Un Livre Que J'ai Lu (154) : Le Feu De La Sainteté (Catherine de Sienne)
La pensée de Catherine de Sienne, écrite sous forme d'Oraisons, a été recueillie en partie par ses disciples. Il est intéressant de noter qu’un certain nombre de grands esprits ont privilégié l’oralité à l’écriture, comme Socrate, Épictète ou encore le Christ. Il existe également 380 lettres dictées par la sainte dont certaines choisies par l’éditeur témoignent de la profondeur de sa pensée et de son inaltérable intimité avec le ciel. Les Oraisons de Catherine de Sienne que nous allons commentées ont pour édifice la sainteté, et celle-ci passe par l’union avec le Christ, laquelle est ici exprimée avec une saisissante virilité qui ne déplaira pas au lecteur endurci. Quoiqu'il en soit, le lecteur athée et infatigable, devra s'approprier un matériaux spirituel robuste qui demande à l'esprit de se discipliner. La pensée de Catherine de Sienne est avant tout pétri d'un amour himalayen qui s'énergise dans le froid extrême, loin des affectes et des sentiments courants qui font basculer l'humain dans un sens ou dans l'autre. Vous aurez compris, le saint catholique cherche la difficulté et fait sienne une programmation mentale supérieure qui transcende l'antique programmation animale inscrite dans le paléo-cortex. La réflexion qui est la sienne et qui est celle du Christ est d'un autre ordre, Catherine de Sienne introjecte un programme-maître qui a pour but de créer une nouvelle humanité, c'est à dire une humanité messianique.
Il est difficile aujourd’hui, compte tenu de la déchristianisation des esprits, de rendre compte de la vie et de l’enseignement des saints de l’église catholique sans apparaître incompréhensible voire excentrique. Les esprits étant attachés à des exemplarités profanes qui rayonnent dans le sport ou le cinéma, avec parfois beaucoup de fatuité - ne comprennent pas le tragique transfiguré et l'extrême humilité qui font l’honneur des saints. Le décalage de compréhension entre la vie ascétique d’un saint et la vie délurée d’un acteur de cinéma s’explique en partie par l’appauvrissement de l’idée de grandeur. Les manières d’être du saint échappent à l’esprit comique voir burlesque de notre temps, elles apparaissent comme excessives et exagérées. A vrai dire, les mots de Catherine de Sienne forment un enseignement qui porte à une véritable gymnastique de l’âme, et il n’est pas aisé pour un individu moyen qui a mis toute son espérance dans la démocratie moderne de comprendre l’engagement moral rigoureux et exigé pour se rapprocher de Dieu.
C’est donc par la connaissance de soi-même, nous dit la sainte, que nous pouvons connaître notre néant, c’est-à-dire notre impuissance fondamentale qui surgit dans la maladie ou dans l’épreuve. Cette impuissance fondamentale nous rend disponible à Dieu, elle nous fait désirer Dieu comme le vieillard désire sa canne pour marcher. L'athée reprend souvent cette dialectique pour décrédibiliser l'existence de Dieu, affirmant que Dieu n'est qu'une idée qui surgit à cause de ce transfert émotionnel. Ce que l'athée ne comprend pas, c'est que ce balancier qui conduit à Dieu est idoine à la nature humaine. Voyez un individu atteint d'un cancer, ne se tourne t-il pas vers son docteur pour obtenir la guérison? De même l'enfant qui tombe et qui pleure ne se tourne t-il pas vers sa mère pour être consolé? Et je n'entends pas l'athée s'étonner de la chose. Si naturellement le malade se tourne vers son docteur et l'enfant vers sa mère, le croyant se tourne naturellement vers Dieu parce qu'il est conscient, comme le malade et l'enfant de son impuissance. L'athée est par conséquent très orgueilleux, il prétend se suffire à lui-même, il se figure, parce qu'il est en bonne santé et bien installé, qu'il peut faire face à tout. S'il reproche à l'homme désespéré de se tourner vers Dieu, il ne reproche pourtant pas au malade de se tourner vers son docteur et à l'enfant de se tourner vers sa mère! L'athée endurcit ne peut donc fléchir le genoux devant Dieu que lorsqu'il fait l'expérience de sa véritable impuissance, qu'il mesure qu'il n'est rien et qu'il ne peut rien, il se rend alors disponible à l'idée de Dieu puisque Dieu représente communément le dernier espoir.
C’est donc en acceptant son néant que l’on se rend disponible à ce qui peut nous remettre sur pied. A l'inverse l'esprit en pleine santé, débordant de joie et affairé aux exigences du monde, est dans la suffisance de lui-même, il n'est pas rendu disponible à la vérité puisque pour lui, la seule vérité qui compte c'est l'immédiateté de son expérience d'être. En s'en remettant au monde, l'esprit s'abandonne à ses seules forces, il n'a donc pas besoin de Dieu. Et tant que le monde lui offre satisfaction, il demeure dans les mensonges de l'orgueil qui structurent le moi. Il faut donc mourir au monde pour renaître à la vérité et la maladie est ce rude directeur de conscience qui fait mourir au monde, c'est un balancier salvateur qui permet de se réapproprier la vérité. En ce sens, s'il n'y avait pas la maladie, la souffrance et la mort, l'homme n'aurait pas besoin de Dieu, il se suffirait à lui même et engendrerait en lui-même l'idée qu'il est un dieu.
Le Christ sur la Croix est la manifestation de cette disponibilité et c’est là l’expression originelle et pure de cet abandon qui doit mener les hommes à mourir au monde pour renaître. La résurrection du Christ c'est donc la manifestation réelle de l'action de Dieu qui relève ce qui a été abaissé par le monde. Cette renaissance c'est l'abandon des désirs déréglés qui entrainent l’âme à se damner. Catherine de Sienne parle de la cité de l’âme et cette cité comporte trois portes, à savoir, la mémoire, l’intelligence et la volonté. Cette dernière porte est la véritable gardienne de la cité de l'âme, celle-ci empêche l’ennemi, c’est-à-dire l’amour-propre, de pénétrer l’âme. Mais si la volonté cède, alors l’ennemi obscurcit l’intelligence et la mémoire (p66). La haine, par l’intermédiaire de l’intelligence obscurcit, s’empare de la mémoire pour y greffer durablement le ressentiment et le désir de vengeance. Cette greffe, qui éloigne l’âme du Christ (p26), instrumentalise le regard et lui commande de regarder les choses d’une manière déréglée, jusqu’à croire que les choses saintes et saines sont des choses vaines et corrompues. Cet abâtardissement du regard contraint finalement l’âme à s’imprimer d’immondice qui la poussera à détester tout ce qui n'est pas elle.
C’est pourquoi la vrai connaissance de soi-même, de ses propres fautes, permet de supporter et de pardonner celles des autres afin qu’au jour du jugement de l’âme, celle-ci ne se trouve pas condamné par un cœur endurcit qui n’aurait jamais fait d’effort dans le sens du pardon. Car l’âme qui n’a pas éprouvé la miséricorde et qui n’en a pas mesuré la puissance, ne peut à son jugement, juger correctement de la grande et sainte miséricorde du Christ, elle juge alors ses péchés comme impardonnables, comme plus grands que la miséricorde de Dieu (p48). Elle se condamne donc elle-même à l’enfer, l’âme ne croit pas en cette sainte miséricorde, elle l’a méprise et refuse instantanément d'être pardonné. Cette erreur d'analyse fait croire à l’âme que ses péchés sont plus grands que la miséricorde de Dieu, et c’est pourquoi elle se condamne aux tourments éternels, l’âme se rend alors coupable du plus grand des péchés, celui de refuser la sainte miséricorde divine et comme Dieu ne peut aller à l'encontre de la liberté et de la volonté de sa créature, il laisse l'âme de sa créature vivre avec ce péché pour l'éternité dans ce lieu qui lui est spécifiquement dédié et qui se nomme l'enfer.
La perception de soi est donc fondamentale, la conscience qui marche sur le chemin de la sainteté est une chambre d’écho du péché, elle ressent chacune de ses actions et chacune de ses pensées comme une faute en soi, et même là où il n’y a pas de faute, elle construit l’idée de la faute qui se serait infiltrée bien malgré elle parce qu'elle sait que sa nature est spontanément pécheresse (p53). Cette sensibilité de soi est une sainte sensibilité puisqu’elle mène à connaître toutes les formes du péché avant de les haïr. Catherine de Sienne parle alors de sortie de l’imperfection, l’âme fixée sur la doctrine du Christ aspire à mourir au monde, à refuser les doctrines du monde qui la mène à l’amour de la sensualité et des plaisirs, lesquels ne satisfont que l’amour de soi. Et la haine découle de l’amour de soi car l’amour de soi c’est l’amour de l’imperfection. Et quand l’âme se prive d’aimer le Christ et son prochain et n’usant pas du moyen de la prière pour se rapprocher spirituellement de Dieu (p38), elle se met en danger de damnation parce qu’elle ne s’exerce pas à agir comme le bien avec un grand « B » l’exige. L’homme de bonne volonté, bien qu’ignorant la discipline chrétienne, est tout de même bien disposé et au jour du jugement de son âme, il ne ferme normalement pas sa porte à la miséricorde de Dieu, toutefois comme il n’a pas pris l’habitude d’aimer son prochain sous le regard de Dieu, il a cultivé un amour horizontal limité par ses seules capacités humaines. La nature de son amour est essentiellement animée par l’altérité et la fraternité, il lui manque le véritable amour, c’est-à-dire l’amour qui sauve l’âme. Sans ce véritable amour, l’homme de bonne volonté ne fait que s’adresser aux biens du corps, et négligeant les biens de l’âme il cloisonne son prochain aux seuls biens terrestres, lesquels n'étant que transitoires, enferment l'âme dans la matière.
En ce sens le Christ représente humainement l’amour de Dieu, sa capacité de pardonner surpasse les seules capacités humaines et l’âme qui est conduit à suivre un tel exemple, introjecte puis transfert cette même capacité de pardonner et d’aimer. C’est pourquoi, nous dit Catherine de Sienne, il n’y a d’exemple de l’amour inconditionnel que celui-ci. Le Christ attire à lui et élève ce qu’il a attiré à lui (p45). La sainte reçut alors de Dieu le théorème de cette gravitation qui va du bas vers le haut et qui est fait du bois de la croix sur lequel a été coulé le Christ (p75). C'est l'axe élévatif, la sainte parle de pont à trois marches, où l'homme qui imite à chaque instant de sa vie le crucifié, dans les moindres épreuves, s'habitue à mourir progressivement au monde pour renaître à la vérité. Dans le cas contraire, la vie profane installe l'âme dans l'habitude du monde et l'âme finit par adopter la malice et la ruse qui sont consubstantielles à la nature humaine. En ce sens, les vies dîtes plantureuses, nous dit Claude Tresmontant, parce que bien installées, riches et honorées, sont peut-être des échecs irréparables au point de vue de la vérité.
Le lecteur qui veut s'émanciper de la perspective profane qui n'a de perspective que l'athéisme qui croit à cause de l'a priori kantien, que l'univers né du néant et privé de pensée a su produire seul des êtres capables de pensée, trouvera dans cet ouvrage qui n'est qu'un échantillon de la pensée de Catherine de Sienne, des mots qui parlent aux profondeurs de l'être et qui offrent une vision créatrice qui se développe autour d'une singularité historique qui a changé la face du monde. Si ce même lecteur, à l'image de Pier Paolo Pasolini, trouve que l'humanité dégénère et que ses frères en l'humanité sont devenus pareils à des australopithèques mal dégrossis, et devenus méchants de surcroît, n'aura pas de peine à adopter cette nouvelle programmation enseigné par le Christ. Ce tout petit ouvrage est une excellente prise de contact avec la sainteté catholique. Nous plongerons ultérieurement dans l'immense programmation comportementale catholique et nous verrons comment cette information créatrice a fait entrer l'humanité, via l'occident, dans une ère nouvelle en l'émancipant des anciennes programmations comportementales. Cette civilisation chrétienne communique à l'homme ce qui est bon pour sa croissance et son développement et les saints sont les exemples sain, S.A.I.N, qui ont adoptés cette programmation supérieure. Les secrets intelligibles communiqués par Dieu à ses prophètes hébreux et chrétiens aident à réaliser une nouvelle naissance, une nouvelle humanité composée d'hommes et de femmes unis à Dieu véritable.
La prochaine fiche de lecture (ici) nous permettra d'approcher cette pensée chrétienne si reniée aujourd'hui. Ce petit livre de Matthieu Giroux, sur le grand auteur français Charles Péguy qui mourut d'une balle au front en 1914, s'attarde sur la sensibilité toute chrétienne et virile de celui qui enracina sa pensée dans cette jeune fille qui fut appelé par Dieu pour sauver le royaume de France. Et c'est devenu une habitude pour Dieu, depuis que la France est devenue la fille ainée de l'église, de s'adresser aux enfants pour avertir les hommes. Les apparitions de la Salette et de Lourdes en témoignent et pour mieux comprendre cette approche divine qu'il faut sourcer à cette instruction du Christ qui demande à devenir comme ces petits enfants pour entrer dans le royaume de son Père, il faut se réapproprier cette spontanéité de l'enfant qui empêche d'avoir une pensée toute faite. C'est pourquoi le Christ lui-même quand il parle de Dieu, emploie souvent le mot Père afin de préserver l'enfant qui est en lui.
Antoine Carlier Montanari