Le Dessous Des Toiles : Maman, J'ai Raté L'avion (Chris Columbus)
Pour cette première analyse de film, j'ai choisi un long métrage de Noël pour satisfaire à la période présente. Le film de Chris Columbus "Maman j'ai raté l'avion", à qui l'on doit déjà quelques classiques comme Les Gremlins, les Goonies, Madame Doubfire et quelques opus d'Harry Potter, est ce que l'on pourrait appeler un incontournable du cinéma. Ici ce met en mouvement le management chrétien de la dignité et du courage. Le spectacle pur de l'enfance non infantilisée jouit de la folie rationnelle du jeune Kevin qui fait de la maison familiale un enfer terrestre afin de punir deux cambrioleurs sans scrupules. Ces mauvais larrons assument les fonctions de méchants afin de révéler la haute potentialité du jeune Kevin qui jusque là était considéré par ses frères et sœurs comme un moins que rien. L'idée de cet affrontement est un écho contemporain de l'épisode biblique qui voit le jeune David s'opposer au géant Goliath et triompher de lui par la ruse.
Le cas de Kevin va donc nous permettre d'illustrer la virilité naissante dans un jeune garçon. En effet, Kevin, qui se retrouve seul dans la maison familiale après que ses parents, ses frères et ses sœurs se soient envolés pour les fêtes de Noël, à Paris, en l'oubliant, va s'avérer être l'homme de la maison puis un homme tout court.
Ce faisant, avant la séparation, Kevin qui s'est fâché avec sa mère est contraint de dormir au grenier (photos). Cet isolement n'est pourtant pas fortuit, ce lieu élevé de la maison incarne en quelque sorte la tête. En effet le grenier est une image de la boite crânienne et donc du cerveau et de l'esprit. Il n'est donc pas étonnant que dans le second opus, "Maman, j'ai encore raté l'avion", il se retrouve en compagnie de la dame aux pigeons dans le grenier de l'opéra (photos). De même, dans la maison abandonnée, c'est du toit qu'il interpelle les deux cambrioleurs. Cette localisation en hauteur place Kevin dans une position de supériorité intellectuelle. Le plan sur la grande feuille de papier (photo) et où est établi tous les pièges afin de contenir les deux cambrioleurs, témoignent de son ingéniosité. De plus sa volonté, sa détermination, sa bonté d'âme et sa générosité expriment une force spirituelle hors du commun.
Une fois établi ses qualités morales et mentales, nous pouvons revenir au récit lorsque Kevin s'aperçoit qu'il est seul à la maison. Il entend alors profiter, dans un premier temps, de cette liberté acquise. A sa convenance donc, de façon triviale et avec une frénésie décapante (photo) il brave les règles et les consignes établies par ses parents en faisant tout ce qui lui passe par la tête. Ce stade est un stade d'apprentissage à l'autonomie et à l'émancipation.
Mais à ce stade l'adulte représente à ses yeux une inquiétude, une incompréhension, c'est une autre réalité dont il est encore incapable de comprendre et d'apprécier. Lorsque pour la première fois il sort de la maison, il se retrouve face à face avec le vieux monsieur à la pelle (photo), il hurle alors de terreur et rentre aussitôt se nicher sous le lit de ses parents. À ce stade Kevin est confronté au monde extérieur, au monde des adultes supposé mauvais et dangereux, tout naturellement en se réfugiant dans le nid familial, dans le lit de ses parents et non dans le sien, il admet instinctivement qu'il existe tout de même de bons adultes. Kevin réalise ainsi sa dépendance au modèle parental.
La chaudière au sous sol (photo) constitue alors le rite de passage qui mènera en quelque sorte le jeune garçon à la maturité, à l'âge adulte. Aux yeux de Kevin, la chaudière est pareille à un démon crachant du feu. Son imaginaire d'enfant le persuade que cette zone de la maison est le lieu des enfers et la chaudière son gardien. Il transfert dans la chaudière l'image négative des adultes et ainsi la chaudière acquière une vie propre. En projetant sa propre peur dans la chaudière, Kevin a donné corps à sa peur. Ce transfert est de l'ordre de l'infantilisation, la chaudière est cette entité purement mauvaise qui se nourri des chocs émotionnels successifs engendrés par sa famille. Il y a quelque chose de forcément nuisible a l'oeuvre et qui rend mauvais les membres de sa famille qui l'ont abandonné. Évidemment s'il détruit cette bête, cette chaudière, il détruit le mal présent dans la maison. Aussi, armé d'une grande volonté il parvient à vaincre sa peur et à renvoyer aux oubliettes la chaudière malfaisante. À ce moment là Kevin a gagné en maturité, il a cessé de se comporter comme un enfant. Il a purifié l'âme de la maison, il a chassé le mal spirituel il ne lui reste donc plus qu'à chassé le mal physique incarné par les deux cambrioleurs (photo).
De fait, il n'est pas anodin que cette purification soit en quelque sorte symbolisé par la panière de linges que porte Kevin à ce moment-là (photo). Effectivement, qu'on en est conscience ou pas, le fait de laver son linge représente symboliquement un exorcisme ou une purgation. A la manière de la petite Chihiro (ici) qui dans le chef d'oeuvre de Hayao Miyasaki, doit laver entièrement une immense baignoire toute sale et qui durant ce temps de nettoyage intense accompli sa propre purification. Cette métamorphose s'accompli durant un rite d'initiation, lequel est une tâche appartenant au quotidien et qui ne disant pas son nom produit à l'intérieur de l'individu un renouvellement de l'être. Ainsi Kevin, en transportant le linge sale afin de le nettoyer dans la machine à laver, produit inconsciemment sa propre purification.
L'épreuve de la chaudière au sous sol est tout de même précédé d'une scène au fort accent libidinal. En effet, Kevin choisi de fusiller des figurines en plastique qu'il a soigneusement disposé devant l'ouverture du conduit d'évacuation du linge sale (photo) qui mène au sous sol. De là, le fusil dans les mains, en position de faire feu, Kevin vise chacune des figurines afin qu'elles tombent dans le conduit. D'un point de vue psychanalytique cette scène en dit long sur la virilité naissante de Kevin. Observons qu'ici, cette lecture met en évidence la fonction ithyphallique en devenir du jeune garçon. Le fusil (photo) qui tire dans le conduit préalablement ouvert par Kevin lui-même, traduit déjà là l'expression du coït. Notez que les figurines qui tombent sont l'expression en germe du devenir des deux cambrioleurs. Il n'est donc pas étonnant que par la suite Kevin choisisse comme programme télévisuel un film de gangster où dans une scène très précise un chef mafieux flingue un autre gangster (photo). Les rafales qui s'en suivent du fusil mitrailleur révèlent une nouvelle fois et à profusion cette expulsion précoce de soi. L'enfant affirme ici son penchant naturel pour l'affrontement où celui qui fait feu est celui qui a l'autorité. De ce fait, avec un regard un peu perspicace, le problème relationnel se pose déjà, la nécessité pressante qui pousse Kevin comme tout petit garçon à sortir le fusil (photo), le revolver ou même toute arme à projectile, induit indubitablement les notions de vie et de mort. La problème moral arrive déjà, aussi quand il tue pour s'amuser, il affirme son instinct de survie. Étant adulte ce même instinct de survie prendra la forme du besoin de donner la vie. On passe d'un instinct de survie individuel à un instinct de survie collectif, lequel est représenté par la famille. Tout naturellement, par la suite, Kevin sentira le besoin de protéger la maison familiale. Ce sera donc toute la difficulté de l'exercice, le discours à l'église avec le vieil homme témoigne alors de cette maturité acquise (photo). Kevin a dépassé le chacun pour soi pour entrer dans le sens de l'intérêt et du bien général. Ce sens de la responsabilité, pour l'observateur attentif, est visible au moment où Kevin afin d'échapper aux deux cambrioleurs, prend la place d'un personnage présent dans la crèche grandeur nature installé devant l'église (photo). Le réalisateur, Chris Columbus a subtilement associé Kevin à la sainte famille.
Une telle conscientisation est pourtant rare pour un enfant de cet âge mais l'essentiel ici, au delà du simple spectacle, c'est d'observer et de constater le passage du stade émotionnel au stade rationnel, de l'enfance au monde adulte, de l'insouciance à la responsabilité et à l'autodiscipline. Le dévouement de Kevin à protéger le "domaine" familial emporte l'adhésion et fait de ce long métrage un référentiel cinématographique, malgré le comique des situations. L'entreprise de Kevin pour défendre son bien se transforme en véritable sacerdoce et devient alors petit à petit une croisade du bien contre le mal. En effet le refus des méchants de rentrer dans l'église s'oppose aux convictions d'un petit garçon qui, seul, et livré à lui même, fait, avant d'entamer son repas devant deux bougies allumées portées par deux anges (photo), son bénédicité et le signe de la croix. La grille de lecture chrétienne permet de mettre en perspective les paroles du Christ à propos des enfants:
Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. (Matthieu 18:3)
On en revient forcément à cette nuit de Noël où se situe l'action du film. Si en effet Kevin fait un moment donné le choix d'aller se recueillir à l'église, le réalisateur prend le parti de filmer une crèche (photo) non moins imposante située juste devant l'église. À l'intérieur, un chœur d'enfant (photo) chante des cantiques religieux avec une solennité qui rappelle celle de la fameuse maîtrise du King's collège de Cambridge (photo). On en revient donc à la question religieuse, qui malgré le fait qu'elle sera effacé du deuxième opus et remplacé par une morale laïc, confirmant là, la lente érosion des valeurs chrétiennes en Amérique, le christianisme reste et demeure un modèle idéal de morale ou le héros qui s'en inspire est nécessairement voué au sacrifice pour le bien des autres. Aussi quand Kevin se signe (photo) et que sonne la pendule, il abandonne son repas et s'empresse, tel un combattant enhardi, guerroyer contre ses ennemis.
Le jeune Kevin, comparativement aux autres enfants de son âge, semble beaucoup plus alerte et beaucoup plus perspicace. Il est vrai qu'une grande majorité est indiscutablement coincé entre les gadgets du monde moderne et toutes les sortes de loisirs que la société de consommation propose. L'autonomie dont fait preuve Kevin peut-être alors comparé à la vivacité et la qualité intuitive d'un autre célèbre petit garçon de la littérature américaine. En effet tout comme Tom Sawyer et sa débrouillardise devenu légendaire, Kevin est devenu cette icône de l'Amérique moderne dont GOOGLE, dernièrement, s'est empressé de commémorer à travers une publicité. Cette identité est devenu un nouveau mythe fondateur avant de devenir un archétype universel qui illustre de façon vivante la psycho-politique américaine. Ce self-government précoce a donc fait des États-unis la première puissance mondiale, dont la culture issue de la vieille Europe chrétienne, a envahi littéralement le monde entier. Aussi cette espèce de primauté juvénile américaine a fait rejaillir sur le vieux monde, l'idée de la tradition chrétienne politique. L'Amérique fut alors une sorte de terre promise qui répandit peu à peu cette idée de liberté absolu. Cet univers chrétien en devenir, malgré sa jeunesse, travaille aussi dur que possible à l'établissement du règne du Christ sur terre. Si Christophe Colomb importa la condition chrétienne, c'est Dieu lui même qui enfoui au milieu de ces terres et de ces fleuves l'or nécessaire au progrès de ce continent devenu entièrement chrétien.
Il n'est donc pas déraisonnable de voir dans le jeune Kevin l'image de cette Amérique décomplexée et volontariste qui n'hésite pas à prendre des risques. Tout comme Tom Sawyer, Kevin est devenu un symbole flamboyant d'une Amérique en proie à la décadence et à l'immoralité grandissante. Il est d'ailleurs intéressant de noter que dans le second opus, "Maman, j'ai encore raté l'avion", Kevin rencontre à l’hôtel un certain Donald Trump (photo). Celui qui est devenu le 45ème président des Etats-unis est peut-être ce Kevin devenu adulte qui tente à sa manière de sauver la maison Blanche d'un certain nombre de voyous politiques qui veulent la dépouiller et dont une partie des américains ignorent l'existence. Kevin est donc ce jeune héro américain qui aura montré avec suffisamment de panache l'éclat qu'aurait dû être l’Amérique si elle avait tenu les promesses de ses pères fondateurs.
L'acteur Macauley Culkin, alias Kevin, jouera par la suite dans "Le bon fils" (ici), un film réalisé par Henry James en 1993, soit trois ans après celui de "Maman, j'ai raté l'avion". Ce rôle ne laisse planer aucun doute sur le changement d'époque à Hollywood. En effet, le jeune acteur américain incarne une sorte de diable juvénile qui mène une guerre psychologique, sournoise et dissimulée derrière un visage d'ange. Cette transformation négative ouvre la voix à l'enfance maléfique et qui pour obtenir l'approbation générale use d'une écologie de la jeunesse qui pare le diable d'une beauté juvénile. Cette signalétique apologétique de la diablerie sera définitivement incarnée par le jeune sorcier Harry Potter à travers l'acteur Daniel Radcliffe. Lui même officiera en diable dans un film très cornu qui portera le nom de Horns (ici). Cet ethos est désormais devenu, par l'intermédiaire des réseaux sociaux, celui d'une jeunesse qui s'est émancipée de la morale chrétienne tout en mobilisant tous les paradis artificiels et les effets esthétiques libidinaux afin de reconstituer le modèle dynamique de Sodome et Gomorrhe. L'Amérique est donc devenu une terre de frimeurs et de tricheurs où il n'existe plus de héros au sens chrétien.
Nous allons conclure avec une anecdote qui ne manquera pas de rappeler l'influence chrétienne du film de Chris Columbus. Si Noël est la fête de la naissance de l'enfant Jésus, du sauveur du monde, il est intéressant de noter à ce propos qu'une judicieuse coïncidence établi un lien entre les parents de Jésus et ceux de Kevin. En effet Marie enfanta dans une crèche parce qu'il n'y avait plus de place dans l’hôtellerie (Luc 2.7). De même, la mère de Kevin ne trouvant aucune place disponible dans l'avion pour rejoindre son fils qu'elle a oublié à la maison, est contrainte de suivre un petit groupe de musicien dans un camion pour retourner à Chicago. Il est à noter que ce genre d'anecdote rehausse la qualité narrative du film et qui fortuite ou non, à la lumière de la trame chrétienne, offre là l'occasion de révéler son niveau de connaissance.
Antoine Carlier Montanari