Un Livre Que J'ai Lu (141) : Le Grand Accélérateur (Paul Virilio)
Paul Virilio (ici) est un urbaniste et essayiste français qui a publié un certain nombre d'ouvrages sur la question de la de la modernité et de ses crises. Dans un entretien de 2011, dans le magazine Sciences & Avenir, il dénonce la tyrannie de l'instantanéité induite par les nouveaux réseaux de transmission tout en affirmant que le progrès, désormais, menace la vie. Parmi les ouvrages sur la question, on peut citer « Cybermonde, la politique du pire » en 1996, « La Bombe informatique » en 1998, et « Le futurisme de l’instant » en 2009. Bien d’autres ouvrages sur des thèmes aussi variés que le sport, l'architecture et l’art viennent étoffer la pensée de notre auteur. Paul Virilio a donc analysé les instabilités de notre époque avec un regard solide, rigoureux et surtout aguerri. Tout bon lecteur pourra profiter de sa manière de capter et de relater le caractère insidieux et traître de la modernité technique. En effet, compte tenu de ses compétences en architecture et en urbanisme, il offre un point de vue beaucoup plus structurel des problématiques liées à la modernité. Bien qu'inconnu du grand public et fort peu évoqué par nos contemporains, il intègre cette pensée française avec je ne sais quoi d’efficace qui se distingue essentiellement dans sa capacité à formuler des concepts en les structurant comme des ceintures d'historicité singulière. Nous verrons donc avec ce premier ouvrage, avant d’en aborder d’autres, comment notre auteur a entrepris la dissection des crises économiques du point de vue de l’architecture illuministe, c’est-à-dire de cette science théologico-philosophique et technique de la lumière et de sa vitesse. En ce qui concerne la pensée de notre auteur, le lecteur infatigable pourra retrouver chez des auteurs comme Michel Clouscard et Michel Bounan, pour ne citer que ces deux-là, des schémas de pensée comparables et qui sous bien des aspects se confondent. Bien entendu la logorrhée qui est la sienne n’est pas nouvelle mais elle n’est pas non plus ordinaire, il faut tout de même spécifier que Paul Virilio manie les concepts avec une phraséologie bien particulière composée d’un vocabulaire aussi techniciste que philosophique, ainsi que théologique, compte tenu de sa conversion au catholicisme en 1950. Le lecteur attentif remarquera, à ce propos, les nombreuses références religieuses qui appartiennent davantage au savoir spécifique qu'au savoir ordinaire. En la matière, notre auteur surprendra certainement le lecteur athée habitué au langage techniciste.
Paul Virilio entame donc son analyse en évoquant cette distanciation qui se creuse depuis la seconde partie du XXème siècle entre une histoire traditionnelle de l'humanité et une histoire hystérisée de l'humanité. Les mots de Winston Churchill, à la page 16 (ici),
“Si nous laissons éclater une querelle entre le passé et le présent, nous découvriront que nous avons perdu l'avenir.”
préviennent de cette fracture mémorielle qui est en train de désolidariser l'humanité de son passé. Paul Virilio insiste sur le caractère de l'instantanéité de l'histoire, de l'histoire évènementielle qui surgit et qui disparait aussitôt. La mode est le vocable pour désigner la fugacité mentale de l'homme et qui placé dans cette condition d'existentialité qui l'assèche jusqu'à l'âme, devient une antenne relais qui polarise sur elle des flux d'ondes altérées qui traversent le corps comme autant d'atomes d'uranium chauffés à blanc. Blaise Pascal parlait de ces charmes de la nouveauté qui ont le pouvoir de nous abuser et cette faculté trompeuse qui la recouvre semble nous être donné exprès pour nous ancrer dans l'éphémère, le transitoire et le périssable, tout le contraire de la durabilité et de l'éternité, thème par ailleurs hautement baudelairien. Ainsi dans ce continuum temporel d'instantanéité où le culte de l'accélération a fait passer l'homme dans une dynamique de l'immédiateté (p17), l'éphémère est le tempo avec lequel l'économie monde suréquipée en structures informatiques, régulent la psychologie collective. Le krach de 1987, celui de septembre 2008 et le krach éclair du 6 mai 2010 viennent illustrer cette affaire, la maitrise du temps dans les échanges informatiques surexcite les polarités biologiques humaines qui pour amasser d'avantage d'argent la fait circuler sur des autoroutes virtuelles qui sillonnent le monde en passant par des espaces d'enrichissement efficaces. Cette économie monde qui a chaque transaction synchronise un peu plus le vivant, se traduit concrètement à travers le sans contact de la carte bancaire et celui du Covid expansionniste.
Ce contact d'un nouveau type que Paul Virilio aurait pu développé s'il avait vécu plus longtemps, ressemble étrangement à ces atomes d'uranium 235 qui traversent tout sur leur passage à une vitesse proche de celle de la lumière et qui instantanément mélangent l'invisible et le visible tout en altérant la matière organique, c'est à dire le vivant. La terre est désormais devenue un immense four à micro-onde qui surchauffe une humanité déjà en proie à un réchauffement climatique. C'est l'ère de l'homme digital qui dirige son index sur toutes sortes d'écrans tactiles dévoués à son confort terrestre. A l'inverse, sur le haut plafond de la chapelle Sixtine, le doigt endormi d'Adam attend que le doigt vigoureux du Tout-Puissant achève son œuvre. Ce cas contact illustre à merveille le trait-d'union entre le visible et l'invisible, la matière et l'esprit. En somme, le regard au ciel est l'infini à porté de doigt, l'Adam de Michel-Ange préfigure l'homme impassible devant l'éternité, la nonchalance d'Adam illustre l'état spirituel qui est celui des hommes, et particulièrement ceux de notre époque, qui délaissent leur âme au profit de leur chair. Les vers du florentin, à ce propos, quand il fut en exil, sonnent déjà depuis plus de 7 siècles comme un avertissement (ici),
" Le Ciel qui vous appelle est au-dessus des têtes,
pour mieux vous faire voir ses beautés éternelles,
et pourtant vos regards ne quittent pas la terre :
c'est pourquoi vous punit Celui qui connaît tout."
(Purgatoire, Chant 14, dernier quatrain)
L'énorme décalage horaire trouve aujourd'hui son symbole dans le grand anneau technologique du CERN qui permet la collision de particules élémentaires en vue d’obtenir ce que les scientifiques nomment le boson de Higgs ou plus communément appelé la particule de Dieu (p73). L'auteur, Paul Virilio, bien à l'aise avec les concepts étiquettes, virevolte dans ces domaines de la pensée techniciste et qui avec une certaine aisance bouscule les artefacts de la logorrhée matérialiste qui chamboule le monde avec un alphabet qui imite la fameuse kabbale. Selon cette vision, le CERN serait un chaudron magique dans lequel les hommes de science travaillent à faire émerger le « HADRON » (p35), sorte de dieu primitif qui sonne comme un dieu antique. La science qui profite de son pouvoir est l’hadronthérapie, ses ions, c’est-à-dire ses atomes ou ses molécules qui portent une charge électrique, ont une très bonne balistique et permettent un ciblage très précis. Cet illuminisme techniciste de la lumière se retrouve désormais dans tous les environnements du progrès matérialiste et qui pour le sémiologue peut s’apparenter un culte solaire tardif (p35). A ce propos, les symboles attachés au CERN, révèlent cet illuminisme dont parle Paul Virilio. En effet, quand on observe attentivement le logo du CERN (ici, à gauche) et la statue de Shiva qui trône devant les locaux du CERN (ici, à droite), l'ambiguïté est le vocable le plus adéquat pour traduire ce que l'on ressent. Le premier symbole est donc caractérisé par deux cercles joint par cinq segments qui forment en quelque sorte deux comètes avec leur queue de plasma. Toutefois, un sémiologue, à travers ces cercles et ces segments, y verra une autre dénomination subtilement cachée. En effet, comme pour le logo de GOOGLE (ici, en bas), le chiffre 6 apparait 3 fois. Et bien que cette explication appartienne à l'interprétation et à la supposition, elle n'en demeure pas moins pertinente si l'on considère les propos de Paul Virilio concernant les menaces qu'engendre le progrès. De plus si nous tenons compte de la statue de Shiva qui dans son cercle de feu danse en tenant dans sa main droite supérieure un tambour symbolisant le son primordial de la création de l'univers et dans sa main gauche une flamme symbolisant la destruction du monde, nous pouvons raisonnablement affirmer qu'elle illustre judicieusement les effets insidieux développé par l'auteur concernant ce grand anneau technologique du CERN. Sans m'attarder sur cet aspect-là, le lecteur attentif aura tout de même perçu la charge ésotérique qui s'y dissimule et qui contrairement au profane qui admirerait la statue qui trône au dessus de la fameuse colonne de la Bastille, à la condition bien sûr que sa vue puisse atteindre cette hauteur, y verra bien plus qu'un simple adolescent ailée, et il en fera cas pour expliquer ce qui a motivé en creux la révolution qui a fait tomber la monarchie.
Pour en revenir à notre sujet, cette météopolitique du temps, nous dit Paul Virilio à la page p37 est une arche de l’instantanéité du mouvement qui facilite au cœur des machines la circulation de l’information énergétique. Finalement les délais nécessaires à la réflexion sont bousculés par les performances des supercalculateurs voués à transformer la dilatation en instantanéité, laquelle à son point de performance le plus élevé devient anticipation ou prévision. A l’échelle des particules subatomiques la chose est entendu, le tempo énergétique de ce niveau de réalité permet aujourd’hui à l’homme de contracter le réel. En effet, la maitrise du temps microscopique grâce aux composants électroniques permet à l’humanité de déléguer des tâches de contrôle de l’énergie et de la matière et qui coordonnées permettent la réalisation de projets plus ascensionnels où seul le poste de pilotage est encore laissé à l’homme jusqu'à ce que l'intelligence artificielle prennent corps.
De tels dispositifs accélèrent la réalité commune (p42), la vie sous sa forme la plus pratique et sociale est redéfini par une accélération des mouvements et des faits. Indubitablement cette orchestration du temps désoriente les consciences qui pour s’adapter doivent perpétuellement s'approprier les mises à jour du système tout en collant leur rythme cardiaque et émotionnel à celui de la machine, en un mot, s’automatiser. Autrefois, nous dit Paul Virilio à la page 45, en se référant à la règle de saint Benoit de Nursie et au système calendaire de l’historicité chrétienne, la vie ordinaire était transfigurée dans l’adoration au saint-sacrement tandis que les cloches des églises à l'instar du coq qui dévouait son chant au lever du soleil, sonnaient la présence du sacré. Ce temps de la foi dans le Ciel enraciné dans la terre par les millions de mains qui ont ensemencée des graines bénies par des mains de prêtres était une dynamique de la sédentarité où dominait le temps de la communion dominicale. Paul Virilio parle de temps monastique (p63), un temps dédié au détachement, au silence, à la solitude, à l’infini. Jean-François Millet et Claude Monet ont témoigné de ce temps qui inlassablement et tranquillement passe, non parasité par les activités furieuses des hommes. En effet les séries de paysans et de ciels, de mers et de terres (ici), ramènent à ce temps pétrifié qui ne bouge qu'au mouvement des feuilles et de l'eau qui dans ses lits traversent les terres pour aller se joindre aux grands océans qui lors des grandes tempêtes, manifestent seuls le temps furieux. Les toiles de Millet et de Monet appellent à la contemplation et à la piété du corps et de l'âme. Et parmi bien d'autres représentations toutes aussi authentiques et paisibles qui ont pris à la nature ses couleurs les plus inimitables, elles ont su dévoiler au regard les élans intimes de cette nature orchestré par le temps. Toutefois, selon Blaise Pascal, il peut y avoir vanité dans la peinture lorsqu'elle attire à elle l'admiration pour la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux! Toutefois, les toiles dont on parle témoignent d'un passé qui aujourd'hui a été remplacé par des masses de béton dans lesquelles règnent des populations ensauvagés et étrangères au mœurs françaises.
Cet axe d’élévation est désormais remplacé par un acte de communion de l’instantanéité permanente à travers les réseaux sociaux. Dans cette logique de la communication mondialisée, les individualités sont instantanément sollicitées pour propager le scandale. Les stimuli d’accroche et de captation des esprits, déjà bien analysé par Bruno Patino dans son ouvrage « La civilisation du poisson rouge » (ici), verrouille l’attention de l’individu tout en excitant les pulsions sensitives qui accroissent le stress (p68). A ce propos, Paul Virilio, à la page 71, mentionne un certain Teilhard de Chardin dont la pensée a inspiré un certain John Perry Barlow qui ne fut pas pour peu de chose dans la création du réseau numérique. Ce John Perry Barlow est justement évoqué dans le livre de Bruno Patino, lequel rappelle comme Paul Virilio, le concept de Christosphère, c’est-à-dire une conscience universelle et planétaire qui sous le vocable noosphère est une sorte de réseau planétaire des cerveaux humains connectés au Christ.
A défaut donc de monter au ciel, l’humanité expérimente la lumière dans cette cathédrale circulaire souterraine du CERN qui propulse ses particules à des vitesses astrales. De même, féru de sport automobile, elle séjourne dans ces temples à ciel ouvert qui voient des monoplaces roulées à plus de 300km/h (p77). Ces sphères d’accélération à défaut d’assomption propulsent l’humanité dans l’ère de la célérité et de la vivacité, si bien que tous les aspects de la vie terrestres sont menacés d’extinctions s’ils ne s’adaptent pas rapidement à ce nouveau mode d’exécution. A force de vouloir aller trop vite, le 6 mai 2010, le Dow Jones a dévissé brutalement, perdant mille points en quelques minutes (p69, p74, p85). Ce temps boursier piloté par des experts en krach et en héroïne est le temps qui agite le monde. En effet le krach boursier est le baromètre de la santé psychologique des énergies humaines, c’est le temps critique de l’histoire sur lequel se réfèrent les hommes. Le krach de 1929 et celui de 2008 font office de curseurs mémoriels et n’échappent à aucune analyse pour expliquer la crise du monde moderne.
De fait l’économie est devenue une science à part entière qui désormais conduit un bonne partie de l'humanité à dépenser sans compter. Le rythme avec lequel elle imprime les billets de banque permet aux politiques de tous bords et particulièrement aux socialistes européens, et maintenant américain, de financer très rapidement une politique de déplacement de population et de couvrir intégralement les frais sanitaires de millions de migrants dont la destiné est de devenir les nouveaux esclaves du marché. La seule planche à billet est devenue aussi magique que la lampe d’Aladin et les socialistes ne se privent pas d’en user pour paraitre généreux. Les largesses de la politique monétaire alourdissent les dettes souveraines qui pèsent sur les autochtones en attendant d'être remboursées. Cette dynamique de la circulation monétaire favorise en réalité le nomadisme au détriment de la sédentarité. De même le tourisme de masse qui emprunte les voies aériennes pour faire le tour du monde en quelques heures, est une étape dans l'apprentissage du nomadisme. Cette expérience du déplacement coagule les expériences d'être et les font se côtoyer comme les particules d'eau et d'huile qui sont agités par un mouvement tenace et circulaire. En ce sens le moteur de cette coagulation planétaire est la dynamique économique qui dans sa croissance offre les moyens de voyager à bas coût. Tout tient donc à cet expansionnisme monétaire qui à coup de crédits assurent à des masses de foyers la possibilité de faire des tours du monde tout en augmentant la pression polluante. Et la fameuse taxe carbone est le moyen par lequel la finance augmente son chiffre d'affaire tout en imposant son autorité.
L'humanité n'a désormais plus le temps de vivre, c'est la fin du temps naturel et le commencement de la fin des temps nous dit Paul Virilio aux pages 86 et 87. Cette fin des temps, et devant la répétition des krach financiers où les savants économistes ne savent plus interpréter les signaux d'alarmes qui se succèdent rapidement, s'annonce apocalyptique. Au regard du nombre important de bulles explosives et d'effets critiques de toutes sortes, l'humanité qui vit dans un feu bouillonnant d'incertitudes, a en réalité éteint les alarmes sonores pour ne pas avoir à contempler la dégradation anthropologique en cours. On peut rappeler, à ce propos, les mots de Mark Twain sur la locomotive à vapeur qui à l'époque incarnait la modernité technique (ici),
"Quoi! Appeler progrès ce qui facilite la mort et l'assassinat! Qui donc demande à voyager si vite? Mon grand-père? Certainement pas, et il n'avait rien d'un tocard. Il revient, je vous le dis, le vieux dragon, ce vieux dragon molochéen - et ça ronfle! ça halète! ça hurle! - là! il arrive droit à travers les bois printaniers, comme le choléra d'Asie qui galope à dos de chameau. Ecartez-vous! Voici venir l'assassin officiel! Celui qui monopolise la mort!"
Ces mots sonnent en parfait accord avec la pensée de notre auteur, on voit ainsi se dessiner la critique du progrès, et qui depuis la locomotive à vapeur qui traverse la campagne en hurlant - jusqu'à l'avion à réaction qui franchit le mur du son, ne permet plus à l'homme de jouir authentiquement de la nature et du temps qui passe.
Antoine Carlier Montanari