fameuse jeune fille épouser cet homme du monde dont le physique ne portait guère au romantisme, chose à laquelle presque toutes les demoiselles aspirent comme si ce fut une direction inconsciente et instinctive préalablement placée en elles par la biologie. L'arbre de Noël dont parle Dostoïevski, est l'élément de transition mémoriel vers ce mariage arrangé.
Nous passerons "Le Réveillon du colonel Jerkof" de Joseph Kessel et "Un "réveillon dans le Marais" d'Alphonse Daudet, simples histoires que l'imagination littéraire a forgé pour passer du temps au coin du feu mais qui dans le fond n'en font pas des histoires pour la mémoire. A l'inverse, "La petite fille aux allumettes", de Hans Christian Handersen, qui est publiée dans ce petit ouvrage, possède toutes les qualités pour enchanter l'esprit. En effet, le conteur danois, célèbre pour ses nouvelles et ses contes de fées, a le don de faire surgir le bien comme on l'entend quand on est chrétien. Dans cette histoire, cette petite fille bien pauvre, reçoit une grâce du Ciel avant de rendre son âme à Dieu. Heureux ceux qui liront cette petite histoire, qui à l'approche de Noël rappellera combien les histoires d'antan étaient bien mieux charpentées que celles d'aujourd'hui, où, pour la plupart d'entre elles, leurs auteurs au lieu de s'orienter vers cette fête qui doit célébrer la nativité, s'en éloignent avec des narratifs aussi niais que ridicules. Ce n'est pas le cas pour cette histoire de Jean Giono, intitulée "Les santons" où notre auteur relate cette transmission d'une tradition, qui, selon ses mots, place dans le paysage, autour de la crèche, d'une certaine façon, une paysannerie d'argile qui nous fait découvrir le secret des cœurs. Et ces cœurs, en direction de l'étable, bien souvent, quand ils sont disposés par des dames et des demoiselles fort dévotes, toujours selon les mots de Giono, musardent et même rusent. A l'inverse, une pauvre fille qui disait-on avait mauvaise vie, constitua malgré ses faibles moyens, une crèche où rois et paysans se serraient bien les uns aux autres pour réchauffer le petit roi qui venait de naitre.
Dans la nouvelle de Balzac, intitulée "La Fascination", une riche famille qui tenait de l'hérédité bien des qualités que le commun des mortels envierai par un simple regard, et que les mots de Balzac, sans même un regard, rendent encore plus auguste, se voit, lors de la veillée de Noël, confronté à un assassin qui avait ce quelque chose de grandiose et d'extraordinaire qui lui donnaient l'apparence de Lucifer. Ses interlocuteurs avaient peine à soutenir son regard qui bien que séducteur avait tantôt l'aspect d'un serpent et tantôt celui d'un rapace. Ce même regard avait ce que Méduse quand elle pétrifiait les hommes qui osaient la regarder, ce pouvoir de dépouiller le corps de toute espèce d'énergie et - et c'était là la chose la plus terrible - de désorganiser l'âme. La courtoisie et la noblesse de ses procédés ne manquaient pas à ses charmes, même s'il envisageait les ténèbres comme une image de son avenir. Mais voilà, cet homme extraordinaire fascina par les charmes que l'on vient d'évoquer, la fille ainée que Balzac nomma Hélène en hommage à celle qui fut l'enjeu de Troie. Cette jeune femme, à peine adulte, dont la beauté, selon Balzac, se distinguait par un rare caractère de force et d'élégance, prit le bras de cet homme et quitta sa famille en laissant son pauvre père de colonel en proie au désespoir.
Ce qui me permettra d'achever cette fiche de lecture en conseillant au lecteur de plonger ou de replonger dans ces nouvelles que les éditeurs ne manquent pas de rééditer et qui permettent de se réapproprier l'esprit de Noël que Charles Dickens a merveilleusement narré dans son chef d'œuvre "Un chant de Noël". Bien des lecteurs délaissent ces narratifs au profit d'ouvrages secondaires qui narrent des aventures imbibées d'un imaginaire contemporain embourbé dans une culture déracinée et sans colonne vertébrale. Tous ces romans à suspens et ces aventures fantastiques, qui se consolident autour de l'effet, du sentimentalisme et du fétichisme de la marchandise, n'offrent aux lecteurs que des possibilités d'égarements intellectuels qui les désolidarisent de la vrai culture tout en entrainant leur esprit à vivre dans cette malheureuse société du spectacle qui n'a plus en point de mire cette nativité qui a mis un point zéro sur l'échelle tu temps historique.
Antoine Carlier Montanari