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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

28 Nov

Un Livre Que J'ai Lu (135) : 2 Nouvelles de Pétersbourg (Nicolas Gogol)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Nicolas Gogol

 On est à saint Pétersbourg, et plus précisément dans son artère la plus éclatante et quoiqu’elle enlumine de sa glorieuse présence la ville toute entière elle n’en demeure pas moins pour les écrivains russes une toile où l’on pose sérieusement le regard. L’auteur, Nicolas Gogol, dont la plume a signé une des œuvres maîtresses de la littérature russe, avec « les âmes mortes », nous plonge ici dans cette rue de Saint-Pétersbourg qui se nomme la Perspective Nevski, en nous décrivant ce qu’une journée de vies humaines, en ce haut lieu ou en ce bas lieu, du point de vue où l’on se situe spirituellement, peut offrir. Cette observation attentive, remarquablement dépeinte devient ce tableau qui bien que n’offrant pas les délicates imprécisions qu’a posé Claude Monet quand il a peint ses terrasses de bord de mer (ici, à gauche), se laisse toutefois admirer comme on l’est devant cette toile de Gustave Caillebotte où par temps de pluie dans les rues de Paris se promènent des passants (ici, à droite). Claude Monet dilue la ligne et atténue les contours, force la lumière au contact de l’ombre et nettoie toute espèce de précision avec le seul recours de la couleur. Là où Claude Monet donne de l’élan vital en privilégiant la luminosité de ses aplats, Gustave Caillebotte paralyse la vue comme le ferait une photographie. Il est important de distinguer cette nuance qui par ailleurs n’ôte rien au talent admirable de chacun des deux peintres, afin de mieux comprendre la qualification que je porte concernant le style de notre auteur. Si donc j’entends Gustave Caillebotte pour illustrer le style de Nicolas Gogol, il appartient à chaque lecteur de l’affilier à sa guise, selon que sa perception et ses impressions lui offrent de recommandations. Notre auteur, fidèle à la scénographie narrative russe, déploie alors comme il se doit un parterre de phrases toutes aussi descriptives que possibles et où est parsemé en ordre régulier de délicieuses observations qui avec élégance viennent consolider un style que la littérature russe offre comme un écho révérencieux à sa sœur française déjà bien auréolée.

 Si donc Nicolas Gogol avec un style beaucoup plus descriptif qu’allusif s’emploie à narrer ce que la société pétersbourgeoise a de meilleur et de moins meilleur, il tisse en réalité une dynamique de la défaite à travers deux amis, Piskariov et Pirogov, dont les élans du cœur les pousseront vers des charmes qui ne leurs sont pas destinés. Bien que la brune déclina la demande honorable du pauvre Piskariov, elle y ajouta du mépris et refusa tout net de travailler pour subvenir aux besoins de l'improbable couple. Je n’irais pas ici répéter précisément sa réplique mais celle-ci donne bonne mesure au fait que la passion absolue ne peut se produire que dans des milieux aisés et dans un mode d’existence plus élevé puisque le couple a les moyens de réaliser ses rêves et ses désirs. La chose parait convenue mais l’illustration de Nicolas Gogol souligne cette préoccupation de la femme qui étant bien consciente de sa beauté et de ses charmes, peut obtenir des hommes, comme si elle fut une toile d’un grand maître, de dépenser fortune pour l’entretenir. On comprend alors la terrible désillusion qui emporta le pauvre Piskariov vers le suicide et qui transporté au cimetière ne sera même pas salué par son ami Pirogov, bien trop occupé avec sa blonde. L’un était peintre, l’autre lieutenant mais rien de ces deux-là ne sorti qui aurait pu faire l’admiration des hommes. S'ils avaient consentit à courir autre chose que ces jupons, qui d’envoûtement et de charme tenaient précisément à cette beauté parfois excessive de la femme russe, l’un aurait peut-être eu le temps de fixer sur des toiles bien des spectacles de la société pétersbourgeoise et l’autre aurait au moins fait l’honneur de son pays en le servant admirablement.

 Cette quête de la femme ou de la muse, n'est pas sans conséquence sur l'orientation spirituelle de l'homme. En effet au regard du Christ qui resta chaste pour accomplir son devoir et qui orienta la femme vers sa part spirituelle à l'image de sa mère qui incarna dans une extraordinaire obéissance à Dieu, la bienséance et la convenance du corps, on peut dans une société très chrétienne comme l'est la société russe de l'époque, considérer que le choix de nos deux amis se fit au détriment de ces nobles convictions - et qui sous les dernières lumières de la Perspective Nevski fut, aux dires de Nicolas Gogol lui-même, à la toute fin de sa nouvelle, l'œuvre du démon lui-même. Sans moraliser à la manière d'un bigot, il faut toutefois dire, pour traduire correctement la pensée de notre auteur, qu'à la toute fin de sa nouvelle ses propos se font plus pressants sur la question du bien et du mal - à travers la Perspective Nevski qui respire l'imposture et qui ment à longueur de temps. Et comme Baudelaire par ailleurs concernant Paris, qui dans ses fleurs du mal, témoigne de cet état de confusion qui mène l'être dans une béatitude artificielle que la ville, à travers ses lumières, c'est à dire ses plaisirs en tous genre, produit grâce à ce savant chimiste qui toujours dans les fleurs du mal berce longuement notre esprit enchanté. Voici donc les mots de Baudelaire, qui en vers de douze pieds illustrent ce que la ville a de malice (ici, en haut)

"Je t’aime, ô capitale infâme ! Courtisanes
Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs
Que ne comprennent pas les vulgaires profanes."

Voyez maintenant ceux de Nicolas Gogol (ici, au milieu), il faut préciser qu'une vingtaine d'années séparent ces deux textes,

"Quand le démon lui-même allume les lampes uniquement pour faire voir les choses autrement qu'elles ne sont."

 Ce n'est pas tout, il faut remonter à la page 19 pour voir s'articuler le mot capitale, et avec lequel Nicolas Gogol enrichi la fameuse avenue afin et avec la même lucidité de Baudelaire quand celui-ci exprime sa fascination pour Paris, de rendre compte du caractère sophistiqué de la grande ville, et du piège que constitue pour l'âme ses richesses, (ici, en bas)

"qui peut s'intituler la capitale en mouvement sur la Perspective Nevski, se déroule l'exposition générale de toutes les meilleures productions de l'homme."

 Si Nicolas Gogol et Charles Baudelaire ont de ces expressions lucides à propos de la ville et sans cette même indignation qui ronge les hypocrites pour faire valoir je ne sais quelle calembredaine, ils accolent toujours ce maître chanteur qui du fond de son trou tient les fils qui nous remuent.  

 A propos de l’élégance de cette époque, qui par ailleurs a nourri cette manière d'écrire qui n'existe plus aujourd'hui, et de cette extraordinaire prestance qui de Paris à New-York et de Berlin à Moscou, endimanchaient les hommes et les femmes qui avaient extraient cette bienséance commune aux saints et aux bienheureux, l’auteur, Nicolas Gogol en bon sociologue de la vie russe, même s’il ne le fut pas, nous le résume ainsi à la page 19, dans la Perspective Nevski se déroule l’exposition générale de toutes les meilleures productions de l’homme. On peut, avec la conscience d’un lettré, comprendre la chose de manière physiologique, à la manière d’un Jules Barbey d’Arevilly quand il jugea de la beauté d’une jeune femme qui n’avait rien hérité de sa lignée du point de vue physique, et qui donc bien agréable à admirer avait acquis cette élégance du sang qui certainement avait sauté une ou deux générations. Cette qualité d’être dont parle Nicolas Gogol et qui s’affiche dans des descriptions précises qui rappellent cette fameuse toile de Gustave Caillebotte, et qui au XIXème siècle était chose bien commune, a aujourd’hui disparu de nos grandes villes où la classe supérieure qui est censé la maintenir, a par son inconséquence morale accentuée cette dégradation anthropologique que Pasolini pointa du doigt dans ses lettres luthériennes (ici).  

 Dans la seconde nouvelle qui se nomme « le manteau », Nicolas Gogol met en scène un employé de ministère ordinaire profondément attaché à son emploi et qui avait cette poisse des gens très moyens que l'on côtoie invariablement comme s'ils furent là pour vanter uniquement nos mérites. Il se trouva fort dépourvu quand son manteau, déjà fort usé et maintes fois rapiécé - et qu’il affectionnait particulièrement - le lâcha au moment où l’hiver arriva. Voulant le raccommoder une dernière fois il se rendit chez le tailleur Pétrovitch qui réparait assez habillement – malgré son œil bigle – habits, pantalons et toutes sortes de vêtements. Mais hélas, le manteau, aux dires du tailleur, ne pouvait supporter un autre rafistolage. Celui-ci lui proposa donc un manteau neuf pour 150 roubles. Dieu que c’était cher pour ce modeste employé de ministère mais dès qu’il eut rassemblé la somme d’argent il se précipita chez le tailleur pour y glisser dans ce manteau dispendieux sa frêle silhouette. Fier de cette acquisition dans laquelle il se sentait à son aise, et qui comme si elle fut une nouvelle peau offrait une aura de respectabilité qu’il était heureux de contenir, il s’offrit au regard avec un aplomb peu commun à sa nature. Mais voilà que le sort le dépouillât de son manteau et non satisfait de lui avoir retiré son précieux bien, le sort lui ôta également la vie à la suite d’une bonne angine. Mais par-delà la mort, outre-tombe pour certains, notre employé de ministère devint revenant parmi les mortels. Cette interversion ne peut éviter la comparaison avec les œuvres de Charles Dickens, lequel bien à l’aise avec les esprits et les fantômes, aurait pu tout aussi bien écrire cette nouvelle tant le caractère fantastique qui achève notre histoire est à bien des égards construit avec cette alchimie qui a fait le succès de qui on sait.

Pour achever cette fiche de lecture, il faut préciser le lien qui unit ces deux nouvelles et que l'éditeur a judicieusement  relevé afin de constituer un pont narratif qui bien qu'invisible dans un premier temps devient visible à la jointure des deux nouvelles, c'est à dire à la toute fin de la première nouvelle quand Nicolas Gogol aborde la question de l'apparence des choses. En effet, deux phrases s'articulent autour du manteau, lequel, je le rappelle, sert de titre à la seconde nouvelle et qui comme on vient de le voir sert d'atour à un homme ordinaire qui bien inconscient des mots de Pétrarque sur l'ignorance, lui est arrivé la même chose qu'à ceux qui vont au combat avec un casque éclatant mais une force insuffisante et qui à cause de cet éclat illusoire les ont exposés aux coups de plus d'ennemis. Ainsi, Nicolas Gogol, de la sorte, dessine un trait d'union avec le caractère paradeur du manteau en écrivant ceci (ici),

"Si attirant que soit l'envol du manteau d'une belle, à aucun prix je n'y laisserai aller ma curiosité … Heureux encore si vous en tirez une coulée de son huile puante sur votre élégant manteau."

 Vous aurez peut-être compris, Nicolas Gogol s'en prend d'une certaine manière à la mode, laquelle peut susciter de l'outrecuidance et qui si elle n'est pas corrigé produit à l'intérieur de l'être une sorte de poison spirituel qui oriente l'âme non pas selon les yeux de l'esprit mais selon ceux de la chair dont le désir est de convoiter les biens charnels, lesquels tendent vers le pourrissement et la mort. Pour qui connait les paroles du Christ concernant le manteau volé de Pierre, fera le lien avec les propos précédents et sauf mauvaise interprétation, qui consisterait à radicaliser la pensée du Christ, il faut observé le Christ lui-même, qui habillé communément, attira à lui non pas les yeux de la chair mais ceux de l'esprit. Quand on songe à la peau de bête qui couvrait Jean le Baptiste et à ces tenues du roi Salomon qui malgré leur splendeur n'égalaient pas la majesté des lys des champs - la parure, en fonction de sa nature, produit sur l'être une puissance soit de dignité soit de supériorité et parfois les deux quand l'être est juste. 

Antoine Carlier Montanari

 

 

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