Un Livre Que J'ai Lu (89) : Le Clocher De Kaliazine, Etudes Et Miniatures (Alexandre Soljenitsyne)
Ce petit ouvrage qui est une suite de très courts textes écrits entre 1958 et 1998, permettra de saisir la pensée de l'auteur de l'Archipel du Goulag. Si Alexandre Soljenitsyne était critique envers le régime soviétique, il l'était tout autant envers le matérialisme occidental. De plus, en inaugurant, en 1993, le mémorial de la guerre de Vendée, il qualifiera le massacre des Lucs-sur-Boulogne de 1794, de génocide tout en comparant la révolte des vendéens aux soulèvements populaires anti-communistes en Russie.
Tout naturellement, le premier texte, intitulé "La respiration", annonce l'esprit critique de l'auteur. Alexandre Soljenitsyne se sert d'un pommier pour souligner et symboliser la dégénérescence du monde moderne. En effet, à travers la cacophonie des machines de la modernité, l'auteur dénonce le progrès, à l'exacte manière de Herman Melville, dans son "Cocorico" (ici), quand celui-ci évoque le bruit effrayant du monstre d'acier qui traverse la campagne. On peut également rappeler, à ce propos, la nouvelle de l'auteur catalan Miguel de Unamuno, "Mécanopolis" , où ce dernier prend en horreur le progrès technique par opposition à la vierge nature et au ciel étoilé. Ce que dira Melville du progrès sera beaucoup plus véhément, ainsi dans une tirade nerveuse qui rappellera l'acidité de Louis Ferdinand Céline, il fusille à bout portant l'essor technique,
"Parlons en des grands progrès de l'époque! Quoi! Appeler progrès ce qui facilite la mort et l'assassinat!"
Cette première miniature d'Alexandre Soljenitsyne, s'apparente à un sermon et ne fait qu'introduire une pensée entièrement dévouée à la liberté et à la nature. Si comme nous venons de la voir, l'auteur de Moby Dick apparente une locomotive à vapeur à un monstre d'acier et à la coque lugubre de Charon, Soljenistyne, ne dit pas autre chose quand il écrit,
"Cette chose grince de toute sa ferraille et crache à qui mieux mieux sa puante fumée violette." (p31)
Si la coque lugubre de Charon évoquée par Melville, nous fait alors songer à l'enfer et à ses damnés, dans la miniature "Le feu de bois et les fourmis", Alexandre Soljenitsyne nous y plonge autrement en évoquant le sort de ces fourmis, qui pour sauver leur "patrie" d'un feu de bois, s'y ruent comme muées par une force mystérieuse pour finalement crépiter et mourir sous l'effet des flammes. Cette atmosphère de feu et de tourments peut-être complété par l'autre miniature "En suivant la rive de l'Oka", où Alexandre Soljenitsyne nous narre en quelques lignes, la décrépitude des églises et des symboles chrétiens dans les villages de la lande russe. Le moloch communiste y a fait ses ravages et non content d'y avoir profaner ces lieux saints, il permis qu'on les y blasphème par autant d'obscènes inscriptions. Ce qu'il en restait, de ces clochers et de ces croix, rouillés et tordus, révélaient tout de même, aux yeux du narrateur, l'époque où les cloches faisaient sentir à tout le peuple la présence de l'éternel, tout en redressant bien l'homme en l’empêchant de s'affaisser... à quatre pattes. (p45).
Ainsi, successivement dans "La cloche d'Ouglitch", à la page 53, et "Le clocher de Kaliazine", à la page 55, Alexandre Soljenitsyne nous fait revenir à cette Russie éternelle des tsars et des saints dont l'empereur français avait voulu conquérir pour angoisser le reste du monde. Le coeur malheureux, Soljenitsyne nous ramène alors à ce village noyé sous les eaux de la Volga où seul le clocher surmonté encore de sa croix et dressée sur sa flèche comme Saint-Michel sur son mont, est cet espoir qui permettra de croire que l'éternel n'acceptera pas que la Russie disparaisse toute entière sous les eaux (p56).
Dans "Le chant des coqs", je ne sais, étrangement, si les mots de Soljenitsyne à propos de ce chant du coq, que voici,
"Aucun bruit turbulent ne couvre cette incantation, forte, juteuse, vibrante, claire, elle nous fait savoir que tout autour règne une paix bénie, une tranquillité sereine-"
font allusion à ceux de Melville, dan son "Cocorico",
"Chut! C'est clair, c'est musical et ça dure! Un triomphe une vraie action de grâces, ce chant du coq!",
mais, pour ma part, ces mots sont la preuve que l'auteur américain et l'auteur russe, séparés toutefois par un peu plus d'un siècle, aspiraient à cette liberté émancipatrice que le chant du coq révèle à chaque levé du soleil. Ces mots serviront donc de conclusion à un ensemble de miniatures dont la lecture formera une très bonne introduction à l'oeuvre épaisse de l'auteur dont on peut dire que son opposition frontale à l'athéisme communiste, qui l'enverra au goulag pendant huit années, est contenu, en partie, dans ses convictions chrétiennes.
Antoine Carlier Montanari