Un Livre Que J'ai Lu (133) : Le rideau cramoisi (Jules Barbey D'Aurevilly)
18 ans après le scandale de Madame Bovary de Flaubert et celui des Fleurs du Mal de Baudelaire, les Diaboliques, œuvre phare de Jules Barbey d’Aurevilly, est retiré de la vente en 1875 par crainte d’un procès. Le scandale que suscite la femme dépravée, dans une société encore très chrétienne et très imprégnée de ce passage de saint Luc qui conte cet épisode de la prostituée qui baise les pieds du Christ et qui de son meilleur parfum le verse sur ses pieds, doit être compris dans le sens de l'abandon du vice par opposition à son édification surtout si cela sert quelques intérêts littéraires obscurs qui pouvant être mal compris seraient à même de débarrasser la conscience de la responsabilité qu'avait témoigné le Christ à la prostituée après lui avoir épargnée la lapidation, "Je ne te condamne pas non plus: va et ne pèche plus.". La résistance de la société à la mauvaise conduite de la femme est proportionnelle à cette responsabilité vis à vis du vice et bien qu'aujourd'hui on puisse mesurer assez facilement cette perte de la responsabilité au regard de l'immense succès de la pornographie dont la justice encadre et protège désormais, par un certains nombre de lois et de règlements - ce marché du vice, bien que juteux, prospère surtout parce que les individus qui constituent la société ne s'y opposent plus faute de lectures vertueuses et moralisatrices qui bien comprises et sous le regard d'un Christ bienveillant auraient bien empêchées un bon nombre d'âmes de finir dans le grand rôtissoire que Dante a visité en son temps, et qui pour y entrer, étant accompagné du grand Virgil capé de sa sombre toge, traversa le styx sur la barque du roi Phlégias qui mena tant bien que mal sa frêle embarcation en bois vert sur une eau nauséabonde de volupté que des mutins de damnés mordaient à pleines dents comme si elle fut la barque de Pierre lui-même. Et qui connait la toile de Delacroix sur le sujet, pensera à Baudelaire qui l'a amoureusement commenté et qui dans ses vers concernant ce prince de la débauche qui se nomme Dom Juan, le fit descendre aux enfers dans une autre barque qui de guide avait un vieillard du nom de Charon.
Barbey d'Aurevilly repris donc à son compte et quelques années plus tard que Baudelaire, ce personnage nauséabond dans une nouvelle (ici) et qui parmi les six nouvelles qui composent les Diaboliques, suit directement le rideau cramoisi que nous commentons aujourd'hui. Ainsi « le Plus bel amour de Dom Juan » et outre la prédation de notre bon vieux libertin, la nouvelle aborde ce pouvoir de captation de la femme, qui ayant compris le pouvoir hypnotique que produit certaines parties de son anatomie, est passée maître dans l'art d'hameçonner le sexe masculin en édifiant en art majeur la coquetterie et la séduction et qui d'astuces et de malice avaient mis corde au cou à des hommes dont l'âme avait été destiné à de plus augustes demeures. Et bien que celles dont les pièces sont les plus remarquables n’ont pas grand effort pour cueillir les hommes, elles n’en demeurent pas moins sujettes à l’inévitable comparaison avec celles dont le corps qui bien moins armé n’en demeurent pas moins redoutable pour faire flamber ce qui doit l’être. Si Dom Juan use de manigance pour profaner ce qui ne doit pas l’être, l’incarnation qu’en a faite notre auteur confirme que le diable a fait du corps un bien bel outil de sa domination. Pour entériner définitivement ce propos, je conseillerais donc la lecture du diable de Tolstoï (ici), qui met en scène une belle paysanne dont le corps a fait surchauffée un pauvre homme qui bien que marié, fut le jouet d’un désir dévorant qui le conduira à la mort. On ne sait pas si Tolstoï s’est inspiré de Jules Barbey d’Aurevilly, quoiqu’il en soit ces deux nouvelles se ressemblent étrangement et bien que la femme puisse devenir un redoutable ennemi pour l’homme, elle n’en demeure pas moins, sous les plumes ardentes de nos deux auteurs, une bien belle création que Dieu à façonner avec un soin tout particulier.
Ainsi Jules Barbey d’Aurevilly - habile à rendre vipère la femme -met en scène une passion charnelle qui fait de la femme aimée une catin domestique qui s’étant faite araignée piégea un homme pour son seul plaisir. Le Vicomte de Brassard, car c’est de lui dont on parle, fut alors devenu minotaure avec la fille d’un vieux couple à peine bourgeois et dont le spectacle offrait à la vanité une splendide représentation. Voilà une belle fille qui de ses parents, du point de vue physique, n’avait rien hérité, et qui pleine d’elle-même et de sa taille - admirablement moulée et qui aurait dû inspirer les mains d’un habile sculpteur, afin qu’il resta de cette superbe demeure un marbre que l’on viendrait admirer puis copier - jouait à en faire saliver notre vicomte du temps qu’il était un jeune officier. Il advint ce qu’il advint quand deux êtres se passionnent l’un pour l’autre, et qui bien que cette passion fut savoureuse à lire avec cette plume qui par son style non moins délicieux induit plus qu’elle ne dit - on s’étonne, au moment de la chute, et ce n’est pas peu de le dire, du choix qu’a fait l’auteur de séparer ces deux être-là. Sans dire mot de ce qu’il advint, il faut tout de même ajouter mot concernant le fameux rideau cramoisi qui orne la fenêtre. Bien que l’auteur le convoque comme l’expression de sa nature, c’est-à-dire en tant qu’ornement d’intérieur révérencieux, on peut se douter, que ce cramoisi évoque, si l’on tient compte des paroles d’Esaïe à propos du péché, au verset 18 du chapitre 1 - ce diable qui du corps - choisi demeure pour y faire besogne. A la page 56, le vicomte ne s’y trompe pas, la belle est déjà en chasse et ce n’est pas de l’amour. Les mots du vicomte sont assez explicites, (ici, en haut),
« Je ne me donnai pas d’horreur factice pour la conduite de cette fille d’une si effrayante précocité dans le mal. »
Quelques pages plus loin, à la page 68, le vicomte envoûté par la belle qu'il dessine à la lumière d’une lampe, narre cette possession avec un calme ardent (ici, en seconde position),
« C’était le visage de cette diablesse de femme dont j’étais possédé, comme les dévots disent qu’on l’est du diable. »
Deux pages plus loin, à la page 70, dès que la belle se jette dans ses bras, le vicomte témoigne à nouveau de cette fièvre qui anime les femmes (ici, en troisième position),
« Quand elle s’abandonne à ce démon que les femmes ont toutes – dit-on – quelque part, et qui serait le maître toujours, s’il n’y en avait pas deux autres aussi en elles, »
Quelques lignes plus loin, le vicomte arrimé aux lèvres de la belle comme Eros à celles de Psyché, qui engourdit du sommeil des Enfers attendit que le baiser du jeune dieu ailé la ranime, le vicomte, bien à l’aise sur ces tumescentes lèvres rouges, ajoute ces quelques mots (ici, en bas),
« - mais tout au fond, comme sur sa bouche, je vis passer de la démence ! Agrafé dans ce baiser de feu et comme enlevée par les lèvres qui pénétraient les siennes,… »
Cette incandescente demoiselle qui fit bouillonner le vicomte quand il fut jeune, a laissé d’elle sur ce dernier une empreinte, comme une brûlure que le diable a encore plus roussie que le temps (p21). Aussi fut-elle le signe possible d’un mal ancien, l’auteur l’a soigneusement fétichisé au poignet de la marquise du Vallon comme un trophée agréablement gagné. Cette noble jument avait bien honoré par sa race et même par son rang, un homme et bien d'autres, qui fut le jouet d’une fille qui chaque soir pour le rejoindre, traversait la chambre de ses parents comme une jeune chatte qui d’habile manière se frottait le dos entre les jambes de son maître.
Antoine Carlier Montanari