Un Livre Que J'ai Lu (130) : La Folie De Dieu (Peter Sloterdijk)
"La guerre pour "l'appropriation de Jérusalem" est aujourd'hui la guerre mondiale.". Cette remarque de Derrida introduit le premier chapitre du livre. Le proche et Moyen-Orient sont donc le cœur d'une polarisation eschatologique qui contraint le monde à se positionner dans un sens ou dans l'autre. Les trois monothéismes qui attendent la fin du monde et l'arrivée du messie, prennent très au sérieux l'éventualité d'une troisième guerre mondiale. Le Pape François, le dimanche 07 juin 2015 à Sarajevo parle de cette troisième guerre mondiale livrée par morceaux. Cette lente dégradation des relations internationales est le fruit d'une paix mondiale obtenu à coup de contrats économiques et de milliards déversés à tour de bras pour ralentir l'inexorable chute d'une économie basée sur du papier. Du fait l'énorme stress qu’engendrent les dettes, et la faillite de grandes entreprises comme de petits états, pousse les nations au conflit. Ce mécanisme polémogène est toutefois confronté à la conception chrétienne de la victoire et de la défaite. En effet l'évènement que constitue la crucifixion du Christ et qui s'est largement déployé, depuis Paul de Tarse (p41), a réorienté l'histoire de l'humanité. Il est devenu évident que le retour du Christ, pour près de 4 milliards de croyants - chrétiens et musulmans, constitue une espérance face à un monde de plus en plus absurde.
L'auteur, Peter Sloterdijk (ici) est un philosophe allemand qui manie aussi bien le français que sa langue maternelle. Ses nombreux ouvrages témoignent d'une très fine connaissance de l'alchimie humaine et des axes relationnels qui fabriquent son éthos. Son analyse de la représentativité religieuse nécessite donc d'une part de la dextérité mentale tant sa phraséologie est assez composite et combinatoire et d'autre part il faut posséder une bonne compréhension de l'universalisme judéo-chrétien. S'il s'interroge sur la fonction du religieux et celle du profane tout en jonglant parfaitement avec les principaux dogmes de chacune des trois religions, il n'en demeure pas moins subtilement critique avec la dernière d'entre elles. Il caractérise l'islam comme une substance polémogène particulièrement exaltée. Son entrée sur la scène internationale il y a 1400 années ne s'est hélas pas fait de manière très chrétienne, le poème du poète syrien Mohammed Al-Maghout témoigne de cette régression des peuples qui se sont convertis à l'Islam (ici),
Il y a 1400 ans, les gens vivaient dans le désert, dormaient dans des tentes et s'éclairaient la nuit en brûlant de l'huile et du bois. Tout ce qu'ils savaient faire, c'était d'élever du bétail, mener des raids et capturer des esclaves lors des guerres. Ils combattaient, guerroyaient, bataillaient et se mariaient.
Il y a 1400 ans, ils nous ont laissé des histoires, des biographies, des textes, des hadiths qu'ils considéraient comme sacrés, à l'instar de leurs prédécesseurs.
Quelque 1400 ans plus tard, nous sommes censés penser comme eux, porter les mêmes vêtements, mener la même vie, nous livrer bataille comme eux, et nous marier comme eux.
Après 1400 ans de falsification, nous sommes censés croire tout ce qui nous a été transmis.
Après 1400 ans de malédictions contre les juifs et les chrétiens dans nos prières, et d'appels à (Allah) à les disperser, ce sont nous qui sommes privés de toute unité. Nous avons prié pour la destruction de leurs pays, et nous sommes ceux qui sommes privés de pays. Nous avons prié pour l'asservissement de leurs femmes, mais seules des femmes musulmanes ont été faites esclaves.
Nous prions pour la pluie depuis 1400 ans, mais il pleut à verse partout dans le monde hormis dans les pays musulmans.
Nous versons la zakat (dîme pour les pauvres) depuis 1400 ans, mais le nombre d'affamés et de démunis ne cesse de croître dans les pays musulmans.
O nation assoupie, ceux que tu maudis dans tes prières ont été dans l'espace et marché sur la lune. Ils ont divisé l'atome et inventé la révolution numérique, alors que tout ce qui te préoccupe, ce sont tes organes génitaux. Tu étudies encore pour savoir comment entrer dans la salle de bain, ou ce qui annule les ablutions, à part les femmes et les chats noirs. Après avoir creusé en profondeur, les érudits en sont arrivés à disserter sur le djihad sexuel, à l'inceste, à l'allaitement d'hommes adultes, aux "rapports sexuels d'adieu" avec sa femme décédée. Ils ont écrits des livres comment avoir des rapports sexuels avec les femmes et les animaux.
O nation assoupie, nos esprits n'ont-ils pas le droit d'être influencés par la connaissance, la science et la technologie qui nous entourent? Nos esprits doivent-ils rester captifs après 1400 ans ? Tant que nous utiliserons des chevaux pour labourer et des ânes pour des courses, nous n'arriverons à rien de bon!
Ce texte évoque le degré d'asservissement des individus à une religion qui bien qu'elle s'apparente davantage à une discipline de vie qu'à une réelle élévation spirituelle - est devenu une prison mentale qui enferme le fidèle dans une seule vision du monde. Le poète Mohammed al-Maghout (ici, à gauche), qui connut la prison et l'exil, tout comme son compatriote Adonis (ici, à droite), est un non conformiste qui avec la clarté de la langue arabe exprima en vers et avec un certain pessimisme la condition humaine sous l’influence de l’islam. En écho donc à Adonis, l'autre grand poète syrien, qui comme nous l'avons vu précédemment, dans son entretien avec Houria Abdelhouaed (ici), considère que Daesh incarne le crépuscule de l'islam, Mohammed al-Maghout confirme autrement la chose à travers une poésie dentelée comme un couteau. Ces deux maquisards sont l'expression d'une identité qui fut déracinée par un islam conquérant et intransigeant. Ils demeurent à l'heure actuelle, à travers leurs œuvres respectives, les témoins d'une émancipation morale et intellectuelle.
Avec l'Islam, nous dit Peter Sloterdijk, c'est l'idée de la violence sacralisée qui se réinstalle dans l'humanité. Son arrivée tardive et presque fortuite est une résurgence homérique qui a soumis toute une partie du monde à une soumission aveugle dans un Dieu disciplinaire. Allah est donc comme ce dieu olympien qui tonne longuement dans les hauteurs et qui épouvante la race des hommes à travers un prophète dont l'ombre de l'épée a persécuté et humilié ceux qui n’étaient pas d'accord avec lui. Il n’est donc pas étonnant que le Coran soit devenu pour ses disciples une sorte d'immaculée conception, à l'image de la Vierge Marie pour les catholiques (p48, p49), et même une sorte de Fils de Dieu de papier. L'Islam qui exige le sacrifice réinstalle le croyant dans un primitivisme religieux, là où le Christ l’avait révoqué. Dans cette perspective l'islam apparait comme une mise à jour d’un judaïsme abrahamique qui n’aurait pas saisi toute la modernité anthropologique du christianisme. Ce retour vers le passé, dans un contexte sensiblement chrétien, met le musulman dans une position d’arriération morale qui est essentiellement visible dans les pays où domine l'islam. En effet les droits de l’homme et de la femme sont de nature embryonnaire voire ascétique, plombé par un protocole coranique stricte.
Quant au projet révolutionnaire communiste qui fut initié au XIXème siècle sous la plume de Marx (p53), est devenue une multinationale qui se nuance en de multiples courants idéologiques et qui fomente un peu partout l’abolition de la foi dans le ciel. Ce quatrième monothéisme, entre guillemets, concurrence les monothéismes traditionnels en officialisant le doute. Cette sensibilité engendrée dans le sein christique s’est émancipée comme Lucifer s’est détaché de Dieu. Le christianisme à l’image de Dieu a donc formulé son contraire et lui a permis d’exister et même de coexister. La formulation des Lumières avec un grand L est l'incarnation politique de Lucifer qui lui-même fut créé par Dieu. Le projet révolutionnaire demeure donc la preuve que le christianisme est une religion de la liberté d'expression et qui malgré elle enfante ce qui n'est pas elle et le laisse s'émanciper comme Dieu laissant Satan en son enfer. A ce stade de développement, les deux autres monothéismes n'acceptant rien d'autres qu'eux-mêmes, perpétuent en réalité le règne de l’intolérance. Le théâtre palestinien est donc devenu l’arène où s’affrontent deux des trois monothéismes, le christianisme apparaissant comme l’agneau au milieu des loups.
Cette guerre immensément religieuse face à un pouvoir séculier est représentée par un axe planétaire qui va de Rome à la Mecque en passant par Jérusalem. Cette ligne fracture le monde en son milieu tout en dressant une plaie qui rappelle le péché originel. L'universalisme des Lumières qui a débouché sur un fascisme du bien (p84), a fait sien les mots de Machiavel affirmant vouloir faire bien ce qui a à faire plutôt que faire le bien. Le florentin ne fut pas le seul, les Lumières reprirent à Goethe cette fameuse phrase de Méphistophélès, disant vouloir toujours le bien mais faisant toujours le mal. Les Lumières ont donc enfanté un démon du bon qui se développe comme un fondamentalisme religieux (p61).
L'islam conquérant avec ses conversions forcées sous la direction des différents califats (p89), va engendrer un recul intellectuel, scientifique, politique et culturel dans toutes les terres où elle s'imposera. N'ayant pu également, faute de savoir et de compétences techniques, détecter dans les profondeurs géologiques la manne noire, les musulmans vont alors réaliser que les chrétiens, appelés aussi mécréants, ont réellement pris une avance considérable. Cette défaite civilisationnelle va leur faire prendre conscience de leur enfermement moral, l'islam n'a pas été en mesure de leur offrir les moyens de la domination par le progrès. L'identité du bédouin comme celle du prince arabe est entièrement imprégnée d'islam, d'un islam qui exige que l'on ouvre non pas des universités pour que se répande toutes sortes de connaissances mais des écoles coraniques. L'islam monopolise donc toute l'attention du musulman et oriente son énergie vitale vers la construction de mosquées tandis que les chrétiens et les juifs s'adonnent à la science, aux arts et à toutes sortes de disciplines dans lesquels se sont épanouis et s'épanouissent une multitude de talents dont les manifestations ont fait de l’occident la civilisation la plus avancé jusqu’à présent. Rappelez-vous le poème Mohammed al-Maghout cité précédemment. La vie religieuse musulmane restreint donc le champ de vision du croyant musulman de sorte que l'islam apparait comme un monothéisme de type exclusif et totalitaire qui adore un Dieu si haut et si élevé qu'il est rendu totalement inatteignable. Le point de focalisation du musulman n'est pas celui du chrétien qui lorsque celui-ci voit le Christ, voit Dieu le Père. La parole du Christ dans l'évangile de Jean est sans appel,
"Celui qui m'a vu a vu le Père"
A ce stade de réflexion, on peut dire que l'islam est devenu un surmonothéisme en écho au surmusulman du psychanalyste Fethi Benslama et au surhomme de Nietzsche. En effet le musulman a fait de Dieu une abstraction suprême qui ne peut être seulement approché que par un zèle absolu (p89). Cette forme aiguë de l'obéissance est chez le musulman la condition première pour espérer entrer dans le royaume d'Allah. Il est évident que le musulman se retrouve coincé dans un mode opératoire qui le relie à Dieu de manière non pas personnelle, affective, intuitive et paternelle mais imprécise du fait de la non visibilité de Dieu, mais également incertaine du fait de l'incertitude du caractère paternel et affectif de Dieu, sévère aussi du fait de l'omni présence de l'expression arbitraire de Dieu.
Par contre le rapport médiateur des saints dans le christianisme permet au chrétien de se rapprocher de Dieu de manière graduelle et mimétique. Le médiateur choisi et honoré par l'Eglise catholique témoigne de la sainteté du vivant, son nouveau statut de sainteté terrestre aide à comprendre que le vivant peut devenir saint s'il décide d'imiter en corps et en esprit le Christ, le grand médiateur. L'Eglise dit ainsi à ses fidèles, regarde, regarde cette vie qui a des défauts et des péchés, regarde comme elle est devenu sainte en ouvrant son cœur à Dieu. Regarde et apprend donc à travers cette vie sanctifiée comment devenir saint, cela est possible, c'est sous tes yeux.
Pour le musulman seul Mahomet est un exemple à suivre, sourate 33, verset 21. Son statut est si élevé dans le cœur des musulmans qu'il a presque fait oublier la fonction messianique du Christ. Avec le verset 21 de la sourate 33, le Coran place donc Mahomet dans une position de supériorité qui indéniablement encourage le musulman zélé à prendre l'épée plutôt qu'à tendre la joue. La lecture des sombres passages du Coran (p144) s'oppose à celle des passages lumineux car pour des raisons de collocation avec le monde chrétien, les passages les plus belliqueux provoquent une honte pour les musulmans lisant les passages les plus angéliques. Ce nouvel état de conscientisation du Coran implique un changement d'orientation qui désormais officialise l'ère de la christianisation du Coran. Cette christianisation réincrémente la figure de Issa, c'est à dire le Christ, qui dans le Coran tient tout de même la place de Messie. Les musulmans du quotidien penchés du côté des versets les plus miséricordieux, se réapproprient tout doucement Jésus en vue du jugement dernier qui approche.
Quoi qu'il en soit, l'auteur est plus proche du premier monothéisme qui des trois, à son humble avis, recueille bien plus de sympathie du fait d'être le souffre-douleur de l'humanité. Il attribue à l'islam le titre de la religion la plus mal aimée (p153) et vocifère gentiment contre un christianisme momifié. S'il relie assez facilement Moïse à Marx en passant par Jésus et Mahomet (p167), il trace en réalité l'axe d'une révélation sinusoïdale qui pousse l'humanité dans une alternative où Moïse et Jésus sont les pulsions positives et où Mahomet et Marx sont les pulsions négatives. Le suprématisme anthropologique incarné par les deux pulsions négatives est constitué d'une part par la charia et d'autre part par le communisme. Ces ordres de la non liberté religieuse ne sont que les incarnations négatives du judaïsme et du christianisme. Certains parleraient de synagogue de Satan et d'Eglise de Satan.
Pour nous aider à conclure cette fiche de lecture, j'ai extraits les mots les plus emblématiques du thème de notre ouvrage, à savoir Dieu et sa représentativité terrestre, et j'ai effectué un comptage pour chacun d'eux afin de rendre compte du degré d'attention porté par notre auteur à chacune des religions. J'ai donc recensé 13 mots que j'ai placés dans ce tableau (ici). Ce tableau est composé de 3 colonnes, la première colonne concerne les mots les plus emblématiques, la deuxième colonne concerne le nombre de fois que le mot est usité dans l'ouvrage et la troisième colonne concerne l'addition des mots d'une même religion ou d'une même idéologie. Une légende en dessous du tableau permet d'identifier plus facilement la religion en fonction de la couleur, à savoir le bleu pour le judaïsme, le violet pour le christianisme, le vert pour l'islam, le rouge pour les Lumières et le jaune pour des mots moins spécifiques. Ainsi,
- le premier mot choisi est JUDAISME, le mot est employé 33 fois.
- le deuxième mot choisi est MOISE, le mot est employé 12 fois.
- le troisième mot choisi est JERUSALEM, le mot est usité 15 fois.
L'auteur a donc fait directement référence au judaïsme pas moins de 60 fois.
- le quatrième mot choisi est CHRISTIANISME, le mot est employé 49 fois.
- le cinquième mot choisi est JESUS, le mot est employé 12 fois.
L'auteur a donc fait directement référence au christianisme pas moins de 61 fois.
- le sixième mot choisi est ISLAM, le mot est employé 60 fois.
- le septième mot choisi est le mot MAHOMET, le mot est employé 14 fois.
L'auteur a donc fait directement référence à l'Islam pas moins de 74 fois.
- le huitième mot choisi est le mot LUMIERES, le mot est employé 21 fois.
- le neuvième mot choisi est le mot COMMUNISME, le mot est employé 16 fois.
- le dixième mot choisi est le mot MARX, le mot est employé 6 fois.
L'auteur a donc fait directement référence à l'idéologie de l'athéisme pas moins de 43 fois.
- le onzième mot choisi est GUERRE, le mot est employé 16 fois.
- le douzième Mot choisi est MONOTHEISME ou MONOTHEISTE, le mot est employé 115 fois.
- le treizième mot choisi est le mot DIEU ou DIEUX, le mot est employé 161 fois.
Pas de surprise donc, les mots DIEU et MONOTHEISME sont les plus employés. La première remarque concerne les rapports entre les trois monothéismes, on peut constater que notre auteur à été beaucoup moins avare quant à la religion musulmane, puisqu'il la désigne plus souvent que le judaïsme et le christianisme. Ces deux dernières s'équivalent en référencement. Cette différence quantitative met en relief la disproportion de l'Islam par rapport aux deux autres monothéismes, en effet, l'auteur, Peter Sloterdijk accentue la distinction idéologique de l'islam qui prône une guerre sainte en appelant ouvertement au djihad. L'islam apparait donc comme une religion de la révélation guerrière qui s'exprime à travers le spectacle terroriste mondialisé et dont les effets sur la conscience collective sont plus que négatifs. Dans ces circonstances, l'islam est devenu un monothéisme colérique qui n'a pas dépassé le stade de la colère immature où le Coran est devenu un livre-Dieu. Si le prophète de l'islam est cité un peu plus de fois que MOISE et JESUS, l'auteur a également, en ce qui concerne MAHOMET et JESUS, cité en quantité non négligeable des synonymes tels que le PROPHETE, le CHRIST et le MESSIE. On peut faire remarquer que cette simple comparaison permet de mettre en évidence une bonne répartition des rôles joués par chacun des monothéismes. Quant au mot GUERRE, que l'on retrouve 16 fois, ce mot est à additionner à des synonymes comme CONFLIT et BATAILLE, et qui se matérialisent assez souvent sans que je puisse dire combien précisément. Le mot GUERRE est un mot qui est souvent associé au mot RELIGION et par conséquent il est compréhensible, au regard du titre de l’ouvrage, à savoir « LA FOLIE DE DIEU » que la notion de lutte armée soit relayée.
En ce qui concerne le quatrième monothéisme, comme le suggère l'auteur, c’est-à-dire le communisme issu des Lumières, il est en moindre mesure convoquer pour l’analyse. En effet, Karl Marx, qui n’est cité que six fois, et qui représente physiquement, au côté de son compatriote Nietzsche, l’idée antithéiste et l’idée du matérialisme spirituel, c’est-à-dire l’athéisme, est en quelque sorte devenu le prophète idéal, tant sur le plan physique (ici), que sur le plan intellectuel. Certains qui se disent ses disciples, après avoir lu son immense manifeste, lui ont attribué le titre de théologien. Si donc le communisme est une branche lointaine des Lumières, c’est-à-dire la révolte des esprits rationnels contre la foi en Dieu incarné par un catholicisme triomphant, il est selon l’auteur, une sorte de religion alternative qui a pour révélation le doute. A ce propos, le poète allemand Heinrich Heine, cité par Sloterdijk lui-même dans son autre ouvrage « Colère et temps » (ici), résume assez bien la chose (ici),
« L’anéantissement de la foi dans le ciel a une importance non seulement morale, mais aussi politique. Les masses ont cessé de porter leur misère terrestre avec la patience du christianisme, et aspirent à la félicité sur cette terre. Le communisme est une conséquence naturelle de cette nouvelle vision du monde, et il se propage dans toute l’Allemagne. »
Cette pensée de Heine est le constat d’une déchristianisation de l'occident et de la naissance d’une nouvelle charia qui entend libérer le monde des espérances religieuses. Si donc les Lumières forment un mouvement autonome de la pensée, elles réforment précisément le catholicisme d'état en prenant directement sa place. Puisant ainsi leurs symboles dans la vieille religion égyptienne pour y manifester un décorum à la hauteur de leur sagesse (p183), elles initient le règne d'une nouvelle croyance dont l'humanité pourra s'approprier à travers un évangile laïque, lequel, selon l'auteur, serait le poème didactique de Nietzsche "Ainsi parlait Zarathoustra" (p183). Le personnage en question, prophète imaginaire qui marche sur les traces d'un Christ conquérant, est devenu un célèbre cartomancien que les idoles de ce monde consultent pour des raisons carriéristes. Cette dynamique de la volonté de puissance est compréhensible si on comprend le traitre qui a vendu le Christ au Sanhédrin. Ce type de vitalité humaine surproduit de l'énergie pour un résultat qui mène au triomphe de la confusion.
Pour synthétiser cette trilogie monothéiste, l’auteur évoque judicieusement cette fable de l’anneau dont la parabole permet de mettre en perspective les fruits évoqués par le Christ quand la confusion règne dans l’esprit. En effet un homme avait un anneau qui avait le pouvoir de rendre celui qui le porte agréable à Dieu et aux hommes. Ainsi, un jour, cet homme légua cet anneau à son fils, lequel à son tour le légua à son fils et ainsi de suite tout en transmettant les effets bienfaisant de l'anneau lorsqu’il était porté. Mais un jour, le détenteur de l’anneau eut trois fils comme descendants. Avant de mourir, voulant honorer chacun de ses trois fils, il fit réaliser à l’identique deux copies du fameux anneau. Chacun des trois fils reçu donc en héritage un anneau et chacun d’eux était persuadé à cause des paroles du père données à chacun d’eux dans le secret - que l’anneau qu’il possédait était l’original. Après la mort du père les trois fils se disputèrent à propos de l’authenticité de leur anneau. Ne pouvant se départager ils firent donc appelle à la sagesse d’un juge. Celui-ci conseilla d’attendre que le véritable anneau fasse son effet et à moins que le père n’ait en réalité fait fabriquer trois anneaux neufs pour masquer la perte de l’anneau originel, il invita donc les trois fils à se montrer vertueux et méritant afin de témoigner de la valeur réelle de leur anneau. On en revient à la parabole du Christ sur l’arbre et les fruits. En effet quand il est difficile de savoir qui a raison, le Christ demande de se fier aux fruits, c’est-à-dire aux faits et non plus à la parole donnée.
Vous aurez compris le père est l'image de Dieu et ses trois fils sont les figures symboliques des trois monothéismes, le juge, quant à lui, c'est la sagesse divine. Si donc les trois religions révélées prétendent chacune détenir la vérité, c'est à dire le véritable anneau, elles doivent donc se montrer à la hauteur de leur prétention. Ainsi les fruits dont parle le Christ sont les actes accomplis par chacun des trois monothéismes et qui seuls témoignent réellement de la valeur de l'anneau. On peut affirmer raisonnablement que le véritable anneau est donc entre les mains du monothéisme qui a le mieux civilisé la partie du monde dans lequel il s'est enraciné. Le judaïsme est essentiellement greffé au christianisme, l'un et l'autre, à l'image de la Bible qui additionne l'ancien et le nouveau testament, forment en quelque sorte un seul monothéisme. Quant à l'islam, elle se détache sensiblement du judaïsme et du christianisme en affirmant l'autorité d'un prophète qui n'est pas juif. Si donc l'occident est la terre qui a accueilli le christianisme et le judaïsme et que le vaste monde arabe est le lieu de la domination musulmane, on peut dire, au regard de la condition humaine, que l'islam ne fut pas un terreau de prospérité. L'anneau lui échappe évidemment des mains. Le véritable anneau est donc entre les mains de cette partie du monde qui a vu la condition humaine nettement s'améliorer. Au regard des masses d'immigrés qui proviennent des terres où l'islam règne et qui finissent sur les terres où domine le christianisme, on peut affirmer que l'occident est le fils qui représente le mieux les qualités de l'anneau original. Il est vrai que le migrant valide cette conclusion, parce que la volonté du migrant de vouloir vivre en occident traduira pour le juge le fait que cette partie du monde a le mieux exercé les vertus associées au véritable anneau.
Antoine Carlier Montanari