Un Livre Que J'ai Lu (63) : La Foi Au Risque De La Psychanalyse (Françoise Dolto & Gérard Sévérin)
Remontons donc le temps, nous dit la psychanalyste Françoise Dolto, ce temps qu'il est nécessaire de connaître pour mieux nous comprendre et ce temps, c'est ce temps de la petite enfance (p28), c'est pourquoi elle nous replonge dans les évangiles qui sont cette petite enfance de la pensée occidentale. Le Christ est le cœur des évangiles, d'abord l'étoile du Berger, la crèche et l'enfant Jésus. Sa mort puis sa résurrection donnent un sens universel à la vie, et qui, avec le recul, nous permet de comprendre ce réel passé qui a surgit imprévisiblement (p30). Ce temps T+2 ou après coup, rend le réel plus reconnaissable et plus résonnant à la raison. Cette résonance est la même que celle décrite par François Cheng lorsqu'il décrit le mouvement de l'âme dans ses méditations sur la mort. Les mots morts n'existent plus, l'esprit raisonne avec "ai" et il raisonne puisqu'il a trouvé du sens à la mort par la résurrection. Ainsi se forme la différence avec l'athée qui ne peut voir, tout au plus, que des "lendemains qui chantent" (p35). Effectivement le temps s'est considérablement rallongé avec le Christ, son espace-temps à lui achève le temps humain, en effet l'espace-temps selon la science des hommes est le prêt-à-porter de la pensée matérielle, il n'y a rien après la mort et il n'y aura jamais rien puisque on est né de rien! Cette sentence d'une humanité athée qui ignore le Christ ressuscité, aurait pu être celle de ce philosophe Bon-Bon d'Edgar Allan Poe, qui contrairement au diable sans yeux, qu'il avait en face des siens, ne voyait rien.
Ainsi Françoise Dolto bouleverse la psychanalyse en réincrémentant le Christ dans son discours. Elle revitalise la fonction motrice du personnage comme le fera René Girard anthropologiquement. Le curseur christique sur-domine donc le "moi" narcissique et l'entraîne vers un but autre que lui-même (p67). Cette dépolarisation agît comme le malade qui transfert sa confiance dans le médecin, on approuve la valeur triomphatrice à quelqu'un d'autre que soi-même (p67,p68), c'est l'humilité retrouvé, la foi dans le Christ c'est l'acceptation de la pleine puissance divine. S'en remettre au Christ s'est donc se démunir du "soi", du "soi" triomphant. Ainsi, Françoise Dolto, en psychanalyste confirmée, évoque la puissance phallique du Christ et donc celle de Dieu (p68,p74). Cette puissance phallique se réalise dans la croix du Golgotha, laquelle devient un paratonnerre universel, un principe actif qui retient pleinement la manifestation du mal. Cette notion biblique est appelé le Katechon, il est ce contre pouvoir bienveillant qui décharge les mortels de leurs souffrances. A sa manière, Thérèse d'Avila, dévoile cette attitude de désir réceptif qui fait de l'humanité le principe féminin et de Dieu le principe masculin. L'abandon à Dieu tout puissant se traduit par une extase libératrice dont seuls les impuissants du monde peuvent prétendre (p75). D'ailleurs Dieu ne désire que ceux-là, les derniers, les infirmes et les malades dira t-il par l'intermédiaire de son fils. A ce propos, les mots de Bernanos sont sans équivoque, entrer au ciel en qualité de vagabond. Ces exilés du monde sont donc disponibles à l'union avec Dieu, les hommes du monde, quant à eux, pleins de la puissance du monde, ils privilégient l'union avec le monde plutôt que celle avec Dieu. L'agir dans le monde sans Dieu c'est être possédé par le monde et non par Dieu, être possédé par Dieu c'est agir dans le monde sans le monde.
Pour ainsi dire, si les hommes sortent du religieux, ils coupent le cordon ombilicale divin dont Freud accréditera avec la psychanalyse. Cette nouvelle naissance psychique ôtera les sécurités spirituelles accordées par le décalogue. Les lois Paternelles élémentaires du Sinaï qui ont fait passer l'humanité à l'âge adulte ont bloqué les lois naturelles dont le Christ s'est spirituellement émancipé avec l'apparition d'un corpus trinitaire parfait qu'Augustin symbolisera avec son triptyque symbolique amoureux. L'amour devint trois fois saints dans une circulation extraordinairement dynamique (p106), offre à l'humanité une paternité maternelle dont l'amour circule sans retenue. Hors de ce mouvement c'est la mort, la rupture généalogique céleste provoque une orphelinisation généralisée qui fait de la conscience un noyau névrotique mis en mouvement magnétiquement par une dynamique fantôme toute aussi stérile qu'illusoire.
A vrai dire, le diapason christique agit comme un idéal purificateur qui accorde nos désirs désaccordés. Il réajuste constamment les harmoniques du désir (p117) tout en suscitant une nouvelle dynamique mimétique capable d'engendrer un idéal du "moi" et un idéal du "je" dont le saint en est la représentation la plus aboutie. Il n'est donc pas étonnant qu'en bonne catholique, Françoise Dolto, baptisera l'un des ses fils Yvan-Chrysostome, en hommage au saint du même nom vénéré aussi bien dans l'Eglise catholique, orthodoxe et copte. Le saint est donc cet enfant sage et obéissant qui boit les paroles de son Père qui est aux cieux, comme le nouveau-né boit au sein de sa mère (p130). Ainsi, les saints constituent un ordre modèle dont les figures les plus archétypales sanctifient les 365 ou les 366 jours de l'année. Cette armée de réserve romaine vibre alors des notes ajustées par le Christ dont la Vierge et Mère porte au pied du Père. Cette parfaite communion des saints que les hommes rêvent de voir établir sur terre à travers une gouvernance mondiale, offre aux hommes de bonne volonté la preuve que le chemin de vie proposé par le Christ n'est pas une idée vaine. Ainsi, comme nous le montre la page de couverture du livre, un détail de la Résurrection du Christ de Giotto, où Marie-Madeleine à genoux face au Christ ressuscité annonce avec presque deux siècles à l'avance, l'annonciation de Sandro Botticelli où la main de la Vierge fait écho à celle stigmatisée de son Fils. Sur la fresque de Giotto, Marie-Madeleine est happé amoureusement vers le Christ, la volonté de la bienheureuse à vouloir suivre son Sauveur est si manifeste qu'elle illustre parfaitement les mots de Françoise Dolto :
Dès lors, les malades dont parle l’Évangile délèguent leur puissance phallique à Jésus, c'est à dire qu'ils centrent sur lui leur reste de vigueur et de puissance en lui demandant en échange de manifester sa force en leur donnant ce qui leur manque. Ils se font suppliants. Au lieu d'être résistants, ils sont réceptifs.(p68)
Les paradis artificiels et autres chamaneries allégoriques politiques, le Capital aidant, l'homme se voit happé dans des désirs que notre psychanalyste qualifiera d' "envie-obstacle"(p128). Cet obstacle c'est autrement dit une séparation, une distance qui nous oblige un ressentir un manque qui normalement nous demande d'aller à l'essentiel. Cet essentiel peut alors être entravé par ces envies-obstacles dont le Christ nous met en garde. C'est pourquoi, comme le nouveau-né au sein de sa mère (p135), qui boit le lait, qui mange le sein, qui mange sa mère, dont il trouve là le moyen de construire son être, le Christ nous relie au Père par son Corps et son Sang. Consommer le Christ, c'est manger Dieu, c'est manger l'amour et la vie, c'est aussi se rappeler que l'on est en devenir comme le nouveau-né.
Parallèlement à Simone Weil et à René Girard,en passant par Etienne Gilson et Claude Tresmontant, Françoise Dolto appartient à cet intellect chrétien français contemporain qui a bercé le XXème siècle. Pour ces chercheurs de la pensée, suivre le Christ n'est donc pas une aberration intellectuelle mais bel et bien la vérité avec un grand "V".
Antoine Carlier Montanari