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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

04 May

Un Livre Que J'ai Lu (86) : Le Diable (Léon Tolstoï)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Léon Tolstoï

 Cette nouvelle de Tolstoï met en scène un homme dont la délectation de la chair va l’entraîner au suicide. Disons que dans cette histoire-là, la femme, qui bien que respectant le rôle que la nature lui a octroyé, est véritablement l’objet d’un désir effréné. Si effréné que sa simple présence à travers la belle paysanne Stépanida, réveille les pulsions du brave Irténiev dont l’épouse est pourtant un modèle admirable de bienveillance et d’honnêteté. Tolstoï alors en habile conteur, y mêlera le diable afin d’y satisfaire la morale. Il ne faut pas chercher la présence physique du mal, avec des cornes et des griffes, mais bien un mal baudelairien qui n’a de visibilité que les artifices trompeurs qui piège les sens. A ce jeu admirable du point de vue du diable, celui qui se fait piéger devient le pantin de la chair. Ce n’est non un mal d’imagination, Tolstoï illustre simplement cette sentence de saint Paul apôtre au Romains (8.1-11),


« En effet sous l’emprise de la chair, on tend vers ce qui est charnel ; sous l’emprise de l’Esprit, on tend vers ce qui est spirituel ; et la chair tend vers la mort, mais l’esprit tend vers la vie et la paix. »


 Ainsi cette force qui meut le pauvre Irténiev (p56), n’est pas sans rappeler celle qui anima le marquis de Sade et les non moins célèbres libertins Don Juan et Casanova. Qu’ils furent dévorés par un appétit trop grand des femmes, ils furent non moins des figures renversées d’un christianisme tout aussi dévorant. Ainsi ils furent promis à l’enfer et outre la grâce spéciale de Dieu, ils y descendirent comme Virgile et Dante en leur temps mais sans y ressortir. L’idée donc de l’enfer, Irténiev y goutta lorsque il alluma une allumette pour y brûler ses doigts (p57). La peur de la damnation le poussa à éprouver le feu avant que Dieu ne le sauve une deuxième fois (p71). Mais cette force qui s’est emparée de lui et qui semble plus forte encore (p76) est le diable qui a pris la forme de la femme, pense Irténiev (p84). Peut-être que Tolstoï, avant d’écrire cela, a lu « Une très plaisante nouvelle du démon qui prit femme », de Nicolas Machiavel. Parce qu'un très saint-homme, nous dit l’auteur du Prince, pieux et honnête, avait témoigné que la plupart des âmes qui allaient en enfer se plaignaient d’y avoir été condamné pour avoir pris femme. Quant au prophète Mahomet, après son voyage nocturne en enfer, raconta qu’une majorité de damnés étaient en réalité des femmes. Dans Le paradis perdu de John Milton, l'archange saint-Michel montre en vision à Adam ce que sera l'avenir. Dans l'une de ces visions il décrit ces femmes nourries et accomplies seulement pour le goût d'une appétence lascive afin que beaucoup d'hommes destinés à une noble fin y sacrifient ignoblement tout leur honneur. Adam confus de ce qu'adviendra sa descendance dira à l'ange,

"Ô pitié! ô honte! que ceux qui, pour bien vivre, débutèrent si parfaitement, se jettent à l'écart, suivent des sentiers détournés, ou défaillent à moitié chemin! Mais je vois toujours que le malheur de l'homme tient de la même cause ; il commence à la femme." (2)

 Aux dires de Thomas More dans sa mise en garde avant l’enfer, la chair est ainsi farci qu’elle peut manœuvrer l’esprit et en faire son esclave tout en l’enfermant non pas dans une prison mais dans une tombe (1). Si Tolstoï fait de son personnage un être maudit à cause de la concupiscence charnelle, il n’en demeure pas moins assez équilibré envers le sexe féminin. En effet, dans cette histoire-là s’il n’épargne pas Irténiev, il dresse toutefois un portrait plus qu’élogieux de son épouse Lise. Il l'oppose d'ailleurs à la belle paysanne qui a envoûté son époux et bien qu'elle ignora tout de cette relation, elle fut un modèle idéal de femme. 
 

 Ainsi cette tendance qui guette tous les hommes, et bien qu’ils soient conduits pour beaucoup à satisfaire entre les cuisses des femmes un appétit que Dieu a voulu honnête afin de donner la vie, n’est pas plus un signe de folie qu’une malédiction mais bel et bien un plaisir naturel provoqué par un accroissement hormonal.


 Ce postulat nous invite donc à méditer sur cette puissance instinctive qui est capable de damner un homme. Victor Hugo, qui publie en 1831 Notre-Dame de Paris, révèle cette force à l'oeuvre à travers le prêtre Claude Frollo. En effet, la belle Esméralda qui a tous les ravissements du corps, va pousser peut-être malgré elle, le pauvre Frollo dans une fièvre lubrique si intense qu'il est alors prêt à se damner pour l'assouvir. Indéniablement dans l'extrait qui suit, Frollo perd la raison,


" – Oh ! dit le prêtre, jeune fille, aie pitié de moi ! Tu te crois malheureuse, hélas ! hélas ! tu ne sais pas ce que c'est que le malheur. Oh ! aimer une femme ! être prêtre ! être haï ! l'aimer de toutes les fureurs de son âme, sentir qu'on donnerait pour le moindre de ses sourires son sang, ses entrailles, sa renommée, son salut, l'immortalité et l'éternité, cette vie et l'autre ; regretter de ne pas être roi, génie, empereur, archange, dieu, pour lui mettre un plus grand esclave sous les pieds ; l'étreindre nuit et jour de ses rêves et de ses pensées ; et la voir amoureuse d'une livrée de soldat ! et n'avoir à lui offrir qu'une sale soutane de prêtre dont elle aura peur et dégoût ! Être présent, avec sa jalousie et sa rage, tandis qu'elle prodigue à un misérable fanfaron imbécile des trésors d'amour et de beauté ! Voir ce corps dont la forme vous brûle, ce sein qui a tant de douceur, cette chair palpiter et rougir sous les baisers d'un autre ! Ô ciel ! aimer son pied, son bras, son épaule, songer à ses veines bleues, à sa peau brune, jusqu'à s'en tordre des nuits entières sur le pavé de sa cellule, et voir toutes les caresses qu'on a rêvées pour elle aboutir à la torture!...
Le prêtre se roulait dans l'eau de la dalle et se martelait le crâne aux angles des marches de pierre. La jeune fille l'écoutait, le regardait. Quand il se tut, épuisé et haletant, elle répéta à demi-voix : – Ô mon Phoebus !
Le prêtre se traîna vers elle à deux genoux.
– Je t'en supplie, cria-t-il, si tu as des entrailles, ne me repousse pas ! Oh ! je t'aime ! je suis un misérable ! Quand tu dis ce nom, malheureuse, c'est comme si tu broyais entre tes dents toutes les fibres de mon coeur ! Grâce ! si tu viens de l'enfer, j'y vais avec toi. J'ai tout fait pour cela. L'enfer où tu seras, c'est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu ! Oh ! dis ! tu ne veux donc pas de moi?

 

 Avant de conclure, restons encore un court instant avec Victor Hugo pour souligner le caractère mortifère de la beauté à travers la volupté. Si l'étreinte d'une femme a vampirisé le pauvre Irténiev jusqu'à ce qu'il se donne la mort, Hugo, dans un sonnet de 1871, conviendra ainsi de la chose,

 "La mort et la beauté sont deux choses profondes 

 Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait

Deux soeurs également terribles et fécondes

                Ayant la même énigme et le même secret."                

 Pour l'autre poète français, Charles Baudelaire, la débauche et la mort sont deux aimables filles que l'enfer a favorisé (3). Et pour justifier la photographie qui illustre la couverture du livre, l'éditeur, s'est peut-être référé à cet extrait des fleurs du mal, 

"Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, 

Et mon sein, où chacun s'est meurtri tout à tour,

Est fait pour inspirer au poète un amour,

Éternel et muet ainsi que la matière."

 Car bien entendu, dans cette histoire il ne faut point condamner la femme parce qu'elle a entre les cuisses un trésor de délice. Voyez le Christ qui sauve de la mort la prostituée et qui lui pardonne tous ses péchés, il voit la part de Dieu qui demeure en elle et il entend la faire dominer de nouveau. Il faut en cette même perspective observer la femme et l'homme et les mener tous deux à se tourner vers l'image de la Vierge Marie qui a enfanté un trésor de grâce dont le destin est de nourrir d'amour  toute l'humanité. Tolstoï nous le dit à sa manière à travers l'épouse d'Irténiev qui à la veille de la pentecôte (p43), décide du grand nettoyage de la maison familiale. Tolstoï a alors tissé cette image de la purification dont nous devons nous inspirer pour renouveler la chair par l'esprit.

Antoine Carlier Montanari


(1) Thomas More , Mise en garde avant l’enfer, Ed. Nouvelle Cité, p103

(2) John Milton, Le paradis perdu, XI 601-635

(3) Les fleurs du mal, Les Deux Bonnes Soeurs.

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S
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. N"hésitez pas à visiter mon univers (lien sur pseudo). A bientôt.
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