Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

07 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (156) La Fin De La Jalousie (Marcel Proust)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Marcel Proust

 

 Pour qui n'a pas lu l'énorme chef d'œuvre de Marcel Proust, ces 4 courts récits offriront un excellent marche pied pour s'y introduire. Car pour tailler sa route dans cette volumineuse quête du souvenir qu'est la recherche du temps perdu, le lecteur devra oublier ces nouveaux métabolismes narratifs qui structurent le roman moderne et qui sont loin de suffire pour produire de la pensée difficultueuse. On peut dire que l'ère des grands romans français s'est achevée avec le fameux "Voyage au bout de la nuit" de Louis Ferdinand Céline. En effet ce dernier a clôturé lui-même le grand texte, et c'est là le paradoxe, puisque tout en conservant la magnitude narrative habituelle du grand roman français, il a d'une part dilué du verbiage populaire dans l'architecture classique de la langue, qui jusque là avait évité de trainer dans ces arpents un peu trop caillouteux pour ne pas apparaitre vulgaire voire crasseux, et d'autre part a accordé au rythme narratif des charges spontanées qui abrutissent la compréhension. Céline a initié à tord la fossilisation de l'essence supérieure de la prose traditionnelle. Quoi qu'il en soit c'est tout un décorum psychologique que Proust anime à travers ses différents personnages, et chacun d'eux rend compte des vieux mécanismes anthropologiques qui maintiennent l'humanité dans un conservatisme hiérarchique et usurier. Chose que Proust relaie dans sa troisième nouvelle, nommé "Un dîner en ville" quand il fait dire (ici), lors de ce même dîner, à Madame Fremer, mondaine et marié à un banquier, 

"A quoi bon tout cela? Il y aura toujours des riches et des pauvres."

A quoi Proust ajoute,

"Et tous ces gens dont le plus pauvre avait au moins cent mille livres de rente, frappés de cette vérité, délivrés de leurs scrupules, vidèrent avec une allégresse cordiale leur dernière coupe de vin de Champagne."

 Notez l'absence de point d'exclamation qui viendrait accentuer l'ironie ou même la disposition morale de l'auteur. Le fait du simple point nous fait échapper à tout jugement, Proust narre peut-on dire de manière imperturbable une réaction humaine tout à fait naturelle, c'est une réaction réflexe, une réaction relativiste qui permet de déculpabiliser. De plus c'est avec cette phrase que Proust achève dans un premier temps le premier chapitre et dans un second temps le dîner lui-même, comme s'il avait le désir de laisser le lecteur avec un arrière goût d'immoralité. Ce point final est accentué avec la toute fin de la phrase, à savoir, "leur dernière coupe de vin de Champagne." qui sémiotiquement renforce l'idée d'achèvement. En effet le mot "dernière" entérine la fin et le mot "coupe" dessine, par sa forme ronde, le point final. De plus, le tout dernier mot, à savoir "Champagne" induit par ses bulles des point de suspension, c'est peut-être là une subtilité phraséologique qui permet à Proust de parler à l'inconscient du lecteur, qui dans cette affaire ne se rend pas compte qu'il est dans la même barque que cette madame Fremer et ses convives - les bulles de vin de Champagne l'aidant à se détacher de cette terrible réalité qui fait que les uns ont tout et les autres rien. Dans la seconde nouvelle c'est aussi du vin de Champagne qui s'empare de la jeune fille pour la mettre plus facilement dans les bras de son amant. Il est ce breuvage baudelairien que Proust articule pour vicier ses personnages. Et comme il est question du grand poète français qui fit suinter le mal dans ses vers, deux de ses pensées viennent illustrer cette seconde nouvelle. Nous ne dirons mots de ces pensées choisies spécifiquement par Proust afin que le lecteur mesure lui-même la scandaleuse verve qui est la sienne. A propos de Baudelaire, nous verrons comment Marcel Proust, dans une prochaine fiche de lecture (ici), manie le verbe pour caractériser une œuvre qui scandalisa la société du XIXème siècle.

 C'est donc avec cette alchimie baudelairienne que Proust narre cette sensualité si cher à l'homme. Pour cela il convie des jeunes femmes que la chair a fait semblables à des déesses et qui étant des fruits qui nourrissent la concupiscence, vont se laisser aller à l'impudicité. Dans la première nouvelle, Violante, est une jeune fille qui outre la fortune de ses riches parents, hérita de cette qualité d'être d'être supérieurement né. Orpheline à l'âge de quinze ans à la suite d'un accident de chasse, elle se coucha dans cette oisiveté qui rend disponible à tous les vices. Tout naturellement, disposant de tous les attributs pour briller dans le monde, elle maintenait cette idée que tout est perfection en elle, s'inclinant comme toutes choses ici bas vers l'orgueil de soi qui désire toujours être au dessus. La morale de cette histoire, Proust l'empruntera à l'imitation de Jésus Christ (ici),

"...car toute chair est comme l'herbe et sa gloire passe comme la fleur des champs."

 Si Violante est l'image de la sensualité et de la mondanité, la jeune fille qui fait l'exercice de l'amour de Dieu dans la seconde histoire, est une autre inclination de la perversité du cœur quand celui-ci se croit toute âme et qui ignorant la main savante du diable qui remue les fils de ses désirs - tombe doucement et sûrement vers ce précipice qui maudit les âmes. Mais le très beau paragraphe sur la confession, tissé comme à l'habitude avec une juste connaissance de l'idiosyncrasie catholique, nous amène à sentir puis à apprécier le mouvement de l'âme qui veut retrouver la paix. Quoi qu'il en soit la jeune fille, pour l'amour de sa mère, fit acte que l'on répugne dans l'église et qui empêche bien l'âme d'atteindre le ciel. Proust invite donc la concupiscence à faire besogne d'une âme et à en extraire, malgré le désir du ciel, toute l'innocence. On comprend alors pourquoi Marcel Proust extraie de l'imitation de Jésus Christ une autre sentence pour avertir le lecteur que le profane est toujours sous le regard de Dieu. Et ce Dieu catholique que le lecteur proustien connait bien, apparait comme l'inévitable juge des hommes et des femmes et qui permet à Proust de solidifier sa charpente narrative avec un spirituel qualifié de raffiné par un certain Napoléon. Dans "Vacances de Pâques" (ici), tout y brille de ce décorum catholique que Proust énonce avec cette délicate attention qui installe le lecteur dans une sorte de révérence envers ce matériau spirituel qui aujourd'hui est bien trop souvent corrompu par les modernes. Quoi qu'il en soit Marcel Proust a cette sentence moralisatrice qui installe la jeune fille dans une culpabilité dont il va se servir pour la transférer chez son lecteur. Cette sentence (ici, en bas),

"On ne doit jamais faire une place au mal, si petite qu'elle soit." 

a cet accent weilien pour ne pas dire chrétien et qui doit être comprise comme une sorte d'avertissement qui trouve sa force dans la quatrième et dernière histoire de ce petit ouvrage. En effet ce personnage nommé Honoré, qui tourmenté par la ravissante Françoise, combat en son corps et son esprit le désir ardent de l'aimer qui pourrait le mener à perdre son âme si chère à Dieu. Il s'ensuivi qu'Honoré demanda à Dieu de mourir précocement pour connaître le parfait amour, celui qui n'est pas corrompu par les désirs charnels. Ce brave Honoré fut alors atteint d'une péritonite, laquelle l'emporta après que tous les sacrements lui furent administrés. Qu'a t'il donc pris à Proust de mêler si bien la componction, à savoir la douleur profonde d'avoir offensé Dieu, à cette mondanité qu'il chérit tant? On peut voir dans cet Honoré une image de Marcel Proust, en effet le lecteur devra se souvenir de ces propos de René Girard qui affirment que Marcel Proust remercie la maladie qui comme un rude directeur de conscience l'a fait mourir au monde, ajoutant que ce moi que structurent les mensonges de l'orgueil doit subir une totale destructuration pour avoir une chance de se réapproprier lui-même. 

 La fin de la jalousie dont parle Marcel Proust concerne donc cet amour purement terrestre qui ne se laisse pas posséder et qui tourmente infiniment l'être aimant comme le membre fantôme qui se laisse sentir après avoir été amputé. Ce tourment est causé par la non-possession de l'être aimé, cette non-possession désaxe l'être aimant qui bien nourrit par son imagination s'ébranle et tend au découragement. L'angoisse qui en découle peut faire basculer l'être aimant dans la haine de l'amour et parfois même dans l'amour de la haine. Mais dans notre histoire, Honoré a compris que l'amour envers la créature comme l'entend la créature est inaboutie, le seul amour qui vaille est celui de Dieu, c'est le parfait amour, c'est à dire un amour inconditionnel et dépouillé des désirs du corps, cet amour n'est pas jaloux puisqu'il est dépouillé de tout orgueil. La mort est donc le moyen du face à face avec cet amour éternel. Cette conclusion transcende le narratif, Proust élève l'idée de l'amour et amène le lecteur à reconsidérer l'amour de la créature selon non pas la créature mais selon Dieu.   

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

Commenter cet article

Archives

À propos

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin