Un Livre Que J'ai Lu (100) : L'esprit Du Capitalisme (Max Weber)
Tout comme dans l'ouvrage de Walter Benjamin (ici), la préface du livre de Max Weber a été rédigée par un certain Baptiste Mylondo dont on peut faire un court portrait tant son analyse apporte des éclaircissements véritablement utiles pour le lecteur. Baptiste Mylondo (ici), est un enseignant en économie et partisan de la décroissance et du revenu universel. A son actif on peut noter quelques ouvrages assez révélateurs de son orientation politique et sociale tels que, "Des caddies et des hommes", "Ne pas perdre sa vie à la gagner", "Un revenu pour tous!", et "Pour un revenu sans condition". Ces titres sont suffisamment explicitent pour comprendre que notre enseignant est plutôt un socialiste qu'un conservateur. Quoi qu'il en soit, sa maîtrise des concepts l'honore et sa manière de les vulgariser facilite considérablement la lecture du texte de Max Weber.
Baptiste Mylondo se réfère donc à quelques mots tirés d'un sermon de Benjamin Franklin, un des pères fondateurs des Etats-unis, qui participa à la rédaction de la déclaration d'indépendance. Voici ces mots,
"N'oubliez pas que le temps est de l'argent. ...Souvenez-vous que l'argent est de nature prolifique et se régénère. L'argent engendre l'argent."
On en 1748 et ces mots de Benjamin Franklin sont l'expression de l'esprit du capitalisme, nous dit Baptiste Mylondo à la page 7. Mais cet esprit enfanta une philosophie de l'avarice qui a fait de l'argent non plus un moyen mais une fin. Cette transformation est vérifiée par l'apparition et la multiplication des banques dont les seules existences ont pour rôle de conserver l'argent. L'éthique protestante et notamment la doctrine calviniste et puritaine que Benjamin Franklin reçu d'un père stricte (p38) est à l'origine de cette métamorphose, toutefois ce dérèglement est né d'un mouvement de balancier initié par une émancipation de cette éthique nommée par Max Weber le capitaliste ascétique. L'enseignement du père privilégie le mérite par le labeur, avec lequel la parabole des talents fait office de maître mesure dans une Amérique qui ne sait pas encore qu'elle va prospérer comme aucune autre nation ou aucun empire avant-elle. C'est en quelque sorte la récompense divine comme il le fut avec Joseph auprès de pharaon, dont les frères avaient préalablement vendu à une caravane dans le désert et l'avait laissé pour mort aux yeux de leur père parce qu'il était son préféré. Joseph, par la suite, sauva l'Egypte de la famine et devint l'homme le plus puissant du pays après Pharaon. Cet épisode biblique n'est pas sans rappeler l'effet de la providence dans la destinée de l'Amérique.
La psycho-politique américaine c'est l'attachement à la réussite économique à travers la logique de la valeur travail par opposition à l'oisiveté, mère de tous les vices (p18). Cette éthique laborieuse qui prend sa source dans un christianisme purifié d'un cadre clérical pyramidal prend sa mesure réelle dans la figure de Caïn cultivant durement mais efficacement sa terre. Max Weber souligne alors, à la page 33, les vertu de l'homme au travail et stipule que le travail honore l'homme et le rend honnête auprès du Capital. Le Capital agit alors comme Dieu. En effet, il est beaucoup plus aisé pour la banque de prêter une somme d'argent à l'homme assidue à sa tâche qu'à l'homme oisif. Ce crédit offert à l'homme qui travail est alors un indice fort de la reconnaissance divine dans les affaires des hommes. Dès lors que Joseph, comme on l'a vu précédemment, a obtenu les faveurs de Dieu sur une terre étrangère, les américains ont alors perçu que la même chose était en train de se produire pour eux. Le lien entre la richesse monétaire et Dieu fut alors établit et cette nouvelle éthique fit donc de l'argent non plus un moyen mais une fin que Max Weber nomme le "Summum Bonum", le souverain bien (p37). Si bien d'ailleurs que le billet de 1 dollar porte en effigie cette apophtegme, "In God we trust", "En Dieu nous croyons". Ainsi cette nouvelle éthique qui fit de l'avarice une vertu, a réactivé la fameuse sentence prononcé par Virgile au purgatoire (1),
"Quid non mortalia pectora caugis, auri sacra fames? Maudite soif de l'or, qu'as-tu fais du coeur de l'homme?"
Les stocks d'argent vont alors croître de manière exponentielle, accomplissant ainsi les propos de Benjamin Franklin lorsqu'il dit que l'argent engendre l'argent. Les banques, tout naturellement, vont alors offrir des espaces sécurisés pour stocker l'argent tout en offrant à ses propriétaires des placements pour en gagner encore d'avantage. Ainsi l'argent ne dort pas, il travaille et se multiplie avec le temps. L'argent ainsi stockée génère à nouveau de l'argent, constituant ainsi des masses monétaires dans des proportions rappelant en quelques sorte celles du Roi Salomon lorsqu'il percevait chaque année pas moins de 666 talents d'or. Ce qui fera dire au père de Benjamin Franklin (p38),
"Quand tu vois un homme vigoureux dans sa profession, c'est qu'il doit se présenter devant les rois." (Proverbes 22,29)
Il est intéressant de noter que le profil type de cet homme vigoureux, nous dit Max Weber à la page 64, est le produit de l'humilité et de l'ascèse, qui professe le travail bien fait. Une sorte de saint calviniste, issu directement de l'austérité protestante particulièrement visible dans les temples par opposition au décorum outrancier orthodoxe et catholique. Aussi ce saint calviniste associe la réussite ici bas à la félicité et sa profession comme une vocation qui vise à honorer Dieu dans la réussite capitaliste bien pensée. Là où s’accommodait Rome avec les puissances d'argent des cités italiennes, au temps du christianisme triomphant, la chose était tolérée d'un point de vue fonctionnel mais jamais acceptée dans le but d'accumuler du gain pour le gain. Certes la frontière est mince, les paroles du Christ au jeune homme riche ne sont pas interprétées de la même manière que l'on soit protestant ou catholique. Pour ces derniers l'épisode du lac de Tibériade où Pierre obéissant à la demande du Christ de pécher un poisson pour y récupérer une pièce d'argent afin d'y payer la taxe exigée pour entrer dans la ville de Kfar Nahum, est l'expression du dépouillement intégral demandé au croyant afin de gagner le ciel. En effet le poisson est l'image du fidèle et Pierre l'image de l'Eglise qui ouvre la porte du royaume céleste à celui qui vient se délester de son argent. Cette tradition religieuse révèle tout de même le mécanisme libératoire révélé précisément par le Christ au jeune homme riche. Si tenté que vous soyez possédé de l'esprit de cupidité, l'Eglise vous permettra alors au tout dernier moment de troquer votre richesse ici-bas contre la richesse du Ciel. Ainsi l'Eglise catholique neutralisa le Capital et orienta les flux financiers non plus vers le monde mais vers elle-même, et put ainsi répandre le royaume du Christ à travers des écoles, des hospices, des hôpitaux, des monastères, des églises et tout un tas d’œuvres de bienfaisance qui changèrent petit à petit la nature même du monde. Grosso modo, grâce à l'enseignement du Christ, l'Eglise qui est l'épouse du Christ, a réussi a orienter tout le travail d'une vie vers le salut de l'âme, sans cela le Capital aurait été le seul gagnant, il ne faut donc pas s'étonner que les puissances d'argent aient prit l'Eglise en grippe et rêvent de la voir s'effondrer. Cette coordination qui n'a jamais pu atteindre sa pleine maturité puisque le Capital a su émanciper les âmes de cette tradition, forme l'éthique du catholicisme capitaliste et que l'éthique du protestantisme capitaliste n'a jamais pu relayer tant elle manquait d'une structure ecclésiale solide et unifié autour d'un chef. Celle-ci se dissimula pourtant dans les piliers grecs de ses banques et de ses bourses qui ressemblent à des temples. A la toute fin de cette fiche de lecture, à l'aide d'un petit tableau, on synthétisera les principales lignes de fractures qui séparent le catholicisme du protestantisme concernant le rapport à la richesse.
Ce don qui est justement offert à l'Eglise par l'âme en échange de son passage au Ciel (p68), est sujet à débat dans la postface. En effet la nature du don, nous dit Arjun Appadurai, anthropologue indien, est qu'elle contient une force morale (p78). Le don pousse, par mimétisme, l'autre à devenir moral en devenant à son tout donateur. Ce donnant/donnant est une mécanisation sociale qui a pour vocation le partage des richesses. C'est la grâce à l'oeuvre, l'homme devient spirituel par le matériel et c'est très présent dans le capitalisme ascétique de Max Weber. L'ethos calviniste, autrement dit la manière d'être calviniste (p86), est à mettre en rapport avec la certitude du salut, "certitudo salutis", afin de convenir du modèle de vie à adopter pour entrer dans le royaume des cieux. L'incertitude des fins dernières pousse l'esprit calviniste a rationaliser à l'excès son environnement afin de détruire toutes traces d'incertitude. Mais l'émergence de l'hyper finance dans le Capital a engendrée des tendances nerveuses et des prises de risques inconsidérées et même des prises de risques sur les risques eux-mêmes, ce que l'on nomme les cat bonds (p23). Cette folle machinerie qui est née de la spéculation toute azimute veut absolument et uniquement produire de l'argent. Cette loterie financière qui dépasse désormais les recettes de l'industrie traditionnelle est entretenu par des machines numériques hyper ventilées qui calculent en nanoseconde les probabilités de crash ou d'excroissance. Le profil type de ce nouveau capitaliste, bien à l'opposé du capitaliste ascétique, peut-être identifié à travers deux exemples très connus, George Soros et Bernard Madoff (p23,p24 et p91). Ce profil est précisément impitoyable, véhément, arrogant et narcissique, ce que Max Weber exècre et désigne comme le véritable ennemi du capitaliste ascétique, lequel est un sobre gestionnaire du risque, pour reprendre les mots de Arjun Appadurai (p91). Ces individus sans éthique, cupides et avares, investissent sur la baisse et la chute des marchés, ils sont des fossoyeurs financiers qui accroissent leur capital sur le malheur des autres. Pour exemple, George Soros a empoché en deux jours un peu plus d'un milliard de dollars en spéculant sur la chute de la livre sterling (p24). S'enrichir autant en si peu de temps est indécent et irresponsable, le capitaliste comme l'entendent Benjamin Franklin et Max Weber ne peut agir ainsi. En effet, celui-ci met les affaires à son service et non l'inverse (p63) et tout en ayant une conduite beaucoup moins déraisonnable, il engendre des bénéfices rationnels (p97).
Cette pensée incantatoire à l'œuvre dans le capitalisme moderne se pare d'une aura de respectabilité grâce à des techniques de calculabilité extrêmement savantes (p99). Chose que l'on retrouve, à travers une activité de calcul au service de la probabilité, dans les jeux de hasard, les casinos, le champ de course et la loterie (p101). Et pour comprendre et expliquer l'actuelle crise financière, il faut assurément prendre en compte le facteur d'incertitude lié à ces spéculations toutes azimuts et fondamentalement encouragées par ce capitalisme financier qui a le goût de la chance aux jeux (p104, p108). Par ailleurs, il faut préciser que cette croyance dans la victoire aux jeux, est perçu comme un effet de la grâce, même si elle est non méritée (p108). Cet ethos, d'après le sociologue Jackson Lears, est inscrit profondément dans la psychologie américaine, Las Vegas est la preuve de cet archaïsme psychologique qui draine chaque année des millions de touristes dont la quête est devenu pareil à un pèlerinage afin d'obtenir quelques gains financiers qui seront perçus comme un effet de la grâce. Aussi quand le 29 septembre 2008 les traders de Wall Street, lors de la clôture de la séance, ont vu le nombre 777 s'inscrire sur le tableau d'affichage, ils ont alors réalisé que la grâce n'était plus de leur côté. En effet, ce jour-là le Dow Jones, l'indice phare de Wall Street, perdit 777 points. Les traders, assez familiers des machines à sous des casinos de Las Vegas et qui connaissent bien cet alignement de 7, ont tout de suite compris que cette chute monumentale de 777 points représentait le jack pot du diable. Cette symbolique, déjà expliquée dans la précédente fiche de lecture, "777" de Pierre Jovanovic (ici), est devenu un avertissement tant les marchés ont joués avec le feu et qu'ils se sont éloignés des méthodes précautionneuses encouragés par Benjamin Franklin et Max Weber.
L'esprit de ce capitalisme financier superstitieux, aventureux, exubérant, possédé, excessif et impitoyable et qui aujourd'hui prend la forme des taux d’intérêts négatifs qui ont pour conséquence de détruire du capital, est devenu si anthropophage qu'il se dévore lui-même. A l'inverse, l'esprit méthodique issu du christianisme et la rigueur de la pensée antique philosophique, bien à l'opposé de la culture magique que l'on rencontre au delà de l'Occident, est bien à l'origine du capitalisme prôné par Benjamin Franklin et Max Weber, dont l'organisation a nécessité, dans un premier temps, une éthique rationaliste procéduralisme (p96) déjà bien présente dans la vie ecclésiastique catholique. C'est dans ces lieux précisément que l'ascèse combat les désirs de la chair au profit de la félicité de l'âme. La notion d'ascèse est basée sur l'idée du renoncement afin de forger le caractère et la personnalité tout en perfectionnant l'esprit. L'ascèse a sensiblement changé aujourd'hui, elle est devenu un moyen de revaloriser l’ego à travers la réussite professionnelle et qui finalement rend un peu plus compte de ce vers quoi tendait le capitalisme ascétique lorsqu'il prônait la réussite matérielle en lieu et place des sacrements catholiques de purification et d'élévation de l'âme.
Comme promis ce petit tableau (ici), va nous aider à distinguer le catholicisme du protestantisme sur la question de l'usure, à savoir la finance.
Le tableau est composé de trois colonnes verticales. La colonne de gauche comporte 4 thèmes, à savoir l'or, l'enrichissement, la grâce puis dérive & tendance.
La colonne verticale du milieu est consacrée au catholicisme et la colonne verticale de droite à celle du protestantisme.
La première colonne horizontale concerne l'or, la richesse suprême par excellence. Pour le catholicisme, l'or décore les églises, l'or est pour Dieu. Pour le protestantisme l'or sort des temples, l'or est pour les hommes, l'or est dans les banques.
La deuxième colonne horizontale concerne l'enrichissement. Le catholicisme s'oppose à l'usure et à la richesse. L'épisode du jeune homme riche constitue l'axe moral pour entrer au paradis, il faut se délester de l'argent et faire vœux de pauvreté. Tandis que le protestantisme ne s'oppose pas à l'enrichissement. L'épisode de Salomon et celui de Joseph avec pharaon servent d'alibi à la notion de félicité terrestre.
La troisième colonne horizontale concerne la grâce. Pour les catholiques les sacrements font descendre directement la grâce du Ciel sur terre. On s'adresse directement à Dieu. C'est par la grâce que l'homme réussi. Dieu aime l'homme pour lui-même et non pour ses capacités. Pour le protestant la réussite par le travail est la grâce descendu du ciel. On ne demande plus rien à Dieu, on compte sur ses propres forces. Aide-toi et le Ciel t'aidera. C'est le mérite personnel qui donne la valeur de l'homme.
La quatrième et dernière colonne horizontale concerne les tendances et les dérives engendrées par le catholicisme et le protestantisme. D'une part le catholicisme que l'on peut associer à l'orthodoxie, a fait naître la culpabilité de la richesse monétaire et matérielle et a engendré deux alternatives négatives, à savoir le socialisme et le communisme; systèmes qui tendent vers l'égalitarisme. D'autre part le protestantisme encourage fortement la volonté de réussir matériellement et financièrement et a engendré l'ultra libéralisme, système qui tend à l'inégalité.
S'il faut une conclusion à ce petit tableau, elle peut-être résumé de la sorte, de même que Dieu a créé Lucifer, le christianisme qui est l'addition du catholicisme et du protestantisme, a engendré deux totalitarismes contraires dont l'apogée fut principalement constaté lors de la guerre froide. Ces deux totalitarismes sont deux forces engendrées par l'esprit de Satan en prostituant l'esprit du christianisme. Pour l'écrivain anglais G.K.Chesterton, surnommé "le prince du paradoxe", et qui s'est converti au catholicisme, la chose est traduite ainsi,
" Le monde moderne est plein d'anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu'isolées l'une de l'autre et parce qu'elles vagabondent toutes seules." (2)
Antoine Carlier Montanari
(1) Le purgatoire, chant 22, la Divine Comédie, Dante
(2) G.K Chesterton, Orthodoxie (1908)