Le Dessous Des Toiles : Publicité Progrès & Environnement
Cette affiche fait parti d'une campagne publicitaire lancée en été 2020 dans le métro parisien par l'association Progrès et Environnement, une ONG créée en 1971. Adoubée par l'état français, via le ministère de la transition écologique et solidaire, cette campagne publicitaire a pour but de sensibiliser sur les effets de la pollution individuelle du quotidien. Le voyageur moyen, jetant à peine un œil sur cette affiche qui montre une bouteille en plastique usagée jetée sur l'herbe d'un sentier forestier, n'y verra rien de plus qu'une sensibilisation sur l'écologie. Mais l'observateur attentif, curieux par nature, ayant l’œil affûté et l'esprit critique aura perçu bien autre chose.
Pour marquer les esprits, les créateurs de cette image ont manifestement transféré une charge libidinale qui de manière subliminale profane voire blasphème l'idée du merveilleux. Dans une époque fortement imbibée de pornographie, cette image se révèle être une illustration de cette inconscience collective déréglée et confuse. Non seulement les créateurs, comme nous allons l'expliquer, souillent l'inconscient avec une image assez suggestive mais également les contes merveilleux en incrémentant cette phrase qu'ils ont emprunté à ce genre littéraire dédié à l'enfance. En effet "Il ÉTAIT UNE FOIS" écrit en majuscule, en gros et en gras, fait référence à cette fameuse phrase qui introduit toutes les belles histoires qui nous ont enchantées depuis le berceau. La chose avait déjà commencée avec la série de films en images de synthèse Shreck qui plâtraient à chaque occasion possible l'image des rois et des princesses, afin de ridiculiser les hautes valeurs du Moyen-âge mais également de sexualiser et de transexualiser une époque qui a vu fleurir l'amour courtois.
A ce stade de développement de la société du spectacle, il n'est donc pas étonnant, comme nous allons le voir ici, de constater l'effrayante décadence morale qui a désormais contaminé une large proportion de ceux qui officient en tant que créateurs d'images. Le phénomène est plus vaste et plus complexe qu'il n'y parait, on peut même parler de sexualisation mentale, expression qui peut évoquer l'ouvrage de Pierre Klossowsky, "La monnaie vivante".
Tout d'abord évoquons le langage moral des contes comme la Belle au bois dormant, Cendrillon et Blanche Neige. Dans ces histoires l'idée de l'amour est celui de l'amour relevant du cœur et de l'intelligence et non celui des sens. En cela cet amour est une manifestation élevé du sentiment qui se nourrit de l'esprit de sacrifice et de la volonté de faire le bien. Ainsi peu à peu, à travers les différentes épreuves qui entraînent le développement individuel, se définit et s'enracine un principe supérieur qui est le don de soi. Dans la conscience collective occidentale, l'éducation par cette tradition, d'abord orale puis écrite, a façonné l'esprit de l'amour dit platonicien que le baiser du prince vient sublimer avec le retour à la vie de la demoiselle. Le conte est le moyen allégorique par lequel l'enfant intériorise les gravités existentielles et qui administrées de manière romanesque incrémentent des significations complexes qui se logent dans l'inconscience et la conscience en formation - ce que Carl Gustav Jung a nommé archétype. Le conte est une puissance fantasmé du réel qui confère une grande dignité à l'humanité et à la vie face à la mort et au péché. Le triomphe des forces du bien sur les forces du mal à travers un narratif distrayant permet de constituer un socle anthropologique qui permet d'édifier un ethos solidement charpenté.
Ainsi notre publicité ardente à critiquer la pollution de la planète procède exactement de la même manière en profanant à son tour un système de valeur qui éveille l'enfant aux réalités du monde. La bouteille en plastique usagée, étrangement orientée vers le bosquet le plus touffu et le plus sombre de la forêt, fomente l'idée, en arrière plan, d'une étreinte lascive. Pour qui connait le chemin de la cavée de Monet (ici) et qui aura saisi la charge libidinale formée par le relief plongeant, solidifiera également cette esthétique de la volupté qui s'exprime dans la publicité, dans le coin supérieur droit, à travers l'obscurité touffu de la forêt, qui, vous l'aurez compris, est cet endroit de la femme tant convoité par le sexe masculin. En effet si Monet peint involontairement une topographie qui éveille en un certain sens l'appétence, son paysage qui s'apparente à cette partie de l'anatomie visible sous l'aine de la femme nous permet de plonger dans l'inconscient du peintre et de rendre ainsi compte du pouvoir terrible de l’éros. De même, dans notre publicité, la bouteille usagée a tout d'un préservatif ayant servi, l'image formée par le plastique de la bouteille et sa base ostensiblement cerclée - évoquant l'anneau siliconé renforcée à la base de l'étui en question, induit instantanément l'image du coït. Ce même objet, avant de devenir déchet est consommation voluptueuse et jouissance stérile qui satisfait l'urgence affective. Au regard de l'amour courtois évoqué par la demoiselle vierge et le prince charmant, la bouteille plastique usagée imprime sa souillure libidinale et induit l'idée d'une sexualité animale entre ces deux êtres que les contes ont naturellement évacués. Cette marchandise usagée qui est la bouteille en plastique a vidé son contenu pervers comme un agent immédiat de la jouissance marchande. La métaphore que produit inconsciemment cette marchandise-déchet altère, blesse et assassine l'ascension poétique du conte. Voyez (ici), ces images de bouteilles en plastiques et de préservatifs à même le sol, n'est-ce pas là la preuve d'une conquête du monde ustensilaire qui produit le gaspillage et la destruction de la fertilité? L'usage recommandé de la marchandise jouissance conformément aux exigences de la croissance économique, mène à rien d'autre qu'à la dégradation universelle de l'être et de la nature. La pollution est intimement liée à la non-vie symbolisée par le préservatif, les consommateurs sont menés à l'acte de jouir plutôt qu'à l'acte de responsabilité, l'émotion voluptueuse sans conscience fait éprouver le besoin de tout corrompre par pur plaisir. La sémination laissée dans le préservatif puis jeté comme une vulgaire bouteille d'eau en plastique est devenu un comportement naturel qui traduit un besoin encore plus naturel de corrompre. L'acte même de consommer a surclasser l'acte même de raisonner. L'état pulsionnel produit par l'émotion voluptueuse privilégie la satisfaction immédiate de l'individu au dépend de tout le reste, perpétuant ainsi l'homme esclave de ses désirs déréglés. Le préservatif c'est la marchandise idéale de l'irresponsabilité et de l'immoralité et tout en exerçant une fonction évidente de doigter les conséquences naturelles. De même le déchet dans la nature est la volonté de plastiquer la fonction vitale de la nature. La vie corrompu par le plastique est désormais le suprême degré de l'involution de l'homo sapiens sapiens. Voyez cette autre affiche de notre association (ici), celle-ci révèle cette irresponsabilité à l'oeuvre en associant ce couple au déchet plastique. Nos deux tourtereaux qui se bécotent sont l'expression de l'amour consommable qui ne dure que le temps d'un été - comme le laisse comprendre le jaune de la plage. L'accumulation des déchets les laissent d'ailleurs totalement indifférent tant ce qui les intéresse est le corps de l'autre consommé dans une complète jouissance stérile, faisant apparaître le coït comme banal et insignifiant par excès de facilité. Le plastique répandu sous toutes ses formes sur la plage est à l'image du préservatif qui permet dans une grande insouciance voire une grande irresponsabilité de consommer autant de corps que possible, l'été est propice à cela et le plastique de la capote encourage avant tout cette pratique. Dans cette optique le corps d'autrui est devenu aussi consommable que les marchandises étalées autour du couple.
Tout cela est bien entendu volontaire, l'association qui encourage le recyclage a pour membres certains des plus grands producteurs de plastiques au monde, voyez par vous-mêmes (ici), la capture d'écran pris directement sur leur site. C'est l'industrie qui domine et qui profite de cette association pour se parer de vertu. Car sous le rapport de la production massive de marchandises la sensation avec l'objet est renversé et il est exigé de consommer à outrance en perdant la notion même de l'objet durable. Pierre Klossowsky qui a développé ce rapport affirme que désormais c'est la quantité qui assure la qualité, et que le marché n'a d'autres recours que le gaspillage pour assurer ses profits. L'expérimentation gaspilleuse nous dit donc l'auteur de "La monnaie vivante" est synthétisé par cette formule, construire, détruire, reconstruire indéfiniment. Les industries ont donc besoins que la marchandise périsse pour la renouveler, et le vocable approprié est l’obsolescence programmée.
En réalité la bouteille en plastique usagée qui a sa place dans la poubelle, devient exhibition de la perversité humaine lorsqu'elle est jeté en dehors de sa zone appropriée. Tout comme le crachat traduit l'introjection d'un dégoût qui doit être expulsé, la marchandise usagée traduit en quelque sorte la volonté de se séparer d'une partie de soi qui a forniqué avec la marchandise. La bouteille en plastique usagée est cette matière morte qui doit retourner à la nature sauf que la nature ne l'a reconnait plus et l'a rejette d'autant plus qu'en devenant plastique elle est devenu étrangère à elle même. Et quelle que soit la nature de la marchandise qui est jeté, l'individu en faisant cela et bien que l'irresponsabilité soit de la partie -en parti, la volonté inconsciente de se débarrasser immédiatement de ce qui est considéré comme un fardeaux, traduit un besoin de trouver un bouc émissaire et dans ce cas précis la nature joue alors le rôle de ce bouc-émissaire. La marchandise/déchet/fardeaux est donc jeté pour salir l'innocent, ce qui confirme le processus de contagion de la profanation. La marchandisation du monde c'est l'introjection permanente du principe de corruption qui développe le principe de l'avoir au détriment du principe de l'être. Le sujet est passé dans l'objet avec la domination de la marchandise sur l'homme et où la marchandise est un appât avec lequel on attire à soi l'être de l'autre pour le corrompre. Si le préservatif fut essentiellement préconisé pour protéger les homosexuels du sida, il est donc devenu la marchandise emblématique de la sodomie et par extension de la profanation, c'est la permission de la débauche et non l'exhortation au principe de précaution. Un rapport sexuel impose donc un préservatif neuf à usage unique, l’hygiène qui impose ce geste est en soi nécessaire mais elle entraîne une faute morale qui est dangereuse pour l'âme. En vérité l'hygiène ne privilégie pas la santé mais bel et bien la jouissance, en garantissant le plaisir et en prônant le préservatif l'individu remet sa vie dans un morceau de latex ou de polyuréthane. De fait le consommateur pense que le plastique préserve naturellement la santé et inconsciemment il produit l'idée que le plastique n'est pas vraiment dangereux pour l'environnement.
Ainsi, comme on vient de le dire, l'usage unique du préservatif, qui par ailleurs permet à l'industrie de produire davantage, se retrouve curieusement dans le titre "Il était une fois". Et bien que cette expression soit directement emprunté au narratif du conte traditionnel, sa signification est subtilement détourné au profit de la fréquence d'utilisation du préservatif. Vous aurez compris, les concepteurs de cette publicité ont joué avec les mots, des mots voués à l'enfance, à l'innocence et au merveilleux. Il y a là, comme dirait Pier Paolo Pasolini, quelque chose qui blesse obscurément (1).
Cette ambiguïté est la conséquence d'une lésion profonde de la société qui ne peut faire autrement que de salir tout ce qu'elle touche. Et bien que l'association travaille à la rééducation collective, son message adoube d'une part la consommation massive en recommandant le recyclage et d'autre part elle offre une bonne conscience à l'industrie marchande. Le projet de cette association n'est pas de remettre en question l'aliénation qu’entraîne la consommation mais bel et bien de poursuivre le rêve capitaliste de la soumission de l'individu à la marchandise. En cela, l'acte de consommer et de recycler révèle la manière dont l'individu perçoit l'usage, à la fois de l'objet mais également du corps d'autrui en tant qu'objet de volupté à consommer puis à jeter. La dégradation subliminale de la relation saine présente dans le conte est une pollution morale qui sévit aujourd'hui à l'encontre de tous les espaces traditionnels et sacrés que la civilisation chrétienne nous a laissée. La lutte de cette association est vaine dans le sens que ce qu'elle préconise de la main droite est défait par sa propre main gauche qui travaille dans le sens de la production de masse de la marchandise.
Antoine Carlier Montanari