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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

22 Mar

Un Livre Que J'ai Lu (120) : Art & Psychanalyse (J.-D Nasio)

Publié par Alighieridante.over-blog.com

 

 Tout d'abord nous allons parler un peu de notre auteur. Juan-David Nasio (ici) est un psychiatre, psychanalyste et écrivain français d'origine argentine. Outre ses nombreuses distinctions il a publié un certain nombre d'ouvrage sur la psychanalyse dont,

  • L'hystérie ou l'enfant magnifique de la psychanalyse, paru en 2001
  • Le livre de la douleur et de l'amour, paru en 2003
  • La douleur physique, paru en 2006
  • L'Œdipe. Le concept le plus crucial de la psychanalyse, paru en 2012
  • Comment agir avec un adolescent en crise? paru en 2013
  • et Oui la psychanalyse guérit! parut en 2016

 Il est intéressant de noter que son oeuvre est traduite en plus de douze langues et qu'il a fondé, en 1986, les Séminaires psychanalytiques de Paris.

 Nous allons séparer cette fiche de lecture en trois parties. La première partie sera consacré, à travers quelques unes des œuvres de Félix Vallotton, à l'angoisse développé par le peintre à l'encontre de la femme et plus spécifiquement à l'encontre de la femme fatale. La deuxième partie sera consacré aux archétypes maternel et paternel qui ont rayonné sur la cantatrice d'origine grecque, Maria Callas. En troisième partie et en guise de conclusion, à travers une oeuvre du peintre Francis Bacon analysé par notre auteur, nous aborderons la décadence tout en identifiant certains ressorts psychologiques qui relie l'artiste à son oeuvre et que notre auteur a cru bon de mettre en évidence pour asseoir sa thèse. 

 

PREMIÈRE PARTIE

(L'inconscient de Félix Vallotton)

 Qui connait le peintre Vincent Van-Gogh sait que son oeuvre est quelque peu nourri d'autoportraits, lesquels nous dit l'auteur, Juan-David Nasio, sont l'expression d'un narcissisme peut-être maladif (p19). Dans le cas qui nous intéresse, à savoir celui de Félix Vallotton, la réflexion de notre psychanalyste-auteur établi une relation entre l'extérieur de soi et l'intérieur de soi, l'image peinte de soi révèle un dialogue avec soi-même tout en dévoilant subtilement des émotions bien enfouies en soi. L'idée que l'on se fait de soi est souvent influencé par la vision que les autres ont de nous mais quand le regard du peintre se pose sur lui-même et qu'il dirige le pinceau sur la toile pour représenter ce qu'il voit dans le miroir, il le dirige en fonction d'affects dominateurs et parfois invisibles. La tristesse et la joie de vivre vont être par exemples des catalyseurs essentiels. Dans cet autoportrait à la robe de chambre, peint en 1914 (ici),

le peintre, Félix Vallotton a savamment arrangé un masque de sa propre angoisse. L'auteur, Juan-David Nasio, tisse le lien entre cet autoportrait et un passif tourmenté où le jeune Vallotton s'était imaginé être la cause involontaire de trois accidents sur des personnes qu'il aimait (p20). Notre psychanalyste en profite pour distinguer la douleur de l'angoisse. En effet la douleur c'est le passé et le présent, c'est à dire la perte d'un parent ou une maladie par exemple tandis que l'angoisse c'est l'avenir, c'est à dire la promesse d'un tourment ou la crainte d'une mauvaise nouvelle. Si dans son roman autobiographique, "La vie meurtrière", Félix Vallotton dénude sa culpabilité (p21), elle est, suivant notre psychanalyste, transcrite de plusieurs manières sur l'autoportrait. Effectivement, l'homme sur la toile semble méditatif, happé par une pensée dont on devine qu'elle ne lui plait guère, tant son regard à demi caché par ses petites lunettes rondes, nous fixe avec une étrange insistance, mais ce n'est pas nous qu'il fixe c'est son reflet dans le miroir qu'il fixe. Il se peint comme il se voit et il peint avec un air grave et sérieux où transparaît une sorte d'évanescence introspective qui se remarque essentiellement au niveau de l'abstraction colorée derrière lui. Cette abstraction colorée composée de nuances variées et diverses, traduit en quelque sorte les sentiments de l'artiste. Les teintes verdâtres et rosâtres semblent appuyer la pigmentation du visage afin de solidifier inconsciemment l'idée de la chair et de la terre, c'est à dire la matière tandis que les touches de bleu plus au centre, en écho aux cheveux gris et blanc des tempes de l'artiste et coincées entre les teintes verdâtres et rosâtres, reflètent le ciel et la pensée, c'est à dire l'esprit. Cette confrontation houleuse souligne subtilement et presque imperceptiblement, une lutte intérieure. Le peintre est en réalité tourmenté par ses affects, il est si absorbé intérieurement que c'est tout l'autoportrait qui apparaît comme l'illustration d'une introspection.

 Il faut ajouter à cela, la possibilité que la palette avec ses pinceaux, au premier plan en bas, forment une sorte d’allégorie guerrière qui fait de la palette un bouclier et les pinceaux des flèches. Dans cette posture notre peintre semble être sur la défensive, la culpabilité dont nous parle l'auteur, Juan-David Nasio, travaille bien à l'insu du peintre. Ainsi cette culpabilité alimenté par les prétendus accidents qu'il aurait provoqué, nourri en quelque sorte l'angoisse de vivre un bonheur immérité parce que se sentant inconsciemment coupable il engendre en lui-même un désir de punition pour compenser les fautes commises. Il faut également faire remarquer que la moustache épaisse légèrement hirsute contraste avec une coiffure impeccablement coiffée et gominé, de même son œil droit est porté à la lumière tandis que son œil gauche est dans l'ombre, tous ces éléments même si ils ne sont pas déterminants, peuvent révéler une contradiction psychologique à l'oeuvre. 

Ce qui nous mène à cette autre toile de Vallotton, "l'homme poignardé" peinte en 1916 (ici),

L'homme allongé et mort présente sa dépouille au ciel alors qu'un poignard enfoncé dans sa poitrine et anonymement placé là, témoigne qu'un crime a été commis. C'est la main du peintre qui a placé le poignard à cet endroit précis et par extension c'est le peintre lui-même qui a tué cet homme (p27). Outre que la peinture a été exécuté en pleine période de guerre et que l'homme poignardé peut être identifié comme le soldat inconnu, le geste tragique qui a mené cet homme à rendre l'âme est la révélation de la mort qui approche. Félix Vallotton, par projection, a vraisemblablement réalisé, de manière inconsciente, son autoportrait. Il va sans dire que la culpabilisation évoqué plus haut se concrétise ici à travers la dépouille gisant sur le sol. Il faut peut-être rapprocher cette peinture du chef d'oeuvre de Michel-Ange présent dans la chapelle Sixtine, où Adam, léthargique reçoit de Dieu vitalité et autorité. Il semble que la peinture de Vallotton s'oppose à celle du maître italien dans le sens où le ciel chargé de nuages bleus et sombres qui entourent la dépouille de l'homme poignardé répond à celui d'Adam où flottent sereinement, dans un ciel ensoleillé, Dieu et ses anges. Là où Michel-Ange donne la vie, Vallotton la retire. 

L'homme ainsi vaincu peut l'être également d'une toute autre manière. En effet, Félix Vallotton, dans une toile intitulée "Homme et femme", peinte en 1913 (ici),

fait surgir une femme nue en lutte avec un homme tout aussi nu. Cette femme c'est la figure peu rassurante de la femme fatale, de la femme lubrique qui horrifie certains hommes et les émascule par une sexualité assumée (p35). Pour Félix Vallotton le corps nue de la femme est une force de la nature qui peut mettre en échec la virilité de l'homme, celui-ci devient impuissant et cette impuissance se traduit dans la peinture à travers un jeu d'affrontement charnel où le libidinal est exprimé par la main de l'homme sur le sein de la femme. Félix Vallotton se méfie donc de ce corps à corps qui fait de la femme non pas une mère mais plutôt une Silène (p37). Ce n'est pas l'enfant au sein de sa mère pour se nourrir qui est montré mais l'homme qui prend le sein pour son propre plaisir. Ce genre de femme le paralyse comme le poignard dans la poitrine de l'homme allongé et mort. C'est la femme-mère qu'il préfère, c'est avec elle qu'il va trouver la sécurité et la tendresse car cette relation apaisante et régressive lui demande davantage d'être un enfant qu'un homme.

 Ainsi la toile intitulée "Le ballon", peinte en 1899 (ici),

illustre parfaitement cet état d'esprit du peintre. En effet la petite fille qui avec son ballon s'est éloignée de sa mère, ne se soucie pas de savoir où se trouve sa mère parce qu'elle porte sa mère en elle (p31). En regardant plus attentivement cette toile, on remarque que la ballon est dans l'ombre des arbres et que la petite fille s'agite dans la lumière non pas pour le ballon mais pour la petite balle rouge qui se trouve devant elle. Le peintre a dupé le spectateur qui n'est pas attentif, pas attentif comme un enfant, et de même nous ne faisons pas vraiment attention aux deux dames qui dans le fond et dans une petite étendue ensoleillée, s'opposent par leur immobilité au dynamisme de la petite fille dont le chapeau de paille jaune joue le rôle du soleil, lequel lie en réalité la dame vêtue de blanc que l'on suppose être la mère, et la robe blanche de la petite fille. Cet éloignement géographique induit l'émancipation en devenir de l'enfant et particulièrement vis à vis de la mère. Le ballon, quant à lui, dans l'ombre, représente le père qui dans l'esprit du peintre est absent. A cela le peintre a cru bon d'empourprer, pour des raisons que j'ignore encore, les chaussures de la petite fille, le ruban autour du chapeau et la petite balle. Je puis au moins dire que le rouge joue un rôle important dans l'oeuvre de notre peintre, en effet "La chambre rouge, Etretat"  peinte en 1899 (ici),

fait dominer l'écarlate tout en l'associant à la femme afin de symboliser, peut-être, et si l'on tient compte de la charge libidinale que sous entend la chambre, la ménorrhée. Si dans la toile précédente le rouge est associé à la petite fille, ici il est associé à la femme désexualisée. Une analyse psychanalytique permet de mettre en évidence l'absence ou la fin de la sexualité, en effet sur la partie gauche de la toile, séjourne une cheminée éteinte et sur la partie droite, sur un chandelier, une bougie consumée et toute aussi éteinte. Cette double symbolique des sexes est assez explicite pour penser que notre peintre a ici volontairement éloigné l'idée de la femme séductrice. Il faut ajouter les fleurs dans le vase au dessus de la cheminée, qui indiquent non plus le temps de la pollinisation ou de la fécondation mais le temps de la naissance et de l'éducation, d'où la toute petite fille assise sur le tapis. Notre peintre veut voir des mères plutôt que des femmes (p38) et bien qu'un certain nombre de ses œuvres représentent le beau sexe dans sa nudité, et à la manière des femmes de Degas au bain, il les représente inconvenantes, coincées dans des dispositions sensiblement discordantes voire menaçantes et ostentatoires (p38). La femme nue assise dans un fauteuil rouge, peinte en 1897 (ici),

dévoile la femme chair et qui amorphe et avachie dans un fauteuil rouge forme, si tant est qu'on puisse le dire, une piéta inversée. Sans trop pousser l'analyse dans ce sens-là, il faut tout de même souligner que Félix Vallotton dévitalise ainsi le corps de la femme. Cette femme endormie à la chair flasque et aux seins pendant a donc tout d'une femme qui a connu la maternité. En effet elle semble exténuée et démoli par les épreuves et c'est peut-être comme cela que Félix Vallotton peint son éternel féminin à lui. Le rouge semble donc ce fil conducteur qui sort de la mémoire affective comme cette petite balle rouge qui amuse la petite fille dans la toile "Le ballon". Cette femme dans le fauteuil rouge n'émeut que dans le sens où elle est substantiellement mère et abandonnée à son sort de femme fatiguée. Ce n'est donc pas la femme qui se partage avec l'homme (p43) que Félix Vallotton met en lumière mais il ne faut toutefois pas croire que cette femme soit absente de son oeuvre. Notre auteur psychanalyste, Juan-David Nasio, s'attarde sur une particularité qui exprime le plaisir féminin et que l'observateur moyen ne saura associer (p45). En effet au regard de la peinture sur la couverture du livre, "Intérieur avec femme en rouge de dos", peinte en 1903 (ici),

Félix Vallotton positionne son modèle féminin entre des portes. Ces portes ouvertes que l'on rencontre d'ailleurs dans d'autres de ses peintures, sont l'expression de l'intimité de la femme. Ces portes cloisonnent ou ouvrent des scènes d'intérieur et que le peintre a volontairement agrémenté d'éléments suggérant la présence d'un homme et vraisemblablement d'un amant (p47). Cette sémiotique de la sensualité fait du spectateur un voyeur tout en le contraignant à une sorte d'excitation nourri par l'imagination. Félix Vallotton en transférant ainsi sur la toile la possibilité d'une relation avec la femme fatale, dont je rappelle que celle-ci peut mettre en échec sa virilité, l'épargne ainsi de l'épreuve angoissante que lui imposerait ce type de relation. En somme, nous dit l'auteur, la peinture remplace la sexualité (p50). Cette frustration insupportable a certainement nourri Félix Vallotton de rancune à l'encontre des femmes, si bien que la femme-mère est devenu un ferment de réconciliation absolument nécessaire.

 

DEUXIÈME PARTIE

(Maria Callas)

 

 Qui connait cette célèbre diva, sait que sa voix fut un bien joli cadeau donné par Dieu aux hommes. Ecouter la Callas c'est ressentir la gravité et même la majesté de l'existence tout en se joignant au drame universel qui, à travers les maîtres opéra qu'elle a mystifié de sa sublime voix, nous fait réaliser combien notre condition est un composé instable. 

En s'appuyant sur la prestation de la Callas dans l'opéra de Puccini, "Madame Butterfly", (ici),

l'auteur, Juan-David Nasio, relie la situation familiale de la jeune Butterfly à celle de la Callas. En effet, dans l'opéra de Puccini, la jeune Butterfly, le cœur brisé, consent à confier son enfant à l'épouse légitime de son bien-aimé. Avec le poignard de son vieux père, elle met alors fin à ses jours. A ce point de rupture, Maria Callas qui n'a jamais connu la maternité (p83), est pénétré de la douleur de la jeune Butterly au point que cette introjection émotionnelle la pousse, bien au delà du rôle qu'elle incarne, à se suridentifier. L'artiste, nous dit l'auteur, a su admirablement capter les sentiments de son personnage et restituer de manière confondante sa température psychologique (p82). Son interprétation est d'une remarquable exactitude, non seulement sa voix manifeste rigoureusement le drame qui se joue mais son regard presque possédé, extrait précisément la détresse morale de son personnage. L'auteur, Juan-David Nasio, à ce propos, relaie les mots du grand chef d'orchestre autrichien, Herbert von Karajan,

"Maria, vous pouvez chanter sans me regarder. Vous avez un sens du rythme incroyable, une oreille parfaite et vous collez toujours à l'orchestre."

 Nous avons précédemment abordé, avec le peintre Félix Vallotton le rapport à la mère et ce rapport va être essentiel avec Maria Callas. L'auteur, Juan-David Nasio lie la charge dramatique si bien véhiculé dans les prestations de la cantatrice à l'influence de la mère durant l'enfance (p84). En effet notre psychanalyste souligne que derrière le caractère autoritaire de la mère, et qui selon les biographes de la Callas tenait du despotisme, s'est matérialisé chez sa fille le goût pour l'effort et la discipline (p84). En ce sens le don de la Callas n'aurait pu apparaître au grand jour sans la ténacité de la mère et une éducation sévère et rigoureuse. Cette empreinte maternelle va évidemment façonner l'ethos de la Callas et de manière exclusive puisque le père, absent, a manqué de partager l'éducation. De là, la mère va léguer l'éducation artistique à une autre femme qui est professeur de chant. Ce choix de la mère va être déterminant pour sa fille mais également désastreux d'un point de vue personnel car comme nous l'explique notre psychanalyste, les enfants ont un besoin croissant d'exister par eux-mêmes tout en pensant qu'ils se sont fait sans l'aide de personne (p85). Cette emprise féminine prégnante voire obsédante, va probablement produire chez la jeune Callas un désir d'émancipation intense. Le père va donc constituer une polarisation inverse et un moyen d'échapper à cette emprise. Il est vrai que l'attachement au père est grand puisque celui-ci est doux, effacé et presque timide. Naturellement ces sentiments peuvent séduire une jeune fille soumis à une autorité maternelle intransigeante qui laisse peu de marge de manœuvre. Du fait, devenue adulte et femme la Callas, nous dit notre psychanalyste, n'a pas pu, par mimétisme, développer l'idée de la femme heureuse en couple (p86). Mais adulte, la Callas choisissait souvent comme compagnon des hommes plus âgés ayant le profil du père. C'était une manière de s'éloigner de la mère tout en se rapprochant du père.

 L'idéalisation du père par opposition à la mère est également le fait d'une culpabilisation qui est né de la séparation avec le père à l'âge de 14 ans. Cette décision de la mère entraîna certainement quelques remords chez la Callas qui développa le besoin de réparer les tords faits à son père à travers les autres hommes d'âges mûrs qu'elle côtoya (p87). Ce besoin d'atténuer le mal qu'elle pensait avoir fait à son père en le quittant suscita en elle un désir de compenser en attribuant son affection à des hommes plus âgés qu'elle et son premier mari Giovanni Battista Meneghini atteste de ce sentiment inavoué. Toutefois pour notre psychanalyste l'analyse ne s'arrête pas là, un niveau supplémentaire d'explication permet de mettre en évidence l'influence de la mère dans cette situation-là. En effet, l'auteur précise que  quand une femme fait le choix d'un homme, c'est la mère qui se cache derrière l'image du père (p90). Autrement dit, concernant le mari de Maria Callas, Giovanni Battista Meneghini, il est l'image du père dans laquelle se retrouve coincé la mère qui du dedans apparaît comme la véritable conquête car cette dernière représente inconsciemment la réussite artistique et le fait de se faire aimer pour son talent. Ce qui tout naturellement va la conduire à aimer ce qui l'amène à être aimé, c'est à dire sa voix sublime (p91). Finalement cette voix sera son véritable amour et c'est de chagrin de l'avoir perdu qu'elle mourra et non d'avoir été abandonné par son amant Aristote Onassis. 

 

TROISIÈME PARTIE

(Francis Bacon pour conclure)

Quelle oeuvre cette tête à moitié visible du peintre Francis Bacon (ici), intitulée Head VI et peinte en 1949!

 Qui connait le peintre connait la sauvagerie de ses interprétations. C'est la déconstruction de la nature humaine qui est à l'oeuvre. Cette bouche ouverte qui rappelle le visage halluciné du peintre Munch est un cri d'effroi provenant d'un intérieur brisé. Certains y verront une figure papale enfermée dans un cube de verre comme le fut Jean-Paul II dans sa papamobile. La cage de verre enferme le hurlement de cet homme enténébré que la conception freudienne de la douleur traduit comme l'expression d'une souffrance muette qui du dedans aspire toute la rage du dehors (p100). Cette introjection fait imploser le haut de la tête à cause de la surpression engendrée par la masse gazeuse que forme l'horreur du monde. Cette douleur hallucinée est surtout visible dans cette bouche grande ouverte où un noir néant semble cacher une entité affreusement démoniaque. Le choix de cette figure religieuse qui hurle en silence est peut-être celle du peintre lui-même qui du dehors réalise son moi assiégé par ses peurs. Le peintre britannique qui a essentiellement perfectionné le style cubiste de Picasso, formalise donc ici un massacre de la figure humaine en raclant sa peinture comme Soulage racle ses noirs. Quoi qu'il en soit, si notre psychanalyste rapproche l'oeuvre de Francis Bacon, à juste titre, à celle d'Edward Munch, le cri, il aurait été plus judicieux, pour ma part, de la rapprocher de l'oeuvre de Raphaël peinte en 1511, et qui est un portrait du Pape Jules II (ici, à droite)

 L’œil attentif aura rapidement repéré les similitudes entre les deux peintures et bien qu'elles permettent de penser que Francis Bacon s'est directement inspiré de Raphaël, avec peut-être la volonté de profaner le portrait du maître italien, elles font office de lien historique entre une époque occupée à la beauté et une époque occupée à la laideur. Si nous devions définir selon ces deux œuvres les profils psychologiques de nos deux peintres, assurément l'un semble beaucoup plus serein que l'autre. Ce qui hante l'un est clairement visible, en effet le caractère agité de l'oeuvre de Francis Bacon s'oppose au portrait apaisé exécuté par Raphaël. Ce face à face se retrouve dans l'opposition de style qui manifestement fait de l'un un possédé authentique et de l'autre un être réfléchi et méthodique. Il est intéressant de noter, au regard de l'hyper déformation anatomique des personnages peints par Francis Bacon, et selon l'analyse Freudienne du moi corporel, l'image mentale que se fait le peintre de son corps est non pas celle d'un corps normalement proportionné mais tel qu'il le ressent, à savoir difforme et disgracieux. Ses peintures témoignent de de cette représentation mentale de sa chair, de son corps et que l'on voit s'exprimer pleinement ici dans ces autoportraits.

 Cette sorte de perception de soi qui se dessine sur la toile et que l’œil du photographe a au centre bien perçu, et qui extériorise une intériorité blessée qui bouillonne de détestation de soi et des autres, est le résultat d'une dépréciation de la nature humaine et même de l'essence humaine. Francis Bacon qui de Louis Soutter a pris quelques grimaces et déformations tracées avec une noire mine, recevra en proportion de cette déliquescence visuelle autant d'honneur et de mérite de la part d'un monde tout aussi déliquescent. En ce sens ce monde qui encense le laid ne fait que conforter l'idée, dans l'esprit de Francis Bacon, que la nature humaine est véritablement laide.

 De tout cela notre auteur, J.-D Nasio, conclue que le moi corporel de l'artiste est le moule et l'oeuvre créée en est le moulage (p129). Si l'artiste est la matrice et l'oeuvre le produit de cette matrice, le spectateur est quant à lui le réceptacle de l'oeuvre. En ce sens l'artiste est l'homme et le spectateur la femme. Cette relation enfante, à la condition que le spectateur se laisse émouvoir par l'oeuvre, une synergie qui réveille les impulsions créatrices (p130). Ce désir de créer produit alors le besoin de s'aimer dans l'oeuvre à produire, c'est se créer soi-même en créant l'oeuvre. L'admiration porté à l'artiste via ses œuvres féconde une polarisation mimétique qui va faire passer le spectateur au statut d'admirateur ou de fidèle selon le degré d'hypnose opérée par l'oeuvre.

Antoine Carlier Montanari

 

 

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