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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

21 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (62) : Philosophie De La Mode (Georg Simmel)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Georg Simmel

 

 Après avoir lu de Georg Simmel, La psychologie des femmes suivi des grandes villes et la vie de l'esprit, la Philosophie de la mode apparaît tout naturellement comme le dernier tome de ce triptyque simmelien féminin.

 Le mot "imitation" est ici usité comme un axe girardien, non pas à des fins anthropologiques de grandes importances, mais à celles, plus futiles du mercantilisme. Le socialisme aidant, Georg Simmel convoque le collectivisme social qui s'accomplit dans le principe d'un développement personnel, très à la mode depuis l'émergence du "regard de soi" et de "l'amour de soi" dans le monde entrepreneurial. De fait, le mot "téléologique", très usité par ailleurs par le sociologue français, Christian Morel, défini l'être, homme ou femme, qui est à l'opposé de l'être, homme ou femme, imitatif. Agir exactement comme l'autre, c'est accomplir la finalité de l'autre et non la sienne. L'imitation est une orientation fondamentale de l'être (p11), toutefois cette imitation doit avoir des limites qualitatives quand elle met en danger l'imitateur. Cette fusion morale et comportementale voir psychologique fractionne l'individu. De là, la mode agit en quelque sorte comme un dieu jaloux dont les extravagances désorientent les classes sociales.
 La mode c'est le rêve bourgeois, du bourgeois d'une part pour se distinguer, et d'autre part du prolétaire rêvant d'être un bourgeois. Cette différenciation vestimentaire fait fantasmer le prolétaire tout en le leurrant sur sa condition sociale. C'est la réalisation fantasmatique théorisé par Pierre Klossowski (1). Elle est ainsi capable, et c'est là la démonstration de son pouvoir absolu,  de conduire les êtres à porter des choses parfaitement hideuses (p14). Ce formalisme social, expression simmelienne, enferme le mental dans une relation d'égal à égal avec l'imité. Pourtant l'habit ne fait pas le moine, l'expression marque la frontière entre le déguisement et l'uniforme. Cette division horizontale, autre expression simmelienne, favorise l'émergence d'une fausse unité verticale dans une même collectivité. Les catégories inférieures peuvent faire croire qu'elles sont du grand monde, de la haute, c'est le jeu du chat et de la souris. Cette tension comportementale entraîne bien entendu une excitation nerveuse chez les souris. Le stress émotionnel que provoque la mode est proportionnel à son existence éphémère où les cycles de reconfiguration sont aussi nombreux qu'il y a de confectionneurs. Au fond le chat comme la souris n'ont d'autres choix que d'obéir au rythme imposé par l'autre.
 Ainsi donc, si la mode flatte le sentiment que les individus ont d'eux-mêmes (p25),  grandissant même les personnes médiocres, elle est capable de pousser ces mêmes personnes à porter des configurations vestimentaires typiquement ridicules tout en produisant de la fatuité (p27). Laquelle semblera être le signe de reconnaissance d'une religion sociale extravertie qui légitimera la différence comme une forme de vie exceptionnelle. De sorte que chaque nouvelle image de soi devient une nouvelle race à préserver que le collectif se doit de protéger au nom du libéralisme libertaire. Toutefois, derrière le masque vestimentaire, Georg Simmel souligne la fragilité de l'individu qui désire en réalité dissimuler sa véritable nature (p39). Il y a le masque Socratique qui feint l'ignorance pour amener l'autre, par d'habiles interrogations, à se poser les bonnes questions. Carl Gustav Jung, l'autre grand psychanalyste après Freud, parle du concept de "personna", il y a l'homme tel qu'il est dans le privé et l'homme qui apparaît dans le public. Autrement dit on joue le rôle du personnage que les autres désirent que l'on joue. C'est un impératif catégorique primordiale dont la mode se sert pour faire fantasmer l'imitateur, en ce sens, les personnalités les plus fragiles disparaissent derrière un accoutrement de parade, qui, sur la scène quotidienne fait apparaître le "moi" derrière le "nous" sublimé. C'est la foule et sa banalité, qui implique l'évanouissement presque complet du sentiment de responsabilité (p41). L'imitateur apparaît donc comme un mannequin vivant dont on ne fait que observer le type d'imitation. Le regard et le jugement des autres qui s'en suit se fait uniquement sur le goût esthétique au détriment de la personnalité et du caractère, lesquels sont bien évidemment proportionnels au modèle imité.

 Pour finir, la question est non moins importante pour la femme puisque la grande majorité des maisons de couture ont fait des femmes leur principal marché. La mode, pour Georg Simmel, peut-être l'expression exacerbée d'un sentiment d'émancipation (p31). La volonté de diminuer les traces de son infériorité sociale la pousse dans les bras de la mode afin d'en ressortir plus grande et plus admiré. Dans le supplément du Monde, Mode Femme, daté du 28 septembre 2017, la journaliste Caroline Rousseau, dans un long article intitulé "La féminité, tout un art", nous rappelle que si la mode dans les années 1920 aidait à paraître riche, dans les années 1960, la mode visait à paraître jeune. Maryline  Monroe et Brigitte Bardot vont ôter le chapeau en intronisant le platine comme valeur érotique suprême. Les conseils de Jules Barbey d'Aurevilly sur cette question, dans son Don Juan, permettront d'y voir plus clair. Du coup, la trilogie gagnante, seins-hanches-fesses reprend son rôle d'éducateur sexuel tout en menant les hommes par la braguette. La seule coiffure devint alors un fétiche si ensorcelant qu'il entraîna la mode à devenir plus audacieuse et plus provocante. Ce minimalisme s'étale alors partout en ville jusqu'à devenir totalement naturel avec l'arrivée de la pornographie. Cette hyper-sexualisation chez la femme comme chez l'homme, amplifie l'union de tous les contraires, tout devient alors sexuel avec l'arrivée, entre autres, du Drag Queen, qui fera de l'homme et de la femme un seul et même individu dont la tenue extravagante formalisera le mauvais goût assumé.

 Ainsi, l'extravagance est l'expression d'une singularité collective minoritaire dans un collectif majoritaire qui apparaît comme une revendication naturelle dont le déploiement casse l'homogénéité collective laborieusement obtenu aux fils des années. Cette expression ostentatoire est une alchimie mutante qui se sert du changement comme arme de destruction massive tout en faisant constater l'instabilité de l'esprit de l'homme. La mode, aurait pu dire Baudelaire, est un piège à con de l'identité qui trouve ses racines dans les premières peaux de bête que portèrent Adam et Eve quand ils furent chassés du paradis.

Antoine Carlier Montanari


(1) fiche de lecture 30, 3/12/2017

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