Un Livre Que J'ai Lu (64) : Réflexions Sur Le Mensonge (Alexandre Koyré)
L'homme se définit par la parole, c'est le propre de l'homme, nous dit l'auteur à la première page. Alexandre Koyré est un historien français des sciences né 1892 en Russie dont la pensée philosophique tourne autour de celle de René Descartes. La question de Dieu mérite à ses yeux une réponse toute aussi contractuelle que celle de la perception du monde. C'est pourquoi, nous dit Alexandre Koyré, avec tous les flots de mensonges qui se déversent sur le monde (p10), il y a un mépris absolu et total de la vérité (p11). La recherche de la vérité a bien été relégué à la sphère personnelle, la production du mensonge destinée aux foules et aux masses fonctionne à plein régime. Alexandre Koyré parle de propagande moderne, on peut, à ce propos se référer à l'ouvrage d'Edward Bernays, paru en 1928 , Propaganda.
Si le monothéisme biblique condamne sans équivoque le mensonge, la vérité est bien la nourriture des âmes fortes (p14), c'est une vertu aristocratique virilisante. C'est ainsi que la ruse, avatar du mensonge, a fait d'Ulysse un héros grec dont la renommée a traversée les siècles. Mais Dante, en son enfer, l'y a placé comme le dernier des empereurs romains. Il faut dire que la ruse est la compagne de la guerre et qu'elle lui fourni autant de stratagèmes que de manigances pour mettre en échec l'ennemi. Dire que la ruse est une arme revient à dire que le mensonge est autorisé dans la guerre (p17). C'est pourquoi, plus la guerre imprime sa marque au monde, plus le mensonge est usité et plus il devient un moyen légitime. Et si donc la guerre devenait un état permanent, il est clair, nous dit l'auteur, que le mensonge deviendrait normal (p18).
Ainsi, si le mensonge est une procédure de la ruse, il va se répandre dans l'art de la guerre comme une discipline à part entière. Ulysse avec son fameux cheval de Troie, incarnera le modèle à suivre en la matière. Sa ruse deviendra si éclatante qu'elle obtiendra dans l'histoire de la guerre la place la plus exemplaire. A ce propos, sans s'éloigner de la guerre les usages de la diplomatie impliquent nécessairement de ne pas révéler ses intentions. Naturellement le secret deviendra d'état et de là découlera les services de renseignements chargés de découvrir les secrets d'état des autres états (p22). Une note de bas de page fait mention des travaux de Georg Simmel sur la question. Comme nous l'avons vu dans la précédente fiche de lecture, Simmel en effet est l'un des seuls qui s'est penché sérieusement sur la notion de secret et de sociétés secrètes.
Alexandre Koyré précise que le groupe d'influence se fédère et se fidélise autour de symboles qui échappent aux non-initiés. A ce jeu, le secret devient essentiel pour se différencier de la masse tout en apportant une aura sacrée qui augmente l'importance de ce même groupe. Plus il y a du mystère, plus la distance se creuse entre l'initié et le non-initié, c'est pourquoi l'initié a le devoir de dissimuler tout en simulant ce qu'il n'est pas (p26). La confusion est telle que même l'initié sait qu'en public le chef du groupe a le devoir d'aveugler, de berner et de tromper ce même public (p27). Tout naturellement ce modus operandi offre une espèce de lien mystique entre les initiés qui savent que plus le secret est gardé plus ils perçoivent l'honneur qu'ils ont de le posséder. Ces mêmes initiés développent alors un sentiment de suffisance tout en éprouvant un sentiment de primauté en voyant les autres tomber dans l'ignorance et la tromperie.
Ceci dit il existe, nous dit l'auteur, la technique du mensonge au deuxième degré. Il s'agit en effet d'annoncer publiquement des vérités que l'on sait qu'elles ne seront pas cru, ni prises au sérieux par ceux pour qui elles sont destinées (p29). Technique perverse et machiavélique qui est également surnommée la conspiration en plein jour (p30). Ainsi la dissimulation en apparaissant en plein jour devient vérité et cette même vérité n'est que la révélation de la perversité. Curieusement les masses ne mesurent pas cette révélation à sa juste valeur.
L'attitude spirituelle des régimes totalitaires (p36) refusent aux communs des mortels les plus hautes formes de l'intelligence, l'intelligence intuitive, la pensée théorique, la raison discursive, la raison ratiocinante et calculatrice, parce qu'ils pensent que l'immense majorité des hommes en est dénuée (p37). Ces mêmes régimes totalitaires trouvent encore que cette immense majorité des hommes ne pense pas, qu'elle est un animal parlant et crédule dont il faut garder enchaîner. D'où la nécessité d'une minorité pensante et agissante pour la guider car la masse ne sait qu'obéir et croire (p38). Elle croit d'ailleurs si bien tout ce qu'on lui dit qu'elle ne remarque jamais où on l'a conduit de sorte que cette masse est pareille à ces brebis que l'on va tondre.
Au regard de la démocratie française, par exemple, la dernière élection présidentielle en mai 2017 qui a vu Emmanuel Macron triomphé de Marine Le Pen, pose la question de la capacité de réflexion du peuple. Nous avons pu constater que l'élite économique et politique, à travers les figures visibles de Jacques Attali et Alain Minc, a su manifestement conserver le pouvoir en plaçant un homme parfaitement acquis à sa cause. Dans ce cas, la masse a été incapable de distinguer la stratégie manipulatoire derrière la réalité apparente. Dans cette histoire là la masse ayant voté pour le représentant téléporté du système est aussi crédule que le corbeau au dessus du renard, précisément parce que cette masse qui ne pense pas croit tout ce qu'on lui dit, elle n'a pas de mémoire et elle est incapable de percevoir la vérité quand elle se présente à elle (p38,p39). De plus elle ne comprendra peut-être jamais à quel traitement elle a été soumise. C'est dire et en raison de son déni des sociétés secrètes et de leur influence dans la société, la masse est dans l'incapacité de remarquer la ruse quand elle est à l'oeuvre..
Antoine Carlier Montanari