L'Architecture Du Diable (12)

 Du bruit il y en a partout, dans les rues, dans les appartements, dans les usines, dans les parcs pour enfants, dans les transports, dans les magasins et dans tous les lieux où se trouve la foule et les objets de la modernité. Observez le nouveau-né qui ne cesse de crier de terreur en arrivant au monde ou la petite fille qui pousse un cri strident si fort qu'il perce le silence comme le bruit que fait une craie qui grince sur un tableau. Ecoutez les voix rauques et éraillées des chanteurs de hard-rock ainsi que celles grossières et vulgaires des rappeurs dont les sonos viennent amplifier sauvagement. Il en est ainsi aussi des festivals transe et techno qui sévissent brutalement dans le silence des campagnes et qui après avoir bouilli les jeunes esprits, ont tranquillement profanés les champs sur lesquels ils les ont fait danser dans des scènes orgiaques démoniaques. Et en plus de tout cela, les immenses autoroutes et les voies ferrées des trains à grande vitesses qui scindent crûment les campagnes bucoliques et les vertes vallées où des domaines forestiers diaprent agréablement, apportent avec elles le bruit synthétique et artificiel de la grande ville technologique où l'industrie y prospère avec une rare férocité. Foutu monde! avait écrit Melville en 1853 tandis qu'il apostrophait la locomotive à vapeur en la comparant à la coque lugubre de Charon (1) et si plus tard, en 1932, Louis Ferdinand Céline écrira dans son roman monde, Voyage au bout de la nuit, Ce monde n'est je vous l'assure qu'une immense entreprise à se foutre du monde! c'est que ce monde est véritablement devenu aussi barbare que le prétendait Charles Péguy en 1909. 

 Ainsi, faire silence serait peut-être salutaire pour l'humanité, qui, bien que déjà très bruyante sur la terre ferme, propage également son bruit dans le ciel avec ses de machines volantes dont le nombre ne cesse de croître. Et dire qu'il faut même faire silence au cinéma pour que le spectacle nous offre tout un tas de sonorités qu'il a expressément enregistré pour nous. Il est d'ailleurs à noter ici que le spectateur n'exigera jamais autant le silence de la part des autres que pour le seul intérêt du spectacle. Aussi celui qui exige du silence pour le silence, n'est jamais qu'un trouble-fête qui émousse la satisfaction pour le bruit. Ne vous étonnez donc pas, si en tapant le mot "silence" sur un moteur de recherche, on trouve en première ligne le film "Silence" du réalisateur américain Martin Scorsese. Le film narre la persécution religieuse dont ont été victimes des missionnaires jésuites portugais dans le Japon du XVIIème siècle. Naturellement, le silence est une pratique spirituelle préconisée pour se rapprocher de Dieu, le film "Le grand silence" du réalisateur allemand Philip Gröning, traite de cette règle ecclésiale pratiquée par les moines de la Grande Chartreuse. Aussi, le monde tel que l'entendait le Christ quand il disait mon royaume n'est pas de ce monde (2), est donc manifestement aux antipodes du sien. C'est pourquoi le bruit est la signature du monde par opposition au silence qui est celle du Christ. Nous pouvons donc établir, que plus ce monde sera bruyant, plus ténébreux il sera, et plus il sera proche de sa destruction. 

 N'oublions pas, dans cette histoire les mots du Christ, Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair (3). Le bruit violent de la foudre qui s'ensuit est toujours associé à la colère de Dieu, si de plus, l'éclair foudroie, il rappelle à la conscience une réalité supérieure dont on devrait éviter de chagriner. Le tonnerre est donc cet instrument de la manifestation atrabilaire divine dont le fracassant barouf déchire le silence.

Antoine Carlier Montanari

PS: On apprend ce jour même, dans le Figaro en ligne, qu'un jeune a été tué à cause de sa musique. Le fait divers s'est produit dans le nord, à Lomme, un voisin excédé par le volume sonore, a poignardé à quatre reprise le jeune en question.

(1) Cocorico

(2) Jean 18-36

(3) Luc 10-18