Le Dessous Des Toiles : Tu M'as Sauvé La Vie (Sacha Guitry)
L'approche psychanalytique est peut-être nécessaire pour souligner, à travers cette oeuvre de Sasha Guitry, la virilité masculine du réalisateur de "Si Versailles m'était conté..." En effet cette très courte analyse vise à cimenter le rapport quasi obsessionnel de ce dernier à la gente féminine. Il fut un homme à femme, comme on dit, il en épousa pas moins de cinq.
Sacha Guitry joue donc ici un baron misanthrope et qui après avoir été miraculeusement sauvé par un malheureux clochard joué par Fernandel, change et se met à aimer l'humanité. Cet élan vers autrui est le mécanisme de guérison du baron. Cet élan de guérison vient de sa poussée phallique qui est synonyme, en psychanalyse, de puissance et d'autorité (1). Dés lors, quand le baron, à la toute fin du film, s'adresse à la marquise, interprétée par la délicieuse Lana Marconi, il est dans la position du malade qui réclame de l'aide. La femme est alors devenu pour le baron ce médecin, il la nomme d'ailleurs son infirmière. C'est à dire qu'il tend vers elle, il manifeste son reste de vigueur et de puissance incarnées subtilement à l'écran d'une part par le long oreiller posé au fond de la salle sur le banc et qui lie subtilement le baron, au niveau du bas ventre, jusqu'au visage de la marquise, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, et d'autre part sur la cigarette fraîchement allumé qu'il tient entre les doigts de sa main gauche posée à nouveau au bas de son ventre, et orientée vers la marquise.
Le baron se fait suppliant et pourtant c'est la marquise qui est assise. Les deux sont réceptifs, la marquise reçoit la puissance phallique du baron. Ce dernier est donc dans la position de se démunir de sa partie médiocre pour vivre mieux. Il faut qu'il abandonne cette misanthropie, il faut qu'il se sépare de cette attitude négative et castratrice qui l’empêche de faire confiance à autrui. C'est apprendre à compter sur l'autre comme le malade sur le médecin. Ce transfert phallique qui lie ici l'esprit de l'homme à l'esprit de la femme, à travers un symbolisme charnel proprement construit, exprime le désir du baron par la médiation de son sexe tout en lui faisant rencontrer platoniquement l'autre sexe. Cet échange sexué est parvenue à sa maturité psychologique où le désir des corps s'est transmué en désir de cœur et d'intelligence. Hélas pour le baron, la marquise s'en ira, le laissant seul avec ses domestiques.
Le pied dans cette histoire n'est pas un élément anodin, outre la blessure causée à cet endroit précis, il est le membre par lequel le baron va centrer son histoire. Il va s'appuyer en quelque sorte sur lui pour axer ses désirs. Si à la comtesse, avant qu'elle ne le quitte pour se marier avec Fernandel alias Fortuné Richard le clochard, il lui offre une photo de son pied, c'est justement pour le lui mettre symboliquement là où on le pense afin qu'elle déguerpisse. C'est ici le symbole de sa misanthropie. Quelques minutes plus tard, s'adressant à la marquise il lui dit, - "Je me suis apitoyé sur ce membre inférieur. " Il désigne alors de la main qui porte la cigarette, le pied en question. Il lie ici la cigarette au pied, au plaisir et à ce membre inférieure dont l’appellation porte à confusion avec un autre membre. Aussi, Sacha Guitry est si bien inspiré qu'il forge ingénieusement une image toute aussi subtile de ce membre en question quand il dit à nouveau à la marquise à travers l'infirmière, -" Ah oui, elle dépassait la mesure... Mais mademoiselle, j'en étais à ça de vous demandez de bien vouloir prendre ma température!" Il désigne alors de sa main gauche, de celle encore qui porte la cigarette allumée, le "ça" après mademoiselle. Si comme nous l'avons vu la cigarette est ce symbole phallique éveillé puisque allumée, la mesure est celle de la cigarette et la température évoque le thermomètre où le verbe "prendre" nous fait imaginer précisément l'ingénieuse allusion du baron.
Pour conclure, on pourra noter la présence des deux colonnes en arrière plan. L'une derrière le baron et l'autre derrière la marquise. Cet encadrement vertical délimite en quelque sorte l'échange courtois de nos deux personnages. Cette verticalité rompe avec les horizontalités du long coussin et de la cigarette. Ici il est plutôt question, comme l'homme et la femme sont respectivement adossés chacun à une colonne, à un mélange des genres, c'est à dire à cette présence du féminin dans le masculin et celle du masculin dans le féminin (2), notez à ce propos le comportement parfois féminisé de Sacha Guitry. Ces colonnes mènent à un petit salon où une grande tapisserie est accrochée sur le mur du fond. Celle-ci représente une scène bucolique où se meut une félicité champêtre aux abords d'une forêt touffu et légèrement obscure et qui évoque en creux le bas de l'aine de la femme que l'homme admire tant. Aussi le spectateur est invité à y pénétrer par le regard et à sentir cette chaleur d'un intérieur bourgeois et feutré, tout aussi délicieux que pourrait l'être le corps d'une très belle femme, à l'image de l'infirmière qui prend soin du pied du baron. Il faudra rappeler, pour la petite histoire, que dans la vie Sacha Guitry et Lana Marconi, sont mari et femme.
Antoine Carlier Montanari
(1) Françoise Dolto, La foi au risque de la psychanalyse, Essais, pp67
(2) C.G Jung, Métamorphose de l'âme est ses symboles, Le Livre de Poche, p371