Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

13 Feb

Un Livre Que J'ai Lu (143) : Ressources du christianisme (François Jullien)

Publié par Alighieridante.over-blog.com

 

 Dans le sillage du livre précédent, à savoir "Christianisme et modernité", nous allons continuer à approfondir nos connaissances sur une religion qui a changé le monde et qui a universalisé la rédemption à travers une politique du salut très organisé. L'auteur, François Jullien (ici), qui est philosophe, helléniste et sinologue, et qui a écrit une bonne quarantaine d'ouvrages autour du lien, du rapport entre les civilisations et particulièrement entre l'occident et l'orient - a véritablement réfléchi sur la notion d'identité qui conduit à se développer au détriment de l'autre. Pour exemples, on peut citer "De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures" en 2008, "L'écart et l'entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l'altérité" en 2015 et "Si près tout autre, "De l'écart et de la rencontre" en 2018. Sa pensée dépasse les frontières nationales et son œuvre est publiée dans de nombreux pays dont la Chine et le Vietnam.

 François Jullien évacue de son analyse la foi et les preuves de l’existence de Dieu pour se pencher sur le sens objectif du christianisme en tant que pensée philosophique historique (p10). Cette rationalisation du christianisme qui se concentre sur la teneur étymologique du texte biblique plus que sur sa véracité (p13), se penche également sur ce supplément d’âme que le christianisme a apporté et qui à travers ses poètes a enfanté un style de vie porteur d’une sensibilité raffinée qui s’admire particulièrement dans les arts. Le développement culturel et philosophique du christianisme est lié à l’image du Christ et à l’émotion qu’elle a suscitée chez bon nombre d’artistes et de penseurs. La figure du Messie est donc le centre de cette nouvelle expérience d’être qui à travers le banquet eucharistique constitue l’unité des chrétiens. Le christianisme a fait sortir le salut et l’absolu du cadre ethnocentrisme du judaïsme, l’humanité est désormais orienté à suivre les valeurs de paix et d’amour prônées par le Christ. 

 L’incarnation, c’est-à-dire Dieu fait homme est l’irruption évènementielle du divin dans l’humanité afin que le divin ne s’étiole pas dans son essence abstraite (p74). C’est l’ère du face à face, de la communicabilité permanente entre Dieu et ses créatures. Le christianisme fait surgir le Verbe, c'est à dire le Christ qui définit non plus la vie selon les conditions imposées par la mort mais selon une définition nouvelle qui est celle apporté par sa résurrection. Cette définition de la vie qui a surgit il y a plus de deux milles ans, ne souffre d'aucune concurrence en la matière. Pour les non croyants au sens kantien, et ils sont nombreux aujourd'hui, la résurrection n'étant qu'une fable, la définition de la vie est donc strictement borné à la vie terrestre. Indépendamment donc de la foi, comme le suggère François Jullien, la vie selon le Christ est toute autre, elle est réévalué puisque la mort n'a plus d'emprise sur lui. Comment un homme peut ressusciter par lui même si plus rien ne subsiste après la mort du corps, ni esprit, ni âme? La question mérite d'être posé car le Christ en ressuscitant Lazare dévoile le mécanisme qui permet à la mort d'être vaincu. En effet Lazare ne peut pas ressuscité par lui-même, il faut que le Christ bien vivant agisse pour lui redonner la vie. Cette démonstration nous permet alors de penser qu'à la suite de la mort du Christ sur la croix, une force tiers a donc agi pour le ressusciter. Bien que cette force tiers ne soit pas visible, le Christ en acceptant de mourir sur la croix nous la dévoile. Et indépendamment du fait de croire dans cette résurrection, le simple fait de comprendre cette force de liaison permet d'appréhender la nature du christianisme, que François Jullien a nommé ressource du christianisme. De même quand l'égyptologue étudie l'histoire d'Osiris dont le corps démembré fut reconstitué par son épouse Isis, il ne se pose pas la question de savoir si la chose est vrai ou fausse, il analyse le plus honnêtement possible une rationalité étrangère à la sienne et la considère avec le même intérêt intellectuel que celui exigé par les mathématiques par exemple.

 François Jullien va donc se concentrer sur certains mots du vocabulaire biblique, de l'évangile de Jean plus précisément, pour étayer son analyse concernant l'événement Christ dont la parole, le verbe et les actes ont reconfiguré la vérité. Il faut préciser, pour le lecteur curieux, que les quatre évangiles qui composent l'essentiel du nouveau testament ont été écrit en grec à partir de notes en hébreu, sachant que le Christ parlait en araméen (p34). C’est pourquoi j’ai rassemblé dans ce tableau (ici), des mots empruntés aux Evangiles et que l’auteur a spécifiquement étudiés pour affiné leur compréhension. Ce tableau est donc composé de 5 colonnes et de 7 lignes. La première colonne concerne le mot pivot en grec ou en français, la deuxième colonne concerne sa signification, la troisième colonne concerne le sens dans lequel il faut comprendre précisément le mot en question, la quatrième colonne concerne la référence biblique et la cinquième colonne concerne les pages du livre de François Jullien dans lesquelles sont référencés les mots pivots. Six mots pivots extirpés des Evangiles vont être déployés dans ce tableau et nous allons préciser pour chacun d'entre eux le sens qui doit être le leur quand on lit les Evangiles.

  • Le premier mot est le mot grec Agapé qui signifie amour et charité. L’amour en tant qu’il est expansif et non possessif, il se déploie dans l’être et se répand sans limite. Aimer de cet amour expansif, qui se développe et qui comble au-delà de la fin, au-delà de la mort. Cet amour ne s’arrête jamais, il est pleinement une fin en soi.

  • Le second mot est le mot vérité. La vérité fait vivre, elle éclaire la vie, c’est le lieu où il faut vivre. Avec le Christ la vérité est devenu individu, elle est devenue vivante.

  • Le troisième mot est le mot grec Psuché ou nephesh en hébreux qui signifie psyché, vie ou âme. C'est resté collé au vital, y adhérer et s’y fixer. Il faut s’extraire de la vie comme l’entend le monde, il faut vivre de manière vivante, c’est-à-dire haïr le vivant comme le monde l’entend afin d’accéder au vivant comme l’entend le Christ; c’est mourir à la vie du bas pour vivre à la vie du haut. C’est accéder au vivant de la vie, c’est la vie au-dessus de la vie, c’est-à-dire la vie éternelle, à savoir l’âme qui respire, l’âme qui vit.

  • Le quatrième mot est le mot grec Zôé qui signifie vie. C'est le fait d’avoir en soi la vie dans sa plénitude, c’est-à-dire une vie qui ne meurt pas, ni avec le corps ni avec l’âme. C’est la vie éternellement vivante et cette vie éternellement vivante c’est la manne descendue du ciel dans le désert qui perpétue la vie, c’est le pain de vie qui est la chair de Jésus Christ.

  • Le cinquième mot est le mot grec Logos qui signifie le Verbe, parole, raison. Le Verbe s’est fait chair, autrement dit la raison s’est faite chair. Le Christ qui est le Verbe est la pensée en action, l’évènement advient à travers le Christ. C’est l’irruption événementielle de Dieu dans l’histoire des hommes, la naissance du Christ est marquée du point 0 sur l’échelle du temps historique.

  • Le sixième mot est le mot grec Ipse qui signifie ipséité, c'est à dire l'identité propre, le soi-même. L'absolue singularité du Christ qui est lui-même Dieu. Le Christ joint l'ipséité de l'homme à l'ipséité de Dieu. L'ipséité du Christ est définie en ce sens qu'il est homme et infini en ce sens qu'il est Dieu. Tout le soi du Christ est engagée dans la vie, son ipséité traverse la mort et annule les conditions imposées par le monde. De plus le mot Ipséité est composé du mot séité qui signifie la qualité du soi.

 

 Ces six mots constituent ce que l’auteur nomme « Ressources du christianisme ». Ces mots sont donc pivots, ils forment une signalétique de l’être selon le Verbe, le Logos, c’est-à-dire le Christ. Tout tourne donc autour de son statut divin, en tant qu’être absolu et authentiquement homme (p98). Cette qualité d’être ne peut donc finir avec la mort car la vie qui est en lui et qui prend sa source dans le Père formule déjà la Trinité dans laquelle l’Esprit Saint est le liant comme l’amour l’est pour l’être aimant et l’être aimé. Le christianisme décloisonne l’individu en faisant advenir dans la pensée l’évènement Christ qui rend possible ce qui est impossible, à savoir la résurrection de la chair. Le Christ personnifie donc la vie surabondante, il est sur la croix le fruit de la vie surabondante par lequel le chrétien annule les effets négatifs causés par le fruit défendu mangés par Eve et Adam. Le Christ qui est juif, descendant de la lignée de David, est sorti du peuple juif comme enfanté par ce peuple. Le peuple juif fut donc destiné par Dieu à recevoir la vérité révélée puis à transmettre aux autres peuples du monde, le Verbe, c’est-à-dire le Christ qui témoignera de la vérité. En ce sens le peuple juif est un type d’humanité immunisé qui introduit dans l’humanité une programmation supérieure incarné par le Messie. Le phylum hébreu, c'est à dire la lignée hébraïque - est une généalogie du salut qui témoigne de la parole divine. Selon cette compréhension, indépendamment de la foi, l'humanité qui observe le peuple hébreu, voit l'expression de Dieu se manifester devant elle car le peuple hébreu témoigne physiquement de l'action de Dieu. C'est comme observer un orchestre jouer une symphonie d'un point de vue de la salle où le chef d'orchestre ne nous serait pas rendu visible. La seule expression des musiciens - qui bougent leurs bras et leurs corps pour manier au mieux l'instrument qu'ils ont entre les mains et qui agissent ainsi parce qu'ils suivent directement les directives que leur commande leur tête qui tantôt dirige son regard vers la partition et tantôt vers cet endroit central où est placé le maestro - nous indique en réalité la présence du chef d'orchestre. Le peuple hébreu est comme l'orchestre symphonique, il est cet intermédiaire qui par son obéissance témoigne du maître qui le conduit. Le peuple hébreu est donc l'expression visible de Dieu et le christianisme est l'expression vivante de Dieu à travers le Christ qui est Dieu fait homme. De même que l'avion qui décolle ou qui atterrit rend témoignage de la présence d'un pilote malgré notre incapacité à le voir. Les propos de François Jullien réaffirment donc cette transmission du vivant divin à travers le vivant biologique et s'affirme dans ce qu'il appelle l'ipséité, à savoir la présence personnelle de Dieu dans chaque homme, c'est comme identifier la présence du vent à travers le mouvement d'une manche à air. 

 Il existe donc des similitudes entre l’analyse de François Jullien et celle du philosophe helléniste Claude Tresmontant. En effet ce dernier s’est longuement penché sur le sens originel du vocable biblique et notamment sur le mot "foi". En hébreu la foi se dit la hémounah tandis qu’en grec elle se dit pistis. La hémounah est donc la croyance associée à cette intelligence qui a su identifier l’action divine dans le cheminement du peuple de Dieu. Cette foi qui n’est pas cette foi de l’a priori, qui croit selon ses envies – est nourrie de cette intelligence qui discerne la vérité de Dieu quand elle se manifeste objectivement. Selon la compréhension biblique, la foi est la plus haute forme de l’intelligence et qui selon Descartes est réellement contraire à cette foi qui porte toujours sur des choses obscures et qui est un acte non de l’intelligence mais de la volonté comme l'est la croyance dans l'influence des signes astrologiques

 Je recommande donc pour compléter l’analyse de François Jullien, la lecture de ces deux livres de Claude Tresmontant (ici). Il faut dire que l’ouvrage de François Jullien ne peut pas être mis entre toutes les mains, seul le lecteur infatigable sera en mesure de saisir correctement ses propos, en effet la logorrhée qui est la sienne peut apparaitre alambiqué pour ne pas dire amphigourique, c’est-à-dire incompréhensible. Seul le théologien de culture grecque et hébraïque y verra quelque intérêt sans pour autant y trouver une révélation majeur qui serait susceptible de renouveler le regard du penseur qu'il est. L'analyse de notre auteur est avant tout didactique, elle a pour vocation de rappeler de manière précise et circonscrite un sens du religieux qui aujourd'hui est travesti par la modernité.

Antoine Carlier Montanari

.

Commenter cet article
T
Merci, au plaisir de vous voir ????
Répondre

Archives

À propos

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin