Un Livre Que J'ai Lu (148) : Prochainement Aphrodite (Willa Cather)
Et dire qu'il l'a regardait par la fente du mur, complètement nue, faisant bouger à son aise un corps qu'il qualifia de magnifique et d'absolument splendide, et bien que cette fente dans le mur lui permis d'admirer une aussi remarquable nudité, elle n'était autre que la subtile image de ce que les hommes convoitent chez la femme. L'auteur, Willa Cather joue avec cette forme qui dans le mur amène le regard du jeune peintre et par extension celui du lecteur à contempler une Vénus lacté de peau comme dans cette peinture de Bouguereau (ici) que le peintre a fait surgir de l'eau sur une coquille encore plus blanche et dont les bras porte les mains à tresser ses longues boucles de cheveux et à les faire tourner entre les doigts comme au temps de sa prime jeunesse lorsque accompagnant ce geste flamboyant elle suçait son pouce comme si il était le sein de sa mère. Remuant ainsi, sous l'œil du peintre et devant son miroir, ses sublimes proportions, la belle reçu en plus de la nature, à l'endroit où le palais amène à caresser ce que la langue remue et qui avait certainement déjà dû goûter à bien des hommes - une voix toute aussi sublime qui comme on le verra vers la fin de l'ouvrage, la rendra célèbre de l'autre côté de l'atlantique, dans cette ville qui a bâtit un palais dévolu à ce genre de nature.
A propos de cette fente dont on a dit qu'elle jouait un double jeu, l'auteur, Willa Cather renforce l'image que l'on sait à l'aide d'un artifice mural dont la forme attire l'œil du jeune peintre et par extension la curiosité du lecteur. En effet, si vous voulez y voir de plus près, à la page 40, il est dit (ici, en haut),
"Violant pour la première fois son intimité pendant la nuit, il l'épia par la fente fatale,"
et quelques pages plus tôt, il est dit (ici, au milieu),
"...plongé dans le noir. Ce qui le conduisait irrésistiblement jusqu'à cette fente était plus fort que sa volonté,..."
Willa Cather avec les mots "violant", "intimité", "épia" et "fatale", use d'un vocabulaire suggestif. A propos du mot "fatale" qui qualifie la fente en question, il induit la faute et le péché tout en renfermant une charge prophétique qui semble indiquer la conclusion à cette affaire. Avec les mots "nuit" et "noir" qui accentuent le sentiment de l'intimité et de l'inavoué, l'auteur rend propice l'idée de l'impénétrabilité et paradoxalement l'idée du forfait. De plus l'adverbe "irrésistiblement" suggère l'envie et le désir. Tout se passe comme si l'auteur ne voulait rien cacher de cette conséquence naturelle du péché qui dirige nos sens dans le sens de la chair et qui fait vouloir unir frénétiquement les uns aux unes et les unes aux uns et qui pour les besoins de l'espèce et pour que celle-ci ne dégénère pas, nous fait aimer la beauté corporelle qui assurément, selon ce qu'en dit Arthur Schopenhauer, est de toutes les lois la plus ancienne et la plus puissante.
Nous avons donc sous les yeux une voluptueuse pratique qui s'appelle le voyeurisme et qui se révèle encore plus ambiguë à la page 32 quand Willa Cather suggère un émoi charnel qui en dit long sur l'inconscient de notre auteur. Je laisse le lecteur juge de cette scène subliminale (ici, en bas),
"Et quand dans un tourbillon de lumière, se déchargeait l'énergie du geste qui traçait un pied, une épaule, un menton levé, un sein dressé, c'était comme si le fusain explosait dans sa main."
Ce fameux fusain qui sert au peintre voyeur de réaliser sans le papier l'esquisse de la jeune femme qui se contorsionne derrière la fente du mur, est à proprement parlé le pendant masculin de cette fente. L'expression "se déchargeait l'énergie du geste" est alertement pictographique. Willa Cather semble dessiner l'onanisme du peintre. La main qui tient le fusain est donc animé d'une vivacité qui s'apparente à ce que l'on sait et que les verbe "dressé" et "levé" viennent directement épauler. L'expression "tourbillons de lumière" et le verbe "explosait" définissent de manière métaphorique l'extase. On ne s'attardera pas bien évidemment sur les parties anatomiques citées dans la phrases, celles-ci suffisent à établir les zones érogènes qui inspirent et excitent notre jeune peintre.
A ce propos, sous le regard de l'analyse psychanalytique il faut se pencher sur ce petit conte que le peintre narre à la jeune cantatrice, dans le jardin d'un petit hôtel français (p66 & 64). L'histoire en question relate les mésaventures d'une princesse mexicaine dont la mère, avant d'accoucher, avait rêvé qu'elle donnait naissance à des serpents. Pour le lecteur qui connait l'œuvre du psychanalyste Carl Gustav Jung (ici), la chose sera peut-être entendu. En effet, Carl Gustav Jung conta l'histoire de l'une de ses patientes qui pensait avoir un serpent dans le ventre. Si le vice, le péché et la volupté sont associés à ce reptile au corps allongé, ils le sont d'autant plus que le serpent illustre le sexe masculin qui en dedans de la femme devient cause de douleur parce qu'il engendre une puissance de souffrance qui se matérialise au moment de l'accouchement. En narrant ce conte à la jeune cantatrice, le peintre induit dans son esprit une impression incomparable de volupté et d'angoisse et qui en profondeur la prévient - puisque le serpent est lié à Eve, et qu'en étant associé de la sorte et originellement à la femme la revêt de l'image de la trahison - de bien se garder de devenir pour lui cause de malheur. D'une manière curieuse ou peut-être intuitive, l'auteur a cru bon de nommer sa belle et jeune cantatrice du nom du jardin dans le quel Eve fut la proie du serpent. Si par ailleurs on observe cette toile du peintre symboliste allemand Franz Von Stuck (ici), intitulée "La femme damnée" - on peut voir se dessiner cette fente dont on a parlé et qui se forme par le blanc de la peau qu'enroule un serpent noir coruscant, c'est à dire étincelant et dont le regard fixe le spectateur comme celui de la femme damnée qui évoque à son tour celui de la célèbre gorgone Méduse qui par ses serpents qui font figure de coiffure, symbolise que l'on nomme la femme fatale. Inclination qui se retrouve chez la jeune et belle cantatrice qui arrangé d'un corps bien fait, sémillant et ferme est disposé à le prêter aux hommes. Elle est cette femme fatale qui après avoir écouté attentivement en frémissant légèrement l'histoire conté par le jeune peintre, n'eut d'autre mouvement que de se lever et de se couvrir la gorge de son écharpe (p71). Il va sans dire que cette écharpe qui se roule autour du cou de la belle, peut évoquer ce serpent qui ceint le corps nu de la femme damnée. L'auteur, Willa Cather, peut-être fortuitement, mais certainement intuitivement, reconnecte des symboles autour du désir charnel, lequel est une force d'attraction si puissante qu'il permet à l'auteur de relier la peinture et le chant incarnés respectivement par le jeune peintre et la jeune cantatrice. Mais cette union dessinée par l'auteur ne se concrétisera pas dans le texte tant le jeune peintre va se désolidariser radicalement de la vision classique incarnée par la jeune cantatrice. Celle-ci étant affairé à ce que l'opéra honore, le jeune peintre, précurseur verra son trait de crayon obéir à la dysmorphie dont le siècle naissant dans lequel il séjourne, verra apparaître le plus illustre peintre de la déformation visuelle.
Si Aphrodite est le personnage jouée par la jeune cantatrice, il faut rappeler que cette Aphrodite est dans le texte un drame musical inspiré d'un roman de Pierre Louÿs, à qui l'on doit par ailleurs un certain nombre d'œuvre sur la femme, qui voit une galiléenne nommée Chrysis obtenir par l'intermédiaire de sa beauté et de sa longue chevelure d'or la volonté des hommes. Le lien avec la gorgone Méduse est une nouvelle fois tissée. Ainsi cette Aphrodite dépeint par l'auteur, va fleurter avec le jeune peintre dont l'appartement juxtapose le sien. Et comme on vient de l'évoquer, le lecteur sérieux aura perçu en creux la signification de ce couple en formation. En effet le jeune peintre et la jeune cantatrice incarnent respectivement l'art moderne et l'art classique. Willa Cather les met en relation à travers la dialectique de l'amour qui fait que l'un est subjugué par la beauté anatomique de l'autre et qui représente l'art classique avec ses proportions harmonieuses et que l'autre, c'est à dire la jeune cantatrice, est attiré par l'esprit aventureux du peintre et qui représente l'art moderne avec ses fulgurances et ses remises en question permanentes; en somme de l'hypocrisie de moralité. Cette promiscuité est en réalité le véritable rapport entre l'art classique et l'art moderne et bien que les deux triomphent simultanément, les deux comme on le verra à la fin de l'histoire se perdent de vue car chacun des deux ne regardent pas dans la même direction.
Pour les lecteurs qui ne connaitraient pas l'auteur, on peut ajouter à son propos quelques mots qu'on lui accorde et qui sont relayés dans la préface de ce petit livre (ici) et que je conseille de lire pour approcher Flaubert d'un point de vue de femme. Cette mots que j'ai relevés pour vous (ici), expliquent pourquoi la jeune cantatrice américaine triomphe à Paris, et il me semble également que ces mots offrent un point de basculement littéraire important qui permet d'expliquer la qualité narrative de notre auteur et qui se concrétisera par le prix Pulitzer, en 1923, pour son roman L'Un des nôtres. Lisons donc ces mot,
"En toutes chose artistique, les français ont plus de patine et de sensibilité, leurs traditions sont plus pures, plus anciennes; ils ont une connaissance instinctive de l'art de vivre, un don qui manque encore aux anglais et aux américains."
Cette sentence est idoine à tout esprit cultivé, seul le lecteur qui côtoie la grande littérature comprendra instinctivement les mots de Willa Cather, les autres, bien ancrés dans des lectures basses et sans envergures, n'entendront rien à cette sentence tant ils peinent dans la lecture des grands ouvrages. Les basses lectures les flattent tout en les éloignant de l'idée de la grandeur et auquel il faut ajouter le manque de discernement qui ne les protègent pas des mauvais choix. C'est pourquoi je dis au lecteur qui n'entendrait rien à ces propos d'éprouver les grands classiques et de les comparer aux livres faciles qui alimentent son pauvre esprit, et s'il est honnête il mesurera l'handicape intellectuel qui est le sien. Il est donc bon de rappeler qu'il n'y a point de vrai culture sans axe d'élévation moral qui exige de l'individu de dépasser ses propres mesures.
Quoi qu'il en soit, quand Willa Cather s'attarde sur la beauté de la jeune cantatrice, faisant d'elle une Aphrodite qui porte le nom du jardin des délices, elle ne fait que confirmer les propos d'Arthur Schopenhauer quand il dresse un portrait de la femme. En effet, nous verrons dans la prochaine fiche de lecture (ici), comment le philosophe allemand décrit cette nature qui plait tant à l'homme mais qui aujourd'hui, compte tenu de la frilosité intellectuelle, apparaitra comme misogyne voire phallocentrique. L'analyse d'Arthur Schopenhauer, bien que sévère demeure toutefois pertinente sur bien des aspects et le lecteur et la lectrice pourront en profiter pour comprendre l'effrayant marché mondialisé de la pornographie, lequel séduit de plus en plus de femmes qui assument cette carrière du vice que les féministes font mine de ne pas voir.
Antoine Carlier Montanari