Un Livre Que J'ai Lu (101) D'un Nouveau Complot Contre Les Industriels (Stendhal)
On attribue la notion de fabrication du consentement au début du XXè siècle à Edward Bernays, mais en réalité, en 1825, date à laquelle est publié ce petit ouvrage, Stendhal aborde déjà la notion à travers l'expression, la fabrication de l’opinion. Stendhal rappelle que penser est le moins cher des plaisirs et pourtant l’homme opulent comme l’homme pauvre, à l’exception des industriels qui sont chargés de produire de l’opinion par l’intermédiaire des journaux, n’ont ni le temps où trouve cela insipide (p14). C’est pourquoi la classe pensante, celle des industriels, qui par ailleurs octroie de l’argent aux dirigeants et aux gouvernants, plaide sa cause en toutes circonstances afin que des lois avantageuses soient votées en sa faveur (p17). Cette classe pensante, ce que confirme le comte de Saint-Simon quand il écrit, "Les industriels possèdent la supériorité sous le rapport d'intelligence.", a compris qu’en soutenant financièrement un gouvernement dont elle est pratiquement sûre qu’il répondra à ses exigences, le renforce afin d’orienter l’opinion publique. Et sans revoir la théorie manipulatoire explicité en partie par Edward Bernays, dans son ouvrage "Propaganda", dont il faut dire que le terme a été repris à l'Eglise catholique qui l'utilisait pour encadrer intellectuellement les religieux partis en mission, les techniques usitées par les industriels consistent à faire intervenir différentes autorités reconnues afin de légitimer des idées pour mieux les propager. Et si on pose alors la question de savoir quel est le plus fortuné de ces industriels, Stendhal répond M. le baron Rothschild (p22). Lequel, escorté de six banquiers (p23) refait le monde à sa guise et avec tout l’art que requiert le théâtre. Louis Ferdinand Céline, nous le dit bien plus crûment,
« Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde. »
Si donc cette comédie jouée à ciel ouvert forme le dessein de capter l’opinion et de l’orienter, elle dupe non moins son monde avec des intrigues aussi dignes que celles que l'on retrouve dans les tragi-comédies de Molière (p27) ou de Beaumarchais. Et pourtant la classe des industriels, aux dires du comte de Saint-Simon, fournit bien des hommes vertueux (p28). Dans son catéchisme des industriels, ce même Saint-Simon le traduit ainsi,
« Il est évident que, si jamais les industriels arrivent au pouvoir, ils investiront la morale du plus grand empire qu’elle puisse exercer sur les hommes. »
Il faut alors rappeler ici qui fut Saint-Simon (à gauche), que Stendhal évoque à maintes reprises. Car derrière le penseur se cache un esprit matérialiste qui veut faire de la science une religion. Celui qui fut alors considéré comme le premier des socialistes, engendra une philosophie prônant le progrès de l’humanité par les sciences et l'industrie forme dans cette doctrine le moyen concret de vitaliser les forces morales chrétiennes à travers un collectivisme social dont on peut dire aujourd'hui qu'il a prit les traits du communisme. Le Saint-simonisme va alors apparaître comme un enseignement anti-conformiste dont le féminisme servira de tremplin idéologique et libertaire et qui influencera le positivisme d'Auguste Comte tout en donnant quelques idées aux philosophes Proudhon, Marx et Engels. Certains seront peut-être d'ailleurs surpris d'apprendre que le fameux Auguste Comte (à droite) qui travailla à la réorganisation morale et spirituelle de la société française, fut son secrétaire. Ils ne seront pas étonné d'apprendre que le positivisme qui incarne la pensée d'Auguste Comte, lutte contre la théologie en faisant renoncer l'individu à l'absolu en raison de l'incapacité de vérifier et d'atteindre l'essence des choses. Ce positivisme traduit en réalité cette nouvelle ère qui est appelé l'âge positif et qui est considéré comme l'âge de la maturité intellectuelle. Ainsi donc, le Saint-simonisme, le positivisme puis le marxisme forment dans cet ordre d'apparition, un triptyque émotionnel particulièrement efficace dont l'origine fut établi sur le concept d'un nouveau christianisme élaboré par Saint-Simon lui-même.
Il faut par conséquent penser ces structures idéologiques comme des complexes intellectifs subversifs et relativistes et qui teintés de religion avancent masqués pour dynamiser le consumérisme à grande échelle. Face à un empire magistralement incarné par un Christ flamboyant et universel, la psycho-politique engendrée par les industriels représente un contraire habillé tout de même des vertus chrétiennes. Les hommes modernes comme le comte de Saint-Simon et Auguste Comte n'ont pas la faculté de comprendre les méfaits de la modernité technique sur les âmes et encore moins la fonction césarienne de l'industrie.
Antoine Carlier Montanari