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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

28 Sep

Un Livre Que J'ai Lu (159) : L'Animus & L'Anima dans les contes de fées (Marie-Louise Von Franz)

Publié par Alighieridante.over-blog.com

 

 Marie-Louise von Franz a choisi comme nourriture de son analyse l'entremêlement des anthropologies constitutives de contes dont les narratifs ne nous sont pas vraiment connus. Mais pour une meilleure compréhension, j'ai fait quelques digressions en m'écartant volontairement des narratifs choisis par l'auteur pour me pencher sur les fameux contes de Blanche-neige et du petit Chaperon Rouge dont les histoires nous sont beaucoup plus familières. Et quels que soient les contes, ils fonctionnent tous suivant une architecture à plusieurs niveaux de significations. Prenez les paraboles du Christ, elles fonctionnent de la même manière, il y a un signifiant pour le bons sens et l'intuition puis d'autres signifiants pour l'intellect et la raison. Les contes comme les paraboles contiennent des données cathartiques, c'est à dire émancipatrices en ce sens qu'elles nous permettent, à travers les modèles idiosyncrasiques et phénotypiques, c'est à dire relatif au caractère, de trouver les solutions à nos difficultés. 

 Dans la plupart des contes le cercle familial n'est jamais complet (p16), il y manque une figure, soit celle du père, soit celle de la mère et parfois les deux sont absents. Ce déséquilibre déclenche le narratif qui va susciter la reconstitution du cercle familial. Ainsi, les personnages en fonction dans le conte vont être soumis à des conflits et des luttes intérieures, qui sont les conséquences de la perte de l'unité. Mais ces conflits et ces luttes intérieures qui produisent des chaos émotionnels, vont devenir autant d'appui d'élévation et d'émancipation (p29). Le conte est alors en phase de signification, il joue le rôle de donneur de sens en transférant dans le lecteur les champs du possible. Le mal peut être vaincu même s'il reviendra sous une forme ou une autre (p30). En somme le conte est une arène de luttes intérieures où se dévoile des phases psychologiques importantes. Parmi ces phases que l'auteur nomment fonctions psychiques (p14) il existe l'animus et l'anima, la première est la figure intérieure masculine chez la femme et la seconde la fonction intérieure féminine chez l'homme. En général, nous dit l'auteur, l'animus de la femme se développe à partir de l'expérience qu'elle a de son père personnel qui sera l'enveloppe réussie ou non de l'archétype du père, c'est à dire du modèle par excellence (p17). Cette expérience façonne son attitude envers les hommes et bâti en elle-même sa masculinité intérieure, ce qui lui permet de se voir plus objectivement (p31), parce qu'elle s'est accaparée l'objectivité masculine. Cette objectivité masculine la détache de ses opinions et lui permet de prendre de la distance avec sa nature sensible (p56)

 Mais parfois l'animus est cause de confusion, il emmêle psychiquement la femme, celle-ci est enchevêtrée en elle-même, à la manière des cheveux en désordre (p48). Il n'est donc pas étonnant que la Gorgone Méduse (ici), incarne cet état psychique déréglé. En effet, sa tête est un nid d'intrigues, à l'image des serpents qui s'entremêlent sur sa tête et qui font office de chevelure. Si les cheveux sont un signifiant émotionnel, par extension, les poils du corps sont un écho de la nature animale, une image de la fourrure qui couvrait nos très lointains ancêtres (p26). Ainsi le peigne qui remet les cheveux en ordre, devient symbole de la réorganisation mentale (p58). Mais le peigne est forcément associée au miroir avec lequel la femme entretient son orgueil narcissique qui lui permet de dominer instinctivement l'homme. Le miroir de la reine dans l'histoire de Blanche neige est l'instrument du vis à vis avec soi-même. C'est le symbole de la réflexion intérieure. En réalité la reine ne parle pas à une quelconque divinité qui apparait dans son miroir, la reine en se regardant écoute sa conscience qui la mène sur le chemin de la vérité, à savoir que Blanche neige est encore plus belle qu'elle. Ce qui est intéressant dans ce conte, c'est le fait que la reine prenne l'apparence d'une très vieille femme pour accomplir sa besogne qui consiste à empoisonner Blanche neige avec une pomme particulièrement belle à regarder. Cette très vieille femme est un signifiant inconscient, en réalité la reine est consciente qu'elle vieillit et pour amoindrir l'angoisse qu'engendre cette pensée, elle décide de tuer l'incarnation de la jeunesse et de la beauté avec une pomme empoisonnée. Notez que cette pomme est la plus belle du panier. Ce conte est un archétype qui a nourri l'expression reine de beauté. De plus, l'animus, dont on a dit qu'il permet à la femme de se voir plus objectivement, il agit également pour compenser l'inertie de celle-ci (p63, p66). Sans développer la complexité de cette fonction psychique expliqué par l'auteur et qui pour ma part, s'enferme dans des profondeurs de significations labyrinthiques, on peut synthétiser la psyché féminine avec cette loi ou cette inclination qui dit que pour les femmes l'amour et les relations entre personnes signifient davantage que les questions théoriques (p64). Le sociologue Georg Simmel (ici) et le philosophe Arthur Schopenhauer (ici) abondent dans ce cens quand ils disent que les femmes se cantonne aux sentiments qu'elles ont d'elles-mêmes et qu'elles voient le monde sous le degré de l'apparence et non de la réalité, voyant les choses non pas dans leur essentialité mais dans leur praticité.

 Concernant le pendant masculin de l'animus, à savoir l'anima, l'auteur nous dit qu'il prend souvent la figure de la fille du diable (p129). A l'inverse, pour les catholiques, la Vierge Marie permet à l'homme de projeter son anima pour repousser l'image négative de la femme. Cet archétype religieux offre à l'homme chrétien une figure féminine parfaite dont la virginité va se concrétiser en Europe à travers les nombreux ordres moniaux. La fascination pour la femme chaste va travailler à raffiner le rapport de l'homme à la femme. Le chevalier servant est la concrétisation de cette nouvelle alchimie et qui se poursuivra à travers les figures du gentlemen et du gentilhomme (p161). Cette recodification va naturellement activer un archétype contraire, à savoir la sorcière et qui de nos jours se traduit à travers des femmes possédées par cet archétype dont la fonction principale est d'activer les émotions chez les autres (p183, p188). Ce profil de femme prend plaisir à la surchauffe psychologique pour faire perdre l'équilibre émotionnel. L'esprit propice à l'intrigue et à la manigance, leur tête n'est qu'un nid d'intrigues, nous dit l'auteur, à la page 48. Les grecs avaient fort bien compris la chose et l'avaient symbolisé à travers la fameuse gorgone Méduse déjà cité plus haut. Sa tête recouverte de serpents traduit cette confusion psychique et ce débordement de l'impulsivité qui est destructrice. Ces serpents qui se croisent et s'entrecroisent perturbent le regard puis la conscience en produisant de la terreur. Il n'est donc pas étonnant que la sorcière a toujours les cheveux en désordre, c'est l'expression du chaos dans la pensée. Il faut préciser que l'anima sorcière à la même tendance chez l'homme (p184)Plus l'archétype lumineux de la Vierge s'efface plus l'archétype de la femme sorcière s'étend.

 Pour rester sur l'archétype de la sorcière, l'auteur relaye la pensée de Carl Gustav Jung, qui fait remarquer que chez les primitifs il était naturel de penser que la psyché se trouve dans le ventre (p187). Si l'on revient sur la malheureuse reine dans le conte de Blanche neige, on la voit (ici) en sorcière, on la voit tremper la fameuse pomme dans un chaudron et ce chaudron est rempli d'une substance mystérieuse. Le chaudron et la pomme sont en relation avec l'estomac et l'intestin, et la reine devenu sorcière entend passer par l'estomac pour fléchir l'esprit de Blanche neige. Cette relation ventre-esprit est vieille comme le monde, l'auteur nous informe que chez les grecs le centre de la conscience se situait dans le diaphragme, c'est à dire la membrane musculo-tendineuse qui sépare le thorax et la cavité abdominale. Le terme schizophrénie vient de : "diaphragme fêlé" (p187). Dans le petit Chaperon Rouge, le ventre tient une place importante, d'une part avec les victuailles que la petite fille emportent dans son panier pour sa grand-mère malade et d'autre part avec le loup qui ayant une faim de loup, mangea tour à tour la grand-mère et le petit Chaperon rouge. Son ventre fut si gros qu'il fut délesté par le chasseur. Il est intéressant de noter que parce que le loup a mangé de la chair humaine finit par mourir, à l'inverse, la grand-mère se trouva toute ragaillardie d'avoir mangé le gâteau et but le vin que le petit Chaperon rouge lui avait apportés. Le gâteau et le vin sont à mettre en relation avec le pain et le vin de la sainte cène qui sont la chair et le sang du Christ, c'est à dire le pain et le vin de la vie. En somme le ventre est le siège soit de la mort soit de la vie. Si l'on veut compléter l'analyse, on peut faire remarquer que dans l'histoire de Blanche neige comme dans celle du petit Chaperon Rouge, le chasseur est une valeur positive, dans le premier cas il épargne la demoiselle, désobéissant à la reine qu'il avait envoyé pour la tuer, et dans le second cas le chasseur sauve le petit Chaperon Rouge et sa grand-mère enfermées dans le ventre du loup. Le rôle du chasseur est primordial malgré qu'il soit un personnage secondaire, en effet il est l'expression de la justice providentielle. Et en arrière plan ses attributs phalliques que sont ses armes tranchantes, montrent seulement de quelle manière - pour reprendre les mots de l'auteur - l'énergie vitale traverse la conscience collective. En effet, dans le conte du petit Chaperon Rouge, le chasseur en ouvrant le ventre du loup pour y sortir la grand-mère et le petit Chaperon Rouge, opère une sorte d'enfantement. Cette renaissance témoigne de cette énergie vitale en action. 

 Les contes sont des synthèses narratives qui substantivement peuplés de représentations archétypales illustrent l'inconscience des peuples. Si l'auteur insiste en fin d'ouvrage sur ce concept psychologique qu'est l'archétype, c'est qu'il représente pour la conscience inconsciente, c'est à dire la pensée qui erre et qui a vaguement conscience d'être, un signifiant objectif. L'individu n'est pas forcément conscient de ce repère significatif mais quand celui-ci entre dans sa sphère de perception, il comprend de quoi il s'agit sans réellement savoir de quoi il s'agit. L'archétype prend sur lui un tout complexe et transfert un tout synthétique, c'est à dire compréhensible. Quand l'archétype touche la perception, qu'il féconde l'intuition et parle à l'instinct c'est alors que jaillit l'émotion de compréhension. Il se produit en nous une vibration intérieure qui soudain constelle en nous cette chose qui était en sommeil (p204). Un conte bien compris agit comme un éveil mental, tous les archétypes résonnent en nous pour extirper des vérités en sommeil et qui une fois réalisées par la conscience placent l'esprit dans une clarté spirituelle que certains nomment illumination ou encore révélation. Bien des concepts camouflés dans les archétypes restent à la frontière entre le conscient et l'inconscient, la conscience n'est que partiellement éveillée et n'est pas en mesure d'atteindre la pleine réalisation du concept présent dans l'archétype. Seul des mot élévateurs ou des expressions ascenseurs peuvent être en mesure de faire basculer l'archétype et son concept du côté de la conscience. A ce moment-là, comme nous le dit l'auteur à la page 205, il se produit un tintement de cloche, la vie intérieure est frappée. 

 Pour conclure, comme je l'ai évoqué précédemment, cet ouvrage ne s'adresse pas au simple lecteur et peut même entortiller le lecteur expérimenté tant son déroulé explicatif est assez escarpé. L'auteur, Marie-Louise von Franz qui fut l'une des plus proches collaboratrices de Carl Gustav Jung, propose une analyse surélevée qui malgré le matériau de base qui pourrait nous faire croire à une décomposition narrative abordable, ne redescend que très rarement à un niveau de compréhension courant. Ces quelques arpents didactiques qui m'ont permis de faire cette fiche de lecture offrent tout de même quelques rouages psychologiques compréhensibles, et qui dans leur logique intestine font valoir des sens qui sous la plume de notre auteur se révèlent particulièrement quintessenciés, voire contorsionné. Quoi qu'il en soit, à travers cet ouvrage se dessine peu à peu un portrait de la femme qui sous bien des aspects frôle l'impertinence. On retiendra ces quelques tonalités acerbes que l'on retrouve chez Simmel et Schopenhauer, mais avec une dialectique de sens profond beaucoup plus soutenue.

Antoine Carlier Montanari 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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