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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

03 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (95) : La Grève Des Électeurs (Octave Mirbeau)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Octave Mirbeau

 Octave Mirbeau et la Bretagne, cette terre de France que l'auteur affectionne et qui renvoie à cette autre lecture "Croquis bretons" (ici), fut le lieu où il mit son cœur à nu. Cette région bénie par le Ciel et qui bienheureuse d'avoir comme sainte patronne la mère de la mère du Christ, à savoir Sainte Anne, est devenu ici le refuge à ciel ouvert de notre auteur. En effet loin de Paris qu'il a quitté pour huit mois, Octave Mirbeau couche par écrit une vive réflexion sur la modernité citadine et la politique avec un style qui rappelle celui de Léon Bloy. A vrai dire au contact de la lande, des rochers et de la mer (p7) il secoue sa verve pour décrire à quel point la ville et le journalisme sont deux entités dont il faut se méfier. Ainsi, à la page 9, il déracine Paris et la rend toute aussi coupable de broyer les âmes que le Capital. En effet, l'analyse de notre auteur, à propos de la ville est assez proche de celle du sociologue Georg Simmel quand celui-ci évoque l'affaissement de l'individu au sein de la foule des grandes villes, et que ce même individu est poussé à sa plus haute capacité nerveuse, l'atomisant complètement intérieurement (1). Malgré tout, l'individu y est retenu par l'intermédiaire de tout un tas de béatitudes artificielles qui lui ôte toute conscience; c'est la haine passionnée de la grande ville que Baudelaire a joint à ses spleens en 1861,

" Je t’aime, ô capitale infâme ! Courtisanes 
Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs 

Que ne comprennent pas les vulgaires profanes
. "

 Octave Mirbeau étrille donc avec véhémence la ville mais dans cette croisade il n'oublie pas le journalisme et son oeuvre malfaisante (p8), qu'il associe volontiers à la cité. Etant lui-même journaliste, il ne recule pas devant les expressions les plus acérées. En effet, pour sa part, le journalisme est un repas indigeste et empoisonné (p8), c'est par lui que l’électeur est trompé. Le journaliste est alors placé dans cette catégorie que Karl Marx a intitulé la carrière du vice en parlant du marché des prostituées en Grande-Bretagne (p11). Toutefois, il fut un temps, nous dit l'auteur à la page 15, où le journaliste était quelque chose et quelqu'un. En ce temps donc, sous l'Empire, des plumes édifiantes purent voir le jour malgré le muselage de la presse. Pour exemple, parmi d'autres, Octave Mirbeau cite, Lucien-Anatole Prévost-Parabol (ici, à gauche) et Louis Veuillot (ici, à droite). Le premier fut rédacteur au quotidien La Presse et au Courrier du dimanche tandis que le second fut le premier secrétaire général du Syndicat des journalistes français. Au regard de ce qu'est devenu, à l'heure actuelle, le journalisme en France, il est peut-être nécessaire de se référer à ces deux figures pour rappeler que l'honneur et le courage furent bien une réalité dans le journalisme.

 Si Octave Mirbeau écorche la République en soulignant son caractère totalitaire (p15), il n'est pas moins survolté envers le suffrage universel (p18). En effet, le verbe "promettre" est pour notre auteur le Barabbas de l'histoire où l'électeur est alors devenu pareil à ce corbeau qui sur un arbre tient en son bec un fromage. La fable nous apprend que tout flatteur vit au dépens de celui qui l'écoute. Cette sentence, Octave Mirbeau en a fait sienne pour vilipender à la fois le législateur et l'électeur. Si ce dernier a pour destin d'être dupé (p19), il n'en est pas moins prisonnier de ses opinions et des partis, lesquels ont été intégralement condamnés par Simone Weil dans son pamphlet " Note sur la suppression générale des partis politiques " (ici). En effetelle affirme sans détour que les partis politiques sont du mal à l'état pur ou presque. Ce que veut l'électeur, nous dit Octave Mirbeau, ce sont des promesses, voilà tout (p19).

 Ainsi l'électeur est cet animal irrationnel (p33) qui ne fait que desservir la démocratie par sa médiocrité et ce bipède pensant se donnent en réalité des maîtres avides qui le grugent (p36). Les mots de Octave Mirbeau sont assez cinglants, il n'est pas avare de qualificatifs outranciers mais quoi qu'il fustige avec véhémence ce qu'il condamne, il est tout aussi habile en matière de sentence. L'une d'elle (p37),

" La protection aux grands, l'écrasement aux petits. "

 rappelle une nouvelle fois une morale d'une fable célèbre de Jean de La Fontaine " Les animaux malades de la peste ", 

                                                            " Selon que vous serez puissant ou misérable,                                                               Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. "

 Sans s'éloigner de notre poète français, aux pages 36 et 37, Octave Mirbeau enfonce encore le clou, 

" Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit."

 À propos de la révolution, cette révolution dit-il, a déplacé les privilèges en faisant passer l'oppression sociale des mains des nobles dans celles des bourgeois (p46). Ce transfert a alors, poursuit-il, créé l'inexorable société capitaliste. On est le 14 juillet 1889 quand Octave Mirbeau, dans le Figaro, écrit cela. Pour le lecteur attentif, c'est le centenaire jour pour jour de la prise de la Bastille. Il va sans dire que ces mots pourraient être compréhensibles dans la bouche d'un monarchiste, mais pour un athée anticlérical comme Mirbeau on est en droit de se demander quelle mouche l'a piqué. Ce changement de régime est pour notre auteur une mascarade tout comme peut l'être la religion, il est tenace et met dos à dos ces deux systèmes de valeur, en somme il est bien un anarchiste!

 Si la conclusion à toute cette affaire semble faîte, il y a toutefois un autre aspect qui mérite quelque attention. En effet, Octave Mirbeau déconseille l'électeur d'aller voter, pour sa part, même s'il est anarchiste, la grève du suffrage universel qu'il préconise contient en substance, comme on l'a vu précédemment , la critique qu'a faîte Simone Weil des partis politiques. L'homme qui convoite le vote de l’électeur, nous dit  Octave Mirbeau, à la page 39, n'a pas de pouvoir suffisant pour garantir les promesses qu'il a faite, tandis que lui est propulsé dans un état social supérieur. Octave Mirbeau semble donc tout aussi radical que Simone Weil, mais pour autant, il n'a pas mesuré comme Simone Weil, l'importance du diable dans cette histoire-là, peut-être est-ce là la faute de son athéisme!

 Plus loin, dans un style tout à fait bloyen, Octave Mirbeau assassine littéralement la France tout en prophétisant pour elle un avenir des plus infamant. Les prophéties de la Salette en arrière plan, Octave Mirbeau ne croit pas si bien dire quand il écrit,

" La France toute entière va devenir une immense latrine où les ventres ignominieux, publiquement, déverseront le flot empesté de leurs déjections. On va marcher dans l'ordure, enlisés jusqu'au cou. Et nous nous réjouissons de cette posture. "

 Si le grand écrivain russe, Léon Tolstoï, qualifia Octave Mirbeau de plus grand écrivain français contemporain (p65), il n'est difficile de concevoir que cette aura acquise provient certainement de cette part flamboyante de l'esprit français qui habite notre auteur et que les russes ont toujours su admirer. L'éditeur, pour conclure, met en parallèle la pensée de Octave Mirbeau à celle de Tocqueville sur la démocratie. En effet, les mots de Tocqueville (1805-1859), à propos de la démocratie en Amérique, ne font que dévaloriser ce système. Alexis de Tocqueville confronte le citoyen avec sa supposée liberté démocratique. C'est un leurre qui met en réalité le peuple sous tutelle (p68) et les politiques qui ne sont autres que les véritables organisateurs, en appelle au libre-arbitre du citoyen pour garder le pouvoir. Alexis de Tocqueville précise alors que si l'électeur vote tantôt pour l'un et tantôt pour l'autre, il ne mesure pas son état de servilité à un système qui le conduit par le bout du nez. Cette servilité s'explique, nous dit l'éditeur en faisant référence à Etienne de La Boétie (1530-1563), par la fascination qu'exerce le pouvoir sur les hommes et donc ceux qui sont devenus les maîtres ne sont grands, nous dit La Boétie, que parce que nous sommes à genoux (p69). Ces mots de La Boétie sont donc à joindre à ceux de Trajan Boccalini à propos de Nicolas Machiavel (ici), la pensée du florentin peut-être résumé de la sorte, 

" Des chiens doux comme des moutons et des brebis capables de se défendre des loups, voilà le peuple libre."

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l'esprit, Ed.Petite Bibliothèque Payot, p49, 52 et 53.

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