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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

24 Oct

Un Livre Que J'ai Lu (133) : La Foi Au Risque De La Psychanalyse (Françoise Dolto & Gérard Sévérin)

Publié par Alighieridante.over-blog.com

 

 Cet ouvrage met en relation la psychanalyste et pédiatre Françoise Dolto (ici, à gauche) et le psychanalyste Gérard Sévérin (ici à droite) à propos de la foi et de la psychanalyse. Le rapport n’est pas évident tant la psychanalyse est affaire de psychologie et la foi de spiritualité. Concernant Françoise Dolto, il faut dire qu'elle était convaincue que la psychanalyse et la foi pouvaient faire bon ménage, d'où cet ouvrage que nous allons commenter. Il faut ajouter également qu'elle a été la première psychanalyste à faire une conférence à Rome sur le sujet. En effet le rapport entre la psychanalyse et la vie spirituelle permet de mettre en perspective quelques significations profondes et bien souvent cachées au regard du croyant. De plus, en 1979, elle participe à l'ouvrage "Dieu existe? oui" avec le philosophe français Christian Chabanis. Françoise Dolto va s’appuyer sur les Evangiles pour psychologiser l’humain, en effet dit-elle, les Evangiles forment une programmation abouti de l'être qui s'est ancrée d'abord dans le peuple juif pour se développer par la suite dans le peuple chrétien. L'amour est ce maître programme qui à travers le Christ a fait entrer l'humanité dans une ère de développement durable. L'occident témoigne de cette prospérité presque insolente tant le niveau de vie a progressé, aussi bien sur le plan moral que matériel. Pour Françoise Dolto, l’ancien et le nouveau testament introduisent une perspective nouvelle pour l’espèce humaine toute entière (p28). L’évènement Christ fait jaillir un sens achevé, un sens qui insère la joie et qui réalise la complétude de l'être dans une béatitude qui mène à la sainteté. En effet les Evangiles offrent à travers le Christ une dialectique de la vie et de la mort qui trouve sa jointure dans la résurrection. Le Christ invalide la mort, d’une part avec la résurrection de Lazare et d’autre part avec sa propre résurrection. Ce narratif de la guérison intégrale, c’est-à-dire physique et spirituelle, apaise l'angoisse liée à la mort. La foi dans le Christ c’est l’affirmation et la preuve du toujours-vivant. Ce qui fera dire au philosophe français François Jullien, quand Jésus dit "Je suis", il annonce une promotion de l'humanité dans son humanité-même. (1) Cette promotion de l'humain s'est faite dans le christianisme, en somme sans le Dieu-homme, sans le Christ il n'y a pas de super humanité.

 Dans cette histoire la guérison est essentielle, quand le Christ guéri les malades, il restaure le lien vital, c’est-à-dire il dit en quelque sorte au malade, je veux que tu guérisses. Cet élan vers autrui signifie en psychiatrie puissance de fécondation, le Christ est en quelque sorte géniteur, il est synonyme de vitalité et de fécondité (p67). Ainsi, les malades qui reçoivent cette puissance de vie se sont d’abord démunis d’eux-mêmes. Pour retrouver leur vitalité les malades doivent être disponible à la vie, devenir cette pâte qui sera modelé par les doigts du sculpteur (p70). En transférant sur le Christ son désir de vivre, le croyant se reconnait malade et en se reconnaissant comme tel il identifie ses faiblesses, c’est un point d’assise qui évite d’être divisé contre soi-même (p68), en reconnaissant ses fautes il demande au Christ de purifier la partie de lui-même qui est infecté. Ce désir réceptif de Dieu à travers le Christ construit l’union d’amour, le croyant se retrouve réceptacle de la puissance active et émissive de Dieu. On peut parler de puissance phallique de Dieu (p74), c’est-à-dire que Dieu à travers le Christ tend vers l'humanité réceptive en se liant à elle dans une étreinte spirituelle de fécondité. Ainsi quand le Christ dit, « tes péchés te sont remis », le pécheur retrouve alors la joie de vivre parce qu’il se sent aimé de Dieu (p68). Cette union d’embrasement peut-être symbolisé par l’expérience mystique de Thérèse d’Avila (p74). En effet la sainte fit l’expérience de ce que les catholiques appellent la transverbération, c’est-à-dire le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé d’amour, celui de Dieu. Le terme est emprunté au latin transverberare (transpercer) et qui signifie traverser de part en part. La sculpture du Bernin (ici, à gauche), témoigne de cette extase spirituelle. On est proche de l'orgasme féminin, le maître italien a choisi de magnifier cette sensation sur le visage de la sainte afin de mener le spectateur au plus près de cette intimité intracorporelle avec Dieu. Les propos de la sainte concernant cette expérience mystique sont assez explicites et vont dans le sens de cette sensualité divine et où la flèche de l'ange - en écho à la lance du centurion romain qui perça le coeur du Christ sur la croix - concentre sur elle-même la puissance phallique du Christ au sens spirituel. Voici ce qu’elle dit (ici, à droite),

« Je vis un ange proche de moi du côté gauche… Il n'était pas grand mais plutôt petit, très beau, avec un visage si empourpré, qu'il ressemblait à ces anges aux couleurs si vives qu'elles semblent s'enflammer … Je voyais dans ses mains une lame d'or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l'enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu'il l'a retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d'un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle m'arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur, était si excessive qu'on ne pouvait que désirer qu'elle se poursuive, et que l'âme ne se contente de moins que Dieu. Ce n'est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, même si le corps y participe un peu, et même très fort. C'est un échange d'amour si suave qui se passe entre l'âme et Dieu, que moi je supplie sa bonté de le révéler à ceux qui penseraient que je mens… Les jours où je vivais cela, j'allais comme abasourdie, je souhaitais ni voir ni parler avec personne, mais m'embraser dans ma peine, qui pour moi était une des plus grandes gloires, de celles qu'ont connues ses serviteurs. »

 Cette rencontre procréative avec Dieu, ne peut se faire que lorsque l’individu se place en tant qu’être obéissant voire malléable, comme le bébé avec sa mère, celle-ci lui donne toutes les forces nécessaires à son bon développement. Le bébé ne fait rien par lui-même, il se rend simplement disponible. Le Christ est dans cette position de malléabilité vis-à-vis du Père, il est, nous dit Françoise Dolto, le vitrail de Dieu, il est possédé par son Père (p77). Jésus ne vise pas sa propre volonté mais il vise celle du Père.  Cette disposition est une unité d’amour, autrement dit l’un est dans l’autre et l’autre dans l’un, ce que confirme l’évangile de Jean,

« Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; croyez du moins à cause de ces œuvres.… »
(Jean 14.11)

 Il faut donc d’abord être passif pour pouvoir être actif, mais cela ne suffit pas, le péché qui freine la vie spirituelle doit être pardonné. En effet les péchés sont des entraves au mouvement de la vie, et en occupant la pensée ils fossilisent l’individu dans le vice (p79). Les péchés s’installent dans l’être comme des tâches d'encre et qui si elles ne sont pas rapidement nettoyées deviennent indélébiles. Cette fixation du péché aspire une bonne part d'énergie vitale et tout en s'étendant par accumulation de nouveaux péchés oriente progressivement l'individu vers l'amour du péché. La guérison de l’esprit passe donc nécessairement par la confession des péchés et la remise de ceux-ci (p78). La psychanalyse n’est qu’un avatar profane de la confession puisque le psychanalyste qui écoute les névroses de son patient n’a pas le pouvoir de les lui ôter, toutefois l’élan du patient vers le psychanalyste est la preuve que celui-ci cherche bien à transférer ses fautes pour être libéré. Mais en vain, la guérison par la psychanalyse est un processus long et coûteux tandis que la confession est immédiate et gratuite. Dieu a conditionné la purification à la seule volonté du pécheur de reconnaitre ses péchés devant un prêtre. Dans son principe, la confession est salutaire puisqu’elle est conditionnée au sacrifice du Christ qui est mort pour le pardon des péchés. Le sang versé par le Christ est le prix payé pour remettre les péchés. En ce sens, le prêtre qui officie en tant que ministre de Dieu a donc le pouvoir sur terre de pardonner au pécheur. Dans la psychanalyse c’est la transaction financière du patient vers le psychiatre qui offre en quelque sorte une guérison psychologique. Le patient n’est pourtant pas lavé de ses fautes mais en payant le psychiatre il obtient en échange un sentiment d’apaisement en raison du caractère compréhensif du psychiatre. Le fait de payer procure déjà une purgation, le délestage d’une partie de son argent produit un bien être du fait que l’argent est un facteur de culpabilisation inconscient qui nous place dans la situation de celui qui aime l’argent. Bien évidemment l’avarice est un vice particulièrement courant chez l’homme et généralement l’aumône est censée la corriger du fait que c’est un acte vertueux. La psychanalyse offre donc, pour l'athée, une solution alternative mais qui donne l’impression de jeter son argent par les fenêtres du fait du caractère profane de la psychanalyse - en effet celle-ci ne tient pas compte de l'âme, elle s'intéresse uniquement à l'état psychologique du patient tout en le maintenant dans sa temporalité d'être inachevée. 

 Le sentiment de culpabilité est une notion laïque, nous dit Françoise Dolto, tandis que le péché est spirituel (p82). La culpabilité est directement liée à l’autre en tant qu’individu physique et le péché est lié à Dieu, c’est-à-dire à l’esprit. La culpabilisation dû au péché est donc moins grande parce que plus caché et moins décelable. Une injustice commise à l’encontre d’un proche est plus décelable en raison de la proximité physique et tangible de la victime. Concernant le péché, la faute est perçu de manière moins évidente puisque Dieu n’est pas un être directement sensible, l’affront qui a été commis à son endroit n’entraine pas une conséquence immédiate à cause de l'éloignement dimensionnel avec Dieu. Le péché est une notion qui touche à la vérité et comme la vérité est difficilement saisissable, le fait de péché est donc difficilement appréciable, à l’inverse le sentiment de culpabilité touche au quotidien, c’est un rapport affectif et immédiatement perceptible qui est lié à la justice. Commettre un adultère, du point de vue de la justice c’est commettre une injustice vis-à-vis du conjoint trompé et du point de vue de la vérité c’est un péché puisque c’est mal. Mais ce mal n’est pas forcément perçu à sa juste valeur tant le mal selon la vérité est objectif, c'est à dire en dehors des affects humains. De manière générale et instinctivement, l'homme conscientise le mal et le bien en fonction de sa subjectivité, c’est à dire ce qu'il veut c'est bien et ce qu'il ne veut pas c'est mal.

 La prise de conscience du péché ne se réalise donc que dans son affirmation et l’affirmer de manière orale devant un prêtre, empêche de le garder en soi comme un secret- le péché construit véritablement des prisons mentales qui maintiennent l’individu dans un état d’altération qui peut le mener à s'en accommoder par habitude. Le fait de se confesser libère de la tension nerveuse suscitée par la conscience qui préserve le péché. Le Christ, à travers le prêtre qui confesse, est ce paratonnerre qui s’offre au monde et qui prend sur lui tous les péchés du monde. Lors de l’absolution, c’est-à-dire au moment où le prêtre pardonne les fautes du pécheur, les péchés sont effacés par la puissance purificatrice du sang du Christ. Ce sang est si pur et si admirable qu’il dissout le péché à son contact. Ainsi le pécheur retrouve la paix intérieure parce que les paroles du prêtre l’ont délivrée de sa prison intérieure (p88, p89). Le pécheur est donc remis spirituellement sur ses pieds tout comme le paralytique guéri par les paroles du Christ.

 Le Christ à travers la confession remet donc l’homme en marche, en marche vers la vérité, à chaque trébuchement il peut retrouver sa droiture en allant se confesser. Ainsi il ne cumule pas un fardeau de fautes qui le retiendrait sur le chemin qui mène à la vérité. Le Christ permet la progression (p118), il tend la main de son être tout entier, aussi bien spirituellement que corporellement. L’eucharistie est comme ce lait du sein de la mère qui est offert à l’enfant. Cette communion de la mère et de l’enfant (p130) permet à la mère de donner et à l'enfant de recevoir. Cette émission réception forme une unité de communication qui produit pour la mère le plaisir de renouer le contact avec son enfant depuis que le cordon ombilical a été coupé. Pour l’enfant, le sein maternel est le moyen de retrouver le goût de sa mère (p131). Ce lait qui provient du sein maternel c’est le gout de la vie et le gout à la vie, l’enfant en buvant ce lait semble manger le sein, manger sa mère (p135), comme si il aspirait la vie de sa mère. De même manger le corps du Christ et boire son sang c’est manger la chair et boire le sang qui ont transfigurées la vie en traversant la mort, c’est en fait manger et boire la vie éternelle elle-même. Comme le confirme l’évangile de Jean (ici),

« Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour. »
(Jean 6.54)

 Par cette parole le Christ aspire à être mangé et bu par les hommes. Il est ce fruit qui est offert par Dieu pour annuler les effets négatifs du fruit défendu mangé par Eve et Adam dans le jardin d’Eden. La croix sur laquelle est suspendu le Christ est donc ce nouvel arbre de vie qui attend que l’on s’y penche pour y cueillir ce corps qui verse son sang pour le pardon des péchés. Cette symbolique est un archétype fort en occident, elle désigne une puissance de régénération qui se retrouve d’ailleurs dans des formes plus primitives telles que le cannibalisme et le vampirisme. Cela traduit, comme l’affirme Françoise Dolto, un processus anthropophagique ancien qui est ici transfiguré pour apaiser cet instinct profond de dévoration qui produit le plaisir de posséder l'autre. Ainsi la sainte hostie élevée par le prêtre au dessus de l'autel va être déposé sur les langues des fidèles pour y être digérée. Cette nourriture d’amour (p137) qui porte le vocable de transsubstantiation est devenue le sacrement le plus important de l’Eglise catholique. Le phénomène traduit la conversion du  pain et du vin en corps et sang du Christ. Autrement dit le pain et le vin sont réellement, vraiment et substantiellement transformés en corps et sang du Christ tout en conservant les caractéristiques physiques initiales du pain et du vin telles que la texture, le goût, l’odeur et l’apparence. C’est donc la présence réelle  du Christ qui se retrouve dans l’hostie consacrée. Cette présence réelle peut s’observer dans certaines photographies (ici) qui témoignent miraculeusement de cette transformation à l’œuvre. Pour le profane, la transsubstantiation doit être comprise comme le transfert du divin dans la matière, c’est un peu comme si un matériau recevait une dose raisonnable de radiation nucléaire, en apparence le matériau n’a pas changé mais de manière moléculaire, son agencement atomique a été altéré. Cette puissance qui siège dans l’hostie renouvelle la vie spirituelle du croyant, il se retrouve dans la position d’un homme qui digère un Dieu. D’un point de vue psychologique, le croyant se doit d’être un temple d’adoration pour ce Dieu qui s'est matérialisé dans sa propre chair. Cette intimité produit alors une joie d'union singulière qui le propulse dans un bien-être rationnel. L'être est alors dans une condition d'enfantement permanente de Dieu là où l'athée, pour chercher l'ivresse voire une sorte de béatitude terrestre, boit et fume des substances euphorisantes. Charles Baudelaire, dans ses fleurs du mal avait déjà signifié la chose en s'adressant directement au lecteur (ici),

"Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d'une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. "

 En guise de conclusion, il faut que je précise que pour rédiger cette fiche de lecture, je me suis appuyé sur deux autres ouvrages dont les lectures complètent les propos de Françoise Dolto concernant des notions métaphoriques et théologiques qui peuvent échapper à certains lecteurs. En effet "Le symbolisme de l'Apparition" de Léon Bloy (ici) et "Ressources du christianisme" de François Jullien (ici), ouvrent la voie à une meilleure compréhension de la révélation chrétienne. Si Léon Bloy nous plonge au cœur du mystère marial, François Jullien remonte aux sources hébraïques et grecques du christianisme. Les deux auteurs arpentent des conceptions religieuses ardues qu'il faut maîtriser si l'on veut parler de christianisme. Nous verrons donc prochainement, dans de nouvelles fiches de lectures, ces deux ouvrages qui indéniablement permettront au lecteur, qu'il soit croyant ou non, de parfaire sa maîtrise du religieux chrétien et plus précisément catholique.

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

(1) Ressources du Christianisme, ED.L'Herme, p98

 

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