Le Dessous Des Toiles : Maniac (Cary Joji Fukunaga)

 Chapitre 1: L'aliénation

 L'aliénation dont Parlait Marx est d'une manière générale un homme transformé en un être étranger à lui-même et étranger à l'essence humaine. On peut dire également, suivant les propos du philosophe allemand, que l'homme plaçant sa vie dans l'objet de son désir, et outre les propos de Pierre Klossowski sur la question, la vie de l'homme lui échappe pour appartenir à l'objet de son désir. Ainsi donc si l'aliénation résulte de la main mise du Capital sur l'être, lequel n'est plus celui organique produit par la nature mais celui générique produit par les conditions matérielles du Capital. Tout comme le médicament générique qui est une copie dégradée du véritable médicament, l'homme générique est une copie aliénée de l'homme tel qu'il a été représenté dans la chapelle Sixtine. Ainsi, l'être générique produit par le Capital  vit comme un étranger dans l'être organique tout en se nourrissant de lui de l'intérieur. Cet étranger en somme, rappelle curieusement et étrangement l'alien qui a été pondu dans l'estomac par une créature en forme de main et qui, en quelque sorte, évoque cette main du Capital qui gavent l'humanité. 
 Au regard du deuxième épisode de la série Maniac, l'intelligence artificielle, sous la forme d'un super ordinateur,  permet, après que le patient ait ingurgité trois comprimés, d'analyser sa psyché. Le premier des comprimé prend la forme d'un "A" majuscule, il va sans dire que l'allusion au mot aliénation est implicite, voire explicite pour les plus lucides.  De plus, comme le précise le scientifique dans la série, le comprimé A va faire remonter vos traumatismes profond à la surface, on l'appelle "Agonia", du grec ancien qui veut dire victime immolation. La réalisation décide alors, pour illustrer cette aliénation de se référencer ostensiblement au film de Ridley Scott de 1979, Alien, le huitième passager. Ainsi, à la minute 28 du second épisode de notre série, le décor est quasi identique à celui de la salle à manger du Nostromo. Jugez donc par vous même:

Maniac: 

 Alien:

 Ce lieu est précisément l'endroit où l'alien va perforer le ventre de l'un des passagers. C'est la première victime immolée sur l'autel du Capital, on apprendra un peu plus tard que la société propriétaire du Nostromo est parfaitement au courant de l'affaire et elle entend bien, par l'intermédiaire de son officier scientifique, qui n'est autre qu'une interface synthétique vivante, de récupérer l'alien. En fait les passagers sont des cobayes.
Il y a pourtant une deuxième référence au film de Ridley Scott. En effet,quelques secondes plus tard, le docteur Robert Muramuto lit un poème au méga ordinateur du projet. Celui-ci ressemble singulièrement à celui du Nostromo nommé "Maman". Jugez donc par vous-même:

Maniac: 

Alien:

 Dans le troisième épisode, l'uniforme porté par les protagonistes comporte un blason sur l'épaule droite. Celui-ci rappelle exactement celui que porte les passagers du Nostromo. Il est le symbole d'appartenance des cobayes et des employés à l'entreprise capitaliste.

Maniac:

Alien: 

 Ainsi l'aliénation de l'homme, pour reprendre Marx, est une conséquence immédiate du fait que l'homme engendre tout un tas de parasites mentaux directement influencés par les forces capitalistes qui produisent en l'être une effluve de désirs corrompus dont la transformation la plus emblématique est certainement la célèbre figure du Docteur Jekyll quand il devient Mister Hyde. Il faudra, dans cette histoire, comprendre que la créature du film de Ridley Scott matérialise cette aliénation si fortement décriée par Marx dans ses manuscrits de 1844. Lorsque l'alien est pondu dans l'homme, la bête n'est que l'image du produit aliénant qui par sa supériorité rétrograde l'homme à un hôte où son ventre sert d'incubateur mammaire. Si la nature de cette créature est toute aussi agressive que le Capital en action, son sang est tout aussi acide que la loi du marché.

Chapitre 2: Le Secret

Avec l'épisode 5 on change radicalement de référentiel. L'épisode est centré sur une anomalie électronique qui provoque une dérégulation dans le processus du contrôle mental des cobayes. Aussi, à la suite de ce dysfonctionnement, le super ordinateur qui contrôle les rêves, réuni dans une même autre et fausse réalité les deux principaux protagonistes. Ils se retrouvent dans une soirée mondaine où il se passe d'étranges cérémonies, lesquelles rappellent la fameuse scène du rituel dans le très fameux long métrage de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. Si on décortique pas à pas l'entrée en scène de Jonah Hill dans le manoir, quelques similitudes, peut-être hasardeuses, vont toutefois mettre en évidence les us et coutumes d'une certaine bourgeoisie.

Etape 1: Le manoir est éloigné de la ville et est situé dans une forêt

Maniac:

Eyes Wide Shut:

Etape 2: L'arrivée en voiture avec chauffeur

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Etape 3: L'accueil

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Etape 4: Le rituel occulte

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Etape 5: Le masque de l'occulte

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Etape 6: Le gong et le coup de bâton qui annoncent quelque chose

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Etape 7: La musique

Maniac:

Eyes Wide Shut:

Etape 8: Les 3 personnages mystérieux

Maniac:

Eyes Wide Shut:

 Le long métrage de Polansky, Rosemary's baby, ne fait que confirmer le besoin des plus riches de garantir, à l'aide de forces occultes, leur richesse et leur statut par le contrôle des masses. Le film de Kubrick, indirectement, en se référant au carnaval de Venise par l'usage de ses masques fantasmagoriques, rappellent le fameux assassinat, le 22 mai 1910, du très admiré et célèbre homme d'affaire vénitien, Giovanni Stucky. Un anarchiste lui tranche la gorge d'un seul coup de rasoir et tout Venise est horrifié par cet attentat d'une violence inouïe. Les riches ne sont donc jamais véritablement à l'abri, c'est pourquoi ils tentent de se prémunir ce ce genre de crime sauvage en pactisant avec des forces cachées. Pour cela ils doivent maintenir le secret. Le sociologue Georg Simmel et le philosophe Alexandre Koyré font parti des rares penseurs qui ont théorisé sur la chose. En effet, Alexandre Koyré (1) précise que le groupe d'influence se fédère et se fidélise autour de symboles qui échappent aux non-initiés. A ce jeu, le secret devient essentiel pour se différencier du reste du monde tout en apportant une aura sacrée qui augmente l'importance de ce même groupe. Plus il y a du mystère, plus la distance se creuse entre l'initié et le non-initié, c'est pourquoi l'initié a le devoir de dissimuler tout en simulant ce qu'il n'est pas. La confusion est telle que même l'initié sait qu'en public le chef du groupe a le devoir d'aveugler, de berner et de tromper ce même public. C'est pourquoi, dans le film de Stanley Kubrick, le masque garanti l'anonymat, de plus le maître de cérémonie menace verbalement Tom Cruise de ne rien dévoiler de ce qu'il a pu voir durant cette soirée occulte. D'une autre manière, dans Maniac, le dialogue entre Jonah Hill et la jeune femme près de la chouette confirme l'importance du secret, -montre-moi les ficelles, dit la jeune femme à Jonah Hill avant que celui-ci ne lui réponde, - pas ce soir jeune fille, je travaille seul.

 Dans cet ordre, le symbole, le mystère et l'occulte apportent une aura sacrée aux initiés, et outre les références évidentes du film de Kubrick, notez celles présentes dans Maniac, le dragon ailée à l'entrée et la chouette, symbole de celui qui voit dans l'obscurité. Si on ajoute à cela que Jonah Hill pratique la magie, on obtient dans dans cette affaire-là un cocktail sulfureux. 

 Toutefois, un élément vient par ailleurs relier la série au film de Stanley Kubrick. Curieusement une voiture rouge de type 4x4 apparaît dans l'épisode 5 sous la forme d'une miniature et dans le long métrage de Kubrick comme le véhicule qui va transporté Tom Cruise de l'entrée de la demeure aux portes du manoir.

Maniac: 

Eyes Wide Shut:

Antoine Carlier Montanari

(1) Alexandre Koyré, Réflexions sur le mensonge