Un Livre Que J'ai Lu (91) Une Nuit De Bal Masqué & Un Remède Dangereux (Victor Hérault)
Cet auteur français du XIX-éme siècle ne semble avoir laissé de lui que ces deux nouvelles. Il fait parti de ces écrivains perdus et qui malgré qu’il soit un parfait inconnu, a laissé quelques lignes dont le mérite est de rappeler la Comédie Humaine. En effet, ses deux nouvelles ont cette charge satirique que possède l'oeuvre d'Honoré de Balzac. On peut y voir également du Baudelaire et du Flaubert, les plus réceptifs auront de quoi mesuré la chose à travers un passage de la première nouvelle, « Une nuit de bal masqué », aux pages 11 et 12. Ce paragraphe évoque à la fois les Fleurs du mal et ses paradis artificiels (ici) aussi bien que « Ivre et mort » et "Le funérailles du docteur Mathurin" de Flaubert (ici), où l'auteur de Madame Bovary mêle le vin, le sang, l'ivresse et la mort. Citons donc ce passage avant d' analyser le style de l'auteur,
« Sans doute la personne à laquelle l’ivrogne s’adressait suivit son conseil, car le silence le plus complet se fit dans leur chambre. Je continuai de descendre, ne voulant pas attendre plus longtemps ni assister à cette scène répugnante. Autant on peut comprendre jusqu’à un certain point, et même l’excuser, l’ivresse aimable, folâtre, survenue à petits coups à la suite et pendant un déjeuner d’amis ou un repas splendide, autant il y a de dégradation à se procurer à huit-clos cette ivresse froide et sans entraînement qui fait de l’homme une masse inerte. »
Si on analyse attentivement ce paragraphe qui traite de l’ivresse, la consonance « EN » présente dans 14 mots (en gras), rythme phonétiquement ce même paragraphe. Curieusement cette consonance se trouve dans le mot « enivrement » qui est un synonyme d’ivresse. Ce cadencement agit donc comme une mélopée, dont l’auteur use de manière inconsciente afin d’entraîner tranquillement le lecteur dans une sorte de somnolence qui rappelle l’ivresse. De plus, les mots « descendre », « répugnante », « dégradation », « froide » et « inerte » (surlignés en jaune), constituent un vocabulaire négatif qui insinue la mort. A cela il faut ajouter la notion de temps exprimé à travers les mots « attendre », « longtemps », « pendant » et une nouvelle fois "autant" (surlignés en vert) dont l’auteur intercale afin de suggérer l’éternité. Étrangement les mots « silence » et « chambre » (surlignés en bleu) induisent la notion de la petite mort à travers l’idée du sommeil et de la nuit. On peut remarquer, pour compléter cette analyse, que ce paragraphe est constitué de trois phrases. Cette structure se retrouve dans pas moins de 13 paragraphes, ce qui semble constituer un indice sur le rythme narratif de l’auteur.
Aussi les mots de Victor Hérault rappellent ceux de Baudelaire, dans un quatrain du Vin des chiffonniers,
" Pour noyer la rancoeur et bercer l'indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait sommeil;
L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil! "
De là, tout naturellement, Baudelaire rejoint Flaubert dans cet extrait de Ivre et mort,
"Puis les râles plaintifs cessèrent, la lune s'évanouit sous les nuages, et quand l'aube vint à blanchir l'horizon, ses derniers rayons mourants éclairaient encore ces deux hommes qui dormaient tous deux, mais dont l'un avait passé de l'ivresse au sommeil et l'autre de l'ivresse à la tombe, autre sommeil aussi, mais plus tranquille et plus profond."
Et pour compléter l'affaire, on se doit d'évoquer également ces mots de Flaubert sur la mort du docteur Mathurin,
" Ah! c'est bien là que Mathurin voulut dormir entre la forêt et le courant, dans la prairie. Ils l'y portèrent et lui creusèrent là son lit sous l'herbe non loin de la treille qui jaunissait au soleil et de l'onde qui murmurait sur le sable caillouteux de la rive."
Pour la petite histoire, Charles Baudelaire et Gustave Flaubert naquirent la même année, en 1821. De plus, en 1857, tous deux comparaîtront devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine pour outrage à la morale à travers leurs œuvres respectives Les Fleurs du Mal et Madame Bovary.
Si la mort est le dividende de cette petite histoire, l’auteur, Victor Hérault, dans la deuxième nouvelle, « Un remède dangereux » va se jouer des hommes et des femmes et les faire jouer entre eux, à la manière de Balzac. Cette nouvelle s’achèvera comme la précédente, à savoir par la mort. En effet, les époux Legros périront dans un naufrage en pleine mer tandis que dans la première nouvelle, la jeune Mathilde se noiera par désespoir dans les eaux de la Seine.
Antoine Carlier Montanari