Un Livre Que J'ai Lu (138) : Histoires De Noël Pour Frissonner Au Coin Du Feu (Erckmann Chatrian, Gaston Leroux, Maurice Leblanc)
Ce recueil contient 3 nouvelles que le lecteur pourra apprécier s’il aime, en cette période de fêtes, les histoires angoissantes voire horrifiantes. Et bien que le titre évoque cet aspect-là, pour ma part, de ces trois récits, le dernier, celui de Maurice Leblanc, l’auteur par ailleurs d’Arsène Lupin, est des plus intelligents tant les personnages mis au-devant de la scène sont assez représentatifs de ce que nous appelons l’hypocrisie de moralité. En effet l’ironie du sort ou la providence elle-même, et je penche de ce côté-là, voudra qu’à la toute fin de l’histoire, et avec un humour particulièrement orgastique, la malchance comme la chance aient chacune leur part du gâteau. Sans détailler l’histoire, celle-ci met en scène deux sœurs de sang que le destin a étroitement lié pour ne pas dire conjugué, et qui se retrouvant dans une situation qu’aucun mortel ne devrait avoir à vivre – vont devenir les victimes de la fatalité. Il faut dire que ces deux sœurs qui ont épousées le même jour deux frères, sont devenues mère la même année avant de devenir veuve une autre même année, angoissèrent quand on vint leur apprendre que leur fils eurent un accident le même jour, à la même heure et dans la même voiture. En forçant les choses et pour satisfaire la probabilité, l’auteur, Maurice Leblanc, articule son narratif autour de la coïncidence, du hasard, de la simultanéité et de la synchronie parce que, conclue Maurice Leblanc sans le dire, tout va de pair comme le bien et le mal, la santé et la maladie, l’amour et la haine, la lumière et les ténèbres.
Concernant la première nouvelle, à savoir « La montre du Doyen », les auteurs, puisqu’ils sont deux, situent leur histoire en 1832 aux alentours de la forêt de Heidelberg. Deux amis musiciens, chemin menant sur une route entièrement recouverte de neige rencontrèrent un gros homme barbu monté sur un cheval. Ce dernier, sans véritable motif leur déconseilla, comme c’était leur destination, de se rendre à Heidelberg. Nos deux amis avides de gagner quelques sous avec leur musique méprisèrent ce conseil. Une fois arrivée à la petite auberge du Pied-de-Mouton, la petite Annette, la fille d’auberge, qu’ils connaissaient bien, leur apprend que des meurtres ont été commis dans la ville. La nuit venant, nos deux amis prirent chambre après s’être repu et s’étendirent sur la paillasse pas très loin du poêle qui maladroitement éclairait la lucarne en équerre avec ses trois vitres fêlées. Dès lors, un de nos deux amis que le sommeil n'avait pas encore absorbé, entendit les pas d’un rodeur qui vagabondait sur le toit. Ce dernier, bien à l’aise malgré son poids, enjamba la lucarne et s’immobilisa dans la chambre de nos deux amis. Le regard luminescent, un couteau ensanglanté dans la main, il déposa sur la table une grosse montre qu’il sorti de sa culotte et sous le regard de la lune qui brillait comme une hostie que la main invisible de Dieu tenait au-dessus du monde, il ressorti pour disparaitre dans une autre lucarne. A propos de l'assassin, bien que le lecteur découvrira assez rapidement de qui il s’agit, il est de ces hommes qui ne peuvent domestiquer la partie d’eux-mêmes qui ne demande qu’à faire le mal. Les auteurs, Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, tous deux nés et morts au XIXème siècle, abordent avant l’heure un thème que Robert Louis Stevenson développa dans son Dr.Jekyll et Myster Hyde. Mais ce qu’il faut retenir de cette histoire, c’est l’image subliminale du Père Noël qui se dessine à travers l’assassin. En effet, celui-ci barbu et bedonnant, et compte tenu des descriptions faites par les auteurs à son propos, on ne peut que confirmer la chose surtout au moment où celui-ci dépose la montre près du poêle à la manière du Père-Noël qui dépose au cœur de la nuit les cadeaux près de la cheminée. Ce simulacre peint par nos deux auteurs marque certainement un changement d’orientation dans ce genre littéraire, cet assassin qui a tous les traits physiques du Père Noël, devient le temps de la Noël, un négatif absolument terrifiant, et le lecteur s’en rendra compte au moment où celui-ci, pareil à un loup affamé et malgré le froid excessif considéra nos deux amis comme de potentielles proies. Cette histoire peut évoquer pour le lecteur éclectique cette autre histoire qui narre les mésaventures d'un Clown maléfique qui sous la plume de Stephen King tyrannise des enfants.
Le récit suivant, celui de Gaston Leroux, l’auteur entre autres de « L’homme qui a vu le diable » (ici), conte l'histoire d'un couple qui par dépit se sacrifia pour que leur fils unique, qu'ils adoraient par dessus tout, puisse profiter, afin de ne manquer de rien, des cent mille francs de l'assurance vie. Sans narrer de ce qui adviendra de ce joli petit monde, Gaston Leroux situe son histoire au cœur de Noël comme si cela fut propice à ce don de la vie qu'allaient faire les parents par amour pour leur fils. Bien qu'immoral, ce geste est révélateur du caractère profane de Gaston Leroux qui contrairement à Charles Dickens - dans son célèbre ouvrage "Christmas Carol" (ici) et qui conte la très grande richesse de l'un et l'extrême pauvreté des autres et qui sous le regard de la providence seront tous sauver - ne profite pas de cette catharsis qu'offre les grâces qui sont déversées en cette période qui fête la naissance d'un Dieu Sauveur. On peut toutefois admettre, dans cette histoire-là, que Gaston Leroux, pour se défaire du conte traditionnel, joue le clinicien social pour y révéler des scènes de vie qui en d'autres jours de l'année seraient de l'ordre du fait divers. Quoiqu'il en soit, dans cette histoire, le narrateur qui est le père adoptif du jeune Vincent-Vincent que les parents ont abandonné au sort en se tuant, a cette particularité de se nommer Jean-Joseph, seul le lecteur érudit, puisque aujourd'hui il faut parler d'érudition concernant le fait religieux, compte tenu de la déchristianisation culturelle et cultuelle, fera le lien.
S'il faut conclure cette fiche de lecture, il faut dire que ces trois nouvelles qui fêtent Noël à leur manière, surprendront le lecteur par leur caractère mortifère et bien que cette période de réjouissance ne soit pas vraiment propice à se plonger dans de telles lectures, il est tout de même intéressant de souligner l'impétuosité des auteurs qui se sont permis d'aller à contre courant du narratif convenu afin, certainement, de tourner la page à une affaire vieille de plusieurs siècles, qui imperturbablement enchante les hommes.
Pour finir, un mot concernant cette édition dont la tenue a je ne sais quoi de supérieur qui se remarque dès que les doigts font prendre conscience de la qualité du papier et de la souplesse à peine rigide de la couverture dont les revers ont été pensé pour marquer les pages. Pour ma part, compte tenu du prix, l'élégance est le premier qualificatif qui me vient à l'esprit, surtout au regard des illustrations qui ont été choisies pour enluminer les ouvrages, comme en témoigne ces quelques exemplaires (ici) qui sur le thème de Noël bénéficieront très prochainement d'une fiche de lecture. Si cela ne vous saute pas aux yeux, je vous invite donc a combiner votre regard au tactile en prenant possession de ces livres pour que vos doigt vous informe de ce que je viens de dire. Au plus près, la nature du papier qui compose les pages de ces ouvrages, permet à la calligraphie de s'encrer sur une douce aspérité qui rappelle ces grandes feuilles à dessin que les artistes précautionneux utilisent pour manifester leur savoir-faire. L'éditeur a donc sélectionné un blanc ivoire qui adouci la différenciation avec l'encre noire dont l'impression tranquillise la progression de l'œil. Grâce à cette agréable sensation que procure la matière sélectionnée, le lecteur est de cette manière invité à se joindre à cette époque où les grands écrivains usaient de la plume et de l'encre pour écrire sur un papier - qui aujourd'hui n'est visible que dans des musées et des salles de vente prestigieuses - leurs pensées dans une scénographie stylistique qui s'est définitivement achevée avec Marcel Proust et quelques autres auteurs dont les talents sont malheureusement négligés par les générations actuelles qui ne lisent plus que des ouvrages dont le style, aussi morne que terne, satisfait uniquement à la désespérante modicité du quotidien que l'imagination transfigure avec des scènes récréatives et que la trivialité arraisonne pour y pondre une familiarité grotesque et surtout dévalorisante.
Avec ces ouvrages on échappe bien à cela, le caractère musqué pour ne pas dire précieux de cette collection , redonne corps à la lecture et goût à la bonne lecture. Par ailleurs, l'éditeur Berg International, avec ses petits ouvrages crèmes, à cette même approche formelle, certainement bien décidé, comme notre éditeur, à honorer au mieux le contenu avec le contenant. Indéniablement, pour l'enfant que je suis, cette qualité d'ouvrage a réveillé en moi quelques souvenirs de vieux livres que mes parents m'avaient mis entre les mains afin qu'un jour, comme celui-ci, je puisse certifier comme il se doit que la lecture - en complément de ce qu'elle procure pour l'esprit - est aussi matériel qu'immatérielle. Pour les parents désirant offrir quelques ouvrages à leurs enfants, je dois dire que ces ouvrages que l'on vient d'évoquer peuvent, sans rougir, tenir la pose au pied du sapin sans qu'aucun papier cadeau ne vienne les magnifier. Si toutefois il faut tenir la surprise, bien que cela ne soit pas dommageable, faîte en sorte, comme le Père Noël en a le secret, de trouver un papier qui saura transpirer leur personnalité.
Antoine Carlier Montanari