Un Livre Que J'ai Lu (117) : Vacances De Pâques & Autres Chroniques (Marcel Proust)
S’il vous faut chercher une plume parmi les plus florissantes de la langue française et qui aurait prit à Balzac, à Jules Barbey d’Aurevilly et à Charles Baudelaire quelques parts non négligeables de leur génie, il vous faut comprendre que bien que la littérature française soit la plus élevée qui soit, elle ne le serait pas de la même manière si la plume en question n'avait pas tant surélever le fond avec la forme. Il n'y a pas de mystère sur celle dont je parle, le lecteur attentif aura compris de qui je parle et bien que je vais me contenter d'évoquer avec vous quelques uns de ses écrits épistolaires, qui sont essentiellement des chroniques parus dans le Figaro, je dois dire qu'il n'existe pas, pour ma part, d'autre auteur possédant une telle finesse d'analyse et une telle élégance de style.
Dans la première chronique intitulée "Au seuil du printemps", paru le 21 mars 1912 dans le Figaro, Marcel Proust, orienté sur ce mois de mai qui est le mois de Marie, évoque ces arbustes qui fleurissent dès février et dont les pétales se déploient comme des prières qui honoreraient l'immaculé conception. Il faut dire que les aubépines symbolisent depuis l'antiquité l'innocence et la pureté virginale, et tout naturellement Marcel Proust les lie à la Vierge Marie et qui sur l'autel, au dessus du drap blanc de coton soigneusement brodé qui sert de nappe mariale au ciboire d'or qui accueille le Christ chair, forment un décorum spécifiquement catholique. Le lecteur athée ne devra pas s'étonner que notre auteur encense de la sorte la mère de notre Seigneur. Pour Marcel Proust l'aubépine, par ses fleurs et ses épines, est cette communion de la Vierge et du Christ que le rose, souvent convoqué, vient unifier. En fait, Marcel Proust avant que ces tous derniers mots n’assimilent l'aubépine au buisson ardent - annonce, à travers la résurrection de la nature, celle du Christ.
Dans la chronique intitulée "Vacances de Pâques", paru le 25 mars 1913, les fleurs ont toujours leur mort à dire. En effet jonquilles, narcisses, anémones, corolles, violettes et jacinthes forment l'idée de la beauté renouvelée. Marcel Proust se remémore alors les vacances de pâques qu'il aurait dû passé, quand il était enfant, à Florence. Ce souvenir italien merveilleusement préservé et enchanté par un verbe non excessif, parvient à nous rapprocher de l'idée romantique, catholique et artistique de la cité qui autrefois fit exiler deux de ses grands maîtres. C'est là que notre auteur pose comme condition à son souvenir l'usage des termes "mot" et "nom", qui désignatifs de choses, révèlent des sentiments, des sensations et des idées qui proviennent du caractère et de la personnalité. Ce concept proustien fait transférer sur le nom tout un tas de pensées et d'émotions issues de l’ethos et qui indépendamment de la définition exacte fait vivre le nom d'une charge purement subjective. Ainsi pour notre auteur "Florence" a en elle ce même parfum que décharge les peintures de Sainte-Marie des Fleurs et qui isolément de l'aura aristocratique que véhicule le nom de "Florence" et qui émane directement de ses nombreux chef d’œuvres dont les auteurs ont été glorifié et recensés par des poètes tout aussi brillants, resplendit d'une toute autre force que Proust a enfermée dans le nom de "Florence". L'idée alors que se fait Marcel Proust de Florence est donc affaire d'idiosyncrasie où domine une sorte de cénesthésie sensitive provoqué par la mémoire et l'imagination et qui se superpose à la notion préalable. Quoi qu'il en soit Marcel Proust réaffirme ici que le souvenir de Florence est bien plus le fait de l'indicible et du miraculeux que du voyage lui-même qui, avoue-t-il à la toute fin de sa chronique, n'a jamais vraiment eut lieu.
Dans la chronique suivante intitulée "L'église de village", paru dans le Figaro le 03 septembre 1912, et que l'on peut rapprocher, à cause du rôle centrale de la croix dans la vie des hommes, du clocher de Kaliazine d'Alexandre Soljenitsyne (ici), Marcel Proust évoque le génie du christianisme à travers cet édifice consacré à la sainte messe. Dans cette chronique, notre auteur affirme déjà son style pondéreux, méthodique et soigné et que l'on découvrira de manière quintessenciée dans sa recherche du temps perdu. Et pour mieux se rendre compte de ce style on va analyser une phrase dont la longueur est symptomatique de la manière de penser de notre auteur. En effet Marcel Proust est plutôt avare en points de ponctuation, la phrase en question (ici) révèle une manière d'écrire très expérimenté. Lisons donc cette phrase,
" Ses vitraux ne chatoyaient jamais tant que les jours où le soleil ne se montrait pas, de sorte que fît-il gris dehors on était sûr qu’il ferait beau dans l’église ; je revois l’un rempli dans toute sa grandeur par un seul personnage pareil à un Roi de jeu de cartes, qui vivait là-haut entre ciel et terre ; et un autre où une montagne de neige rose, au pied de laquelle se livrait un combat, semblait avoir givré à même la verrière qu’elle boursouflait de son trouble grésil ; comme une vitre à laquelle il serait resté des flocons, mais des flocons éclairés par quelque aurore (par la même sans doute qui empourprait le retable de l’autel de tons si frais qu’ils semblaient plutôt posés là momentanément par une lueur prête à s’évanouir que par des couleurs attachées à jamais à la pierre) ; et tous étaient si anciens qu’on voyait çà et là leur vieillesse argentée étinceler de la poussière des siècles et montrer brillante et usée jusqu’à la corde la trame de leur douce tapisserie de verre."
" Ses vitraux ne chatoyaient jamais tant que les jours où le soleil ne se montrait pas, de sorte que fît-il gris dehors on était sûr qu’il ferait beau dans l’église ; je revois l’un rempli dans toute sa grandeur par un seul personnage pareil à un Roi de jeu de cartes, qui vivait là-haut entre ciel et terre ; et un autre où une montagne de neige rose, au pied de laquelle se livrait un combat, semblait avoir givré à même la verrière qu’elle boursouflait de son trouble grésil ; comme une vitre à laquelle il serait resté des flocons, mais des flocons éclairés par quelque aurore (par la même sans doute qui empourprait le retable de l’autel de tons si frais qu’ils semblaient plutôt posés là momentanément par une lueur prête à s’évanouir que par des couleurs attachées à jamais à la pierre) ; et tous étaient si anciens qu’on voyait çà et là leur vieillesse argentée étinceler de la poussière des siècles et montrer brillante et usée jusqu’à la corde la trame de leur douce tapisserie de verre. "
Cette phrase contient 181 mots, 2 points-virgules et 7 virgules. La phrase commence par les mots "Ses vitraux" et se termine par le mot "verre" (écrits en rouge). Viennent s'ajouter à ce vocabulaire les mots "verrière" et "vitre" (en vert). L'idée de lumière spirituelle est appuyé par les mots "chatoyaient", "jours", "soleil", "là-haut", "ciel", "éclairé", "aurore", "lueur", "étinceler" et "brillante" (en jaune). De plus les mots "neige", "givré" et "flocons" (en bleu azur) induisent l'idée de la blancheur étincelante qui charme l'âme au moment où celle-ci s'échappe de son corps pour rejoindre l'éternité. Avec ce vocabulaire spécifique Marcel Proust invoque dans l'esprit du lecteur l'idée de la transcendance et de la verticalité spirituelle qui est naturellement associé à l'église. Notons en passant que ce jeu de lumière est appuyé par un vocabulaire coloré qui joue dans l’œil du spectateur les effets substantiels du passage de la lumière à travers les vitraux. En effet les mots "gris", "rose", "empourprait", "couleurs" et "argentées" (en rouge) obligent à concevoir l'union du ciel et de la terre. La notion de temps, cher à notre auteur, se conjugue ici essentiellement à l'imparfait afin de dilater le souvenir lui-même tout en accentuant l'impression de lenteur et de durée, tandis que les mots "momentanément", "anciens", "vieillesse", "poussière" et "siècle" (en violet), cimentent l'idée du temps qui passe inexorablement. Il faut alors penser que l'expression, "entre ciel et terre" (souligné en noir), revivifie le rôle de l'église et sa fonction d'échelle terrestre. Du fait, le paragraphe suivant consolide cette idée, en effet Marcel Proust réaffirme la primauté de l'église sur le temps dans une phrase presque aussi longue que celle que l'on vient d'étudier. Cette phrase-paragraphe qui comporte pas moins de 170 mots, fait du clocher, qui quelque pages plus loin est levé comme le doigt de Dieu, une demeure du ciel qui est, à considérer le vivifiant ethos chrétien qui anime notre auteur, aussi guide que celui dépeint à Kaliazine par Soljenitsyne.
A la suite, dans la chronique intitulée "Contre l'obscurité", paru dans la Revue blanche le 15 juillet 1896, Marcel Proust rappelle quelques vérités esthétiques en réaction à des œuvres médiocres de son époque mais qui aujourd'hui, en comparaison de celles qui sont produites, sont presque sans reproche. En effet, la décomposition morale qui agitent les pinceaux et les plumes est cette obscurité dont parle Marcel Proust et qui fait des artistes pris sous cet illuminisme de vils artistes. Ces artistes sont des images méconnaissables de Chateaubriand ou d'Hugo, nous dit Marcel Proust, et sont pareils à du bois pourri ou des débris déposés sur le sable par la mer et qui proviennent d'une belle flotte ancienne. Cette obscurité est entretenue par la partie médiocre de l'être, laquelle animée d'expression faciles et vulgaires ne veut ni ne peut réaliser l'universel car de la nature et de ses lois qui ne cache ni le soleil, ni les étoiles, elle ne prend rien.
En ce sens, dans la dernière chronique, Marcel Proust encense le fameux critique d'art anglais John Ruskin (ici). L'esprit de ce héros, nous dit Marcel Proust, a su nous faire regarder admirablement les grands maîtres italiens de la peinture et qui d'Amiens, une ville française apparemment ordinaire, écrivit un livre qui fait office de Bible, que Marcel Proust traduisit en 1904 et dont le contenu est consacré à l'histoire du christianisme. L'abondante oeuvre de notre anglais qui prend racine tantôt dans les vielles pierres des cathédrales françaises et tantôt dans les expériences mystiques et murales de Giotto témoigne de cette vie précisément chrétienne abondement enflammée de l'amour de Dieu. En observant sérieusement l'oeuvre écrite de Marcel Proust, le lecteur attentif aura repéré derrière les variations romanesques et sentimentales et parfois sous forme de formulations parallèles, les intuitions d'un homme raffiné et anglais qui avait comme ami les cathédrales françaises.
Ce petit livre a donc fait naître en moi beaucoup de réflexions, à vrai dire avec Marcel Proust on ne peut-être avare de commentaires tant le personnage a su par la langue enrichir la pensée tout en perçant des univers clandestins coincés dans la psyché humaine et qui avec une formidable construction phraséologique a su les rendre visibles. En ce temps de grippe corsée, le lecteur né aura donc à cœur de ne pas imiter, comme Marcel Proust lui-même, la vie insensée que mènent beaucoup d'hommes et de femmes et au lieu d'écouter des niaiseries et on ne sait quelle calembredaine, comme dirait Tchekhov, et surtout pour notre plus grand bien, de partir dans la campagne voir les premières aubépines.
Antoine Carlier Montanari