Un Livre Que J'ai Lu (162) : La Fin Du Monde (Edmond Haraucourt)
Le mot "science" est le tout premier mot de cette nouvelle, et ce mot qui dégage comme on le sait, cette prétention naturelle d'avoir réponse à tout, est ici utilisé par l'auteur comme un oracle qui annonce le plus sérieusement du monde la fin de ce même monde avec un grand "F". L'auteur s'amuse avec l'idée que la science a ce pouvoir d'irréfragabilité, c'est à dire d'avoir ce caractère absolu qui empêche toute contradiction qui ne viendrait pas d'elle même. Son emprise sur les hommes est telle, que beaucoup se l'accaparent avec cette même contenance qu'on les hommes de pouvoirs et pensent qu'user d'une telle discipline, leur confère une aura de respectabilité supérieure. En réalité, la science est bien trop souvent piégée par les désirs déréglés des hommes qui ont trouvé là le moyen de satisfaire leur orgueil d'angoissé narcissique. Dans cette nouvelle, la science a le mot de la fin et la lune en est la cause. En effet, d'après le docteur Zacharie Furst elle doit percuter la terre à une date très précise dans quelque trois millénaires. L'auteur imagine donc cette fin du monde qui sous les yeux d'une humanité devenu athée va constituer le spectacle unique d'une curiosité définitive. Cette humanité des derniers temps, bien que sans religion, reconsidéra la lune avec ce même regard fétichiste que les hommes primitifs posaient sur la nature quand celle-ci débordait de ses limites habituelles. Tout naturellement, comme elle avait ce pouvoir de mort sur l'humanité, et que la chose fut prédite comme une prophétie, la lune devint une sorte de divinité céleste, non pas comme une entité spirituelle que l'on prie et que l'on couvre d'offrandes, mais comme l'artefact d'un spectacle sublime qui allait irradier l'humanité toute entière. La scène finale que l'auteur dévoile à travers le regard d'un jeune peintre, est décrite avec un vocable qui apostrophe la cornée d'une manière que l'on peut qualifier d'abstraite et qui peut faire penser à ces ciels flamboyants et ces horizons mouvementés de William Turner. Le lecteur curieux pourra admirer, par exemple, "Coucher du soleil sur le lac" (ici, à gauche), "Matin après déluge" (ici, au centre), et "Incendie au parlement" (ici, à droite) afin d'apprécier au mieux la vision exaltée de cette fin du monde que Edmond Haraucourt exulte à nous décrire. Quelques expressions formées par l'auteur comme "affronter l'œuvre unique" ou "C'était le lever de la mort" ou encore "L'haleine du monde charriait du tonnerre", accentuent le sentiment majestueux de cet évènement. Et il faut en venir à ces mille couleurs que l'auteur ajustent dans chaque panorama qu'il semble plutôt peindre qu'écrire, comme s'il avait une palette dans la main et un stylo dans l'autre et qu'ensemble ils formaient sur une toile mentale l'expression de cette apocalypse colorée et époustouflante. Si bien qu'on est éclairé directement par un feu d'expressions flamboyantes qui laisse circuler des impressions fortes de matières et d'énergies en mouvement. Quand il parle de bruits et d'ondes, on sent bien l'invisible étoffe du temps se désagréger dans un vacarme gigantesque qui semble avoir été emprunté à cette foudre qu'Homère fait surgir de celui qui est le père des hommes et des dieux. De plus l'agréable passage, "La lune monta vite. Jamais œil humain n'avait vu de soleil aussi vaste:", peut nous faire penser à cette nuit étoilée de Vincent Van Gogh (ici) qui peinte avec remous semble refléter une certaine idée de ce que l'auteur a imaginé. Quel admirable style tout de même, Edmond Haraucourt fait preuve d'une véritable souplesse d'écriture pour nous esquisser un tableau que le maître hollandais, seulement quelques années plus tôt, a mis en forme pour notre plus grand plaisir. Ici il est permis de penser que ce rapprochement imprévu alimente la vision picturale de l'auteur qui au delà des visions apocalyptiques qu'il égrènent avec je ne sais quelle impression qui rappelle cette œuvre d'un certain H.P Lovecraft qui parle de couleur tombée du ciel, ébauche une certaine idée des visions velikoskyennes écrites dans les mondes en collision. Je suppose que cette alchimie d'images ne doit pas nous empêcher de relever le tragi-comique de la situation qui voit cette pauvre humanité devenir le jouet d'une horlogerie cosmique qui a pris le temps de la créer et qui par un hasard pure la détruit aussitôt sans même en prendre conscience. Le poète Florentin qui avait pour amis le grand Virgile, dans sa Divine comédie, avait ironisé sur le sort de l'âme quand elle est vouée à finir dans ce lieu que l'on nomme enfer. Mais cette destinée qui pour l'esprit athée est véritablement absurde parce qu'il est difficile pour sa raison de mesurer le bien fondé d'une telle infortune, demeure le fait de la justice divine qui respecte le choix de l'âme qui ne désire par avoir pour dieu Dieu lui-même. En ce sens, la situation de l'âme, qui, dans son obscurcissement causé par le péché, choisi la damnation, demeure moins absurde que le fait d'être le jouet d'un univers qui n'a aucune conscience du jouet que nous serions et qui nous destine à être ou ne pas être par la seule action du non sens aléatoire qui le dirige. Dans cette histoire, il est intéressant de noter que cette humanité en fin de vie qui ne trouve pas le moyen de nourrir en elle même le refus de ce matérialisme outrancier et de cet athéisme, est aussi névrosée que nihiliste et accepte sans panache sa fin définitive. En fin de compte Edmond Haraucourt avait compris la voie vers laquelle s'acheminait l'humanité. En effet, en 1905, soit 11 années après la publication de cette nouvelle, l'assemblée nationale votait la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, qui je le rappelle est l'aboutissement d'un long processus de laïcisation et de sécularisation engagé depuis la Révolution française. Toutefois, l'auteur a laissé un indice qui ironise sur l'absence de Dieu. En effet, le docteur qui prédit scientifiquement le jour et l'heure de la fin du monde, se nomme Zacharie, qui, en hébreu signifie "Dieu se souvient". Ce clin d'œil est une manière pour notre auteur, de signer autrement sa nouvelle, laissant ainsi suggérer l'humour de ce Dieu qui a créé en nous l'esprit non dépendant du Ciel. C'est charmant si la chose est voulu, une autre chose me parait importante à signaler. Si sous la plume de Edmond Haraucourt, l'humanité a perdu sa foi dans le Ciel pour adopter la raison pure, ce changement n'est peut-être pas dut à la raison émancipatrice mais à cette surmanifestation de la lune qui est réputé pour influer sur le système nerveux. Autrement dit Edmond Haraucourt se moque peut-être de cette humanité qui par sa seule intelligence s'est dépossédé de Dieu et qui ne réalise pas, comme pharaon en son temps, par l'orgueil de son intelligence narcissique, qu'une force céleste a obscurcie son esprit.
Antoine Carlier Montanari