Un Livre Que J'ai Lu (146) : Complainte De La Paix (Erasme)
Un petit mot concernant l'auteur qui est né à Rotterdam en 1467. Erasme (ici) est ordonné prêtre à 25 ans avant de voyager à travers l'Europe où il rencontrera un certain Thomas More essentiellement connu pour son ouvrage sur l'utopie. Erasme à qui l'on doit "Eloge de la folie" sera nommé conseiller du duc Charles de Bourgogne et bien qu'il s'opposera moralement au pape Jules II sur la question de la guerre, il dédiera au pape Leon X une traduction du nouveau testament. En 1517 il publie l'ouvrage que nous allons commenté et face à l'opposition croissante entre les catholiques et les réformés, il rédigera en 1534 un traité sur la concorde de l'Eglise afin qu'elle retrouve son unité. On comprend alors que cette division qui annonce les guerres de religion va le cimenter dans l'idée de la paix et de la concorde. Il est intéressant de noter, pour finir cette introduction, qu’à partir de la page 40, le mot prince est usité avec insistance et quand on sait que Erasme fut un contemporain d’un certain Nicolas Machiavel et bien qu’étant de nationalité différente, l’usage de ce vocable prend alors une résonnance toute particulière même si la corrélation est certainement fortuite. Le lecteur infatigable pourra se plonger par ailleurs dans l'éducation d'un prince qui fut écrit par Erasme en 1514.
Au fond tout est divisé nous dit Erasme (p28), et à cela la nature a infligé le devoir de se nourrir qui l’emporte sur toutes les autres considérations. Il est bien naturel que le lion mange l’antilope et que le loup mange le lièvre ou la brebis. Le lion et le loup obéissent tout simplement à leur nature prédatrice et en se comportant comme tels ils ne font qu’appliquer précisément ce que la nature leur commande de faire pour ne pas mourir. Cette obéissance absolue confirme que la volonté de tuer est une loi naturelle et demeurer sourd à cette voix de la nature c’est mettre sa vie en péril. Mais si le lion et le loup, pour ne citer que ces deux-là, car ces deux-là font bien la paire en ce qui concerne la chasse, sont capables d’une très grande violence à l’encontre de leurs proies – ils ne les haïssent pas pour autant et il en est de même envers leurs semblables quand pour des raisons de territoire, d’accouplement ou de nourriture, ils sont prêt à se battre. Des prétextes par ailleurs qui ne sont pas pris en compte par notre auteur quand il dit que le lion, le loup et les animaux sauvages ne combattent jamais entre eux (p22). Cette erreur d’observation peut remettre en question l’équilibre de son analyse, qui par manque d’une observation attentive de la nature omet de rapporter son caractère profondément martial que Howard Bloom a magistralement développé dans son ouvrage « Le principe de Lucifer ». Quand bien même Erasme souligne la bestialité naturelle de l’homme, relevant à juste titre que c’est la nature qui a infligé ce caractère violent (p21), son diagnostique demeure approximatif pour ne pas dire inexact tant il reste en surface de ce que l’on peut appeler la complexion naturelle, c’est-à-dire l’identité profonde de la nature - ce que Joseph Conrad a nommé « Le cœur des ténèbres » (ici). En ce sens Erasme quand il préconise la paix, et bien que l’on comprenne qu’elle provient de ses sentiments les plus chrétiens, omet de rappeler cette parole du Christ relaté par Matthieu (ici),
« Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Car je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison. »
(Matthieu 10-34.35.36)
Ainsi l’homme doué de la raison (p21) et de la parole n’échappe donc pas pour autant à cette loi de la nature qui exige l’affrontement, et à cela l'homme y ajoute même la haine et la volonté de nuire pour son seul plaisir. D’où vient alors cette surenchère de violence, est-ce une prestation supplémentaire de la nature ou est-ce cette part que l’on accorde au diable et qui gangrène l’homme depuis le péché originel (p26) ? S’il en est ainsi, Erasme voit le signe de la croix comme le symbole de la paix (p29). En effet, le Christ sur la croix c’est l’homme qui refuse l’épée, c’est l’homme qui refuse la guerre. En ce sens, parmi tous les exemples que l’humanité a donné à suivre, le Christ est ce modèle qui ne soit pas infecté par la haine. Il faut donc contempler, nous dit Erasme, la vie et les moindres gestes du Christ (p32). Il est le conciliateur et le prince de la paix, nous dit Isaïe. Car en ce temps où régnait l’épée, le Christ est venu ridiculiser l’épée, et non pour la rendre inerte car cela n’est chose possible en ce monde, mais pour ôter à son manche bien des mains et des cœurs. Et bien que ce prince de la paix n’ignore pas que ce monde est celui du prince de la guerre, il fit tomber sans l’ombre d’une épée, un empire trempé dans le fer.
La paix du Christ donc, cette paix que le Christ offre est sa paix, c’est celle qu’il a laissé au monde avant de partir (p37). Cette paix construit l’unité, elle unit les hommes entre eux parce qu’elle est une paix véritable qui n’est pas basée sur une parole donnée ou un traité (p59). Elle exige l’amour inconditionnel et réciproque, l’amour est sa fondation, en ce sens elle se consolide au fur et à mesure de son entendement - et selon que le prince, qui a la charge d'un royaume et d'un peuple, l’entendement qu’il se fait de la paix sera soit celle du monde avec ses trahisons et toutes ces sortes de manigances issu de l’esprit déréglé (p40) ou celle du Christ qui est celle du cœur et de l’amour. Le prince qui choisit la paix du Christ, choisi donc d’être doux, aimant, miséricordieux et pacifique. Il préférera la concorde et la paix plutôt que la guerre qu’il sait désagréable à Dieu parce qu’elle s’oppose à la vie. Mais le prince qui choisit la paix du Christ n’est pas épargné par la guerre. Les princes chrétiens ont eu recours à la guerre aussi bien que les mahométans qui obéissent à un livre sacré qui ne leur commande pas de ne pas faire la guerre. La guerre est donc bien un poison pour le cœur car si le prince chrétien fait la guerre malgré son désir de faire la paix, il se pli à la raison qui lui commande de faire la guerre pour protéger son peuple et son royaume. La guerre parait donc inévitable et malgré les bonnes intentions, la seule menace de la guerre pousse le prince à motiver la guerre pour au moins dissuader l’ennemi.
Si le prince est un vrai chrétien et qu’il prend à cœur la doctrine du Christ, quand la guerre surgit, il se retrouve alors dans une position morale intenable. Erasme pointe du doigt ce pape qui a su exciter la guerre sous le couvert de l’Eglise (p59). Ce haut prince chrétien qui éleva Rome architecturalement et politiquement, n’est certainement pas pour Erasme exempt de reproches, bien au contraire notre auteur est beaucoup plus virulent à l’encontre des chrétiens que des Turcs qui dans cette affaire, parce qu’ils sont mahométans ont l’excuse de sacrifier ouvertement aux démons, dit-il à la page 57. La guerre est donc inhérente à la nature humaine, elle l’est davantage au regard des chrétiens qui ont versé le sang parce qu’ils se tuaient entre eux (p66). Les causes de division sont nombreuses et ces causes qui naissent parfois de subtiles différences, entrainent la haine puis la guerre. C’est ainsi que même dans le cœur d’un chrétien la guerre n’est pas assez haï pour ce qu’elle est - tandis que la paix n’est pas assez aimé pour ce qu’elle est (p72). Mais malheureusement même si la guerre est prise en horreur, le prince chrétien a encore plus en horreur la fausse paix, celle qui nous prive de la liberté. C’est pourquoi la guerre demeure nécessaire pour protéger la liberté qui serait menacé par un ennemi qui a fait de la guerre un moyen de s’enrichir autrement que par le commerce. C’est pourquoi la guerre, malgré les recommandations d’Erasme, peut-être salutaire pour préserver la paix. Voyez l’armée de pharaon qui pourchassa les hébreux dans le désert et bien que Moïse ne put faire appel à sa propre armée pour se défaire de cette menace, c’est Dieu qui se chargea de stopper les chars de pharaon en les noyant dans la mer rouge après que celle-ci est laissé passer le peuple hébreu vers l’autre rive. Même l'eau qui est bon pour la vie fut ici tombeau pour la vie. Ce Dieu, nous dit Erasme, est le Dieu de l’ancien testament (p34) et il y a une différence entre le Dieu des juifs et le Dieu des chrétiens, ajoute-t-il sans pour autant affiner cette affirmation. L’exemple de David qui décapita Goliath après l’avoir tué de sa fronde, est opposé à cette nature du Christ (p35) qui ne porta jamais aucune arme. L’image du David posant le pied sur la tête décapitée de Goliath a été rendu digne par la sculpture mais le Christ sur la croix le fut davantage par la peinture, et bien que David fut sculpté aussi nu que le Christ sur la croix, David demeure le splendide guerrier qui fit couler le sang païen tandis que le Christ fit couler son sang divin pour que le sang païen ne coule pas (p37). Ces deux configurations bibliques généalogiquement liées sont deux expériences d’être différentes dont l’une s’est affranchi de l’autre en inversant le mode opératoire. Toutefois, en faisant le choix de combattre le solide Goliath, David a épargné la vie de milliers de soldats, il a été au devant de la mort en prenant sur lui la charge belliqueuse de ses ennemis, c'est en quelque sorte la préfiguration de la volonté du Christ quand celui-ci va au devant de ses juges et qu'il prend sur lui toute leurs mauvaises intentions.
Si donc le Christ inspire la paix et la concorde, il faut rappeler que seule la France, nous dit Erasme à la page 48, est cette terre choisi pour être son asile le plus sûr. La France, fille ainée de l'Eglise est donc la plus florissante de toutes les nations, privilégiant la concorde à l'autorité despotique que Jeanne mit à terre par le glaive pour avoir franchi la manche. Quiconque ne comprend pas cela, faute du culture théologique et ésotérique ne peut réellement comprendre les mots de Michelet quand il dit (ici), à propos de la pucelle d'Orléans,
" Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez-nous est née du cœur d'une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu'elle a donné pour nous."
Et bien que cette paix dont parle Erasme n'est pas celle du monde, la France en tant que première nation chrétienne porte un embryon de cette paix que le Christ a placé dans sa Mère dont les pieds ont maintes fois effleurés la terre de France. Jean-François Colosimo, dans son dernier ouvrage (ici) traduit la chose de manière profane, suggérant la consubstantialité de la France et de la paix (ici),
" la France a vocation de résister à la fatalité despotique qui régit le monde. (...) Puisque l'épée est l'axe du monde et que la grandeur ne se divise pas. (...) "La France a fait de la souveraineté une science restrictive de la force - ce qu'elle a "à dire au monde", sa marque d'universalité. "
Si Erasme a fait parlé la paix, montrant ou rappelant combien est importante celle qui dans l'être permet au coeur de trouver le repos tant convoité, il regrette qu'on ne médite pas assez sur cette paix en tant qu'elle est celle du Christ. L'autre paix que nos contemporains soutiennent perpétuellement par leurs mots, n'est pas une paix véritable, c'est une paix transitoire qu'il faut tout de même encourager mais qui est conforme à l'esprit du monde, c'est à dire qu'elle est le fruit du commerce et des désirs déréglés des hommes. En cela Erasme est juste mais cette paix véritable qui vient de celui qui en est le maitre ne doit pas être trouvé pour satisfaire quelques bienfaits passagers ou quelques volatils plaisirs incestueux mais qu'elle doit être trouvé pour elle-même, pour ce qu'elle a de bénéfique pour l'âme, pour son salut dans l'éternité. Bien des hommes profitent d'une paix toute relative et qui par l'oisiveté qu'elle peut procurer et c'est comme cela qu'elle est reconnaissable, avilissent toute leur nature en se comportant comme des faussaires de la paix qui fomentent dans leur cœur la guerre. Ils n'ont de paix que celle produite par les autres et non celle produite par eux-mêmes, voyez la France qui offre par sa politique la paix à ses habitants, et pourtant cette paix offerte est saccagée dans de nombreux quartier à cause de l'esprit de guerre qui anime un certains nombre de ses résidents.
Antoine Carlier Montanari