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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

20 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (61) : Cinq Méditations Sur La Mort (François Cheng)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu

 L'auteur est l'exemple même de l'esprit français, il faut dire que chez lui les mots sont révélateurs de cette noble langue qui a fait de la pensée française une manière de vivre et de mourir. François Cheng, comme son nom l'indique, est d'origine chinoise, il est désormais français et installé parmi les immortels dont l'ordre est de veiller sagement sur une langue dont l'existence est désormais menacé. Aussi, pour mieux comprendre quel auguste esprit habite ce vieil homme, nous allons nous pencher soigneusement sur l'un de ses ouvrages dont le titre porte véritablement à réflexion. En effet, "Cinq méditations sur la mort" est une ode à la vie à travers la mort où le tragique ne se situe pas là où on le pense. Non la vie n'est pas la fin de toutes choses, François Cheng nous convie à la table du Christ pour fêter les noces avec l'Amour qui transforme la mort en vie à travers le miracle de la résurrection.

 La première méditation rappelle la question de Leibniz sur le pourquoi de l'existence (p14). La réponse est évidente, le philosophe allemand est un logicien particulièrement bien inspiré. L'auteur relaie donc la proposition leibnizienne pour rappeler, dans cette histoire-là, le caractère dérisoire du hasard. Pour bien mettre les choses au clair, la question en question est Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien? Etienne Gilson, qui a déjà commenté la question dans son ouvrage "Dieu et la philosophie", ne fait que s'inscrire sur la longue liste des commentateurs qui ont vue dans cette question l'obligation de Dieu. Il en sera de même pour François Cheng dont la prose pointera le nihilisme qui dépouille la matière de sa part spirituelle. L'ordre de la vie induit l'expression d'un souffle, qui chez les hébreux est plus communément appelé le "chem" et chez les taoïstes le "Qi". Pour les premiers le Golem d'argile prit vit ainsi et pour les seconds, il engendre l'Un. Outre le rapport évident avec le principe majuscule de Plotin, il faut noter également que dans le Coran Marie conçoit Jésus par le Rûh', le souffle de Dieu. Dans une admirable expression, le père du taoïsme Lao-zi, révèle à sa manière ce souffle créateur,

"ce qui est provient de ce qui n'est pas et ce qui n'est pas contient ce qui est" (p18)

 On touche là du doigt le pourquoi du comment, l'intuition orientale est véritablement axée sur la source originelle de la vie que Michel-Ange échafaudera magistralement sur le plafond de la chapelle Sixtine. Il est bon ici de rappeler que les orientaux comme les grecs ont, par intuition, formulé cette notion de l'unité primordiale qui a agit comme le calligraphe sur la page blanche en faisant jaillir le verbe par le geste (p55). Si donc la mort, nous dit François Cheng, est précisément ce qui donne sa fonction au temps (p20), nous devons joindre à cette pensée les grandes traversées littéraires composées entre autres, par Dante, Baudelaire, Péguy, Valéry et Claudel, lesquels catholiques, auront sérieusement abordé la question avec une rare lucidité. 
 Dans sa deuxième méditation, François Cheng insiste sur la notion grecque "poïen" qui signifie "faire" au sens de la poïesis, la "création"(p57). L'homme, en accomplissant au mieux sa tâche, donne ainsi un sens à sa vie et devant l'éternité le rendra poète de son existence (p57). Cet accomplissement est la jouissance bien comprise de la vie où le mot "sens" ne prend réellement son sens que si il est accolé à la vie. Aussi, pour que ce "sens" soit le plus absolu possible, il faut, nous dit François Cheng, non pas jouir des sens mais jouir du sens (p58). Le mot "jouissance" prend alors tout son sens tandis que la langue française montre ici de manière admirable qu'elle a tout ce qu'il faut pour bien se faire comprendre.

 Ce qui nous conduit inévitablement à l’Éros, et qui selon la psychanalyse est la vie et Thanatos, la mort. Ces deux pulsions forment les deux passions fondamentales de l'être humain (p63) dont l'amour, Éros, prend part de manière corporelle entre deux êtres de sexes opposés. Le corps à corps bien entendu forme le principe d'unicité évoqué précédemment dans lequel participe l'âme dans un corps à corps avec l'autre âme qui lui fait réaliser que ce corps à corps charnel ne peut remplacer la communion amoureuse sainte. A ce propos, Stendhal écrit " Dans le véritable amour ce sont les âmes qui enveloppent les corps.", tandis que Michel-Ange, dans un sonnet, écrit, "Je dois aimer en toi ce que toi-même tu chéris, à savoir ton âme.". Si les deux hommes affirment la primauté de l'amour spirituel sur l'amour charnel, ils ne font que souligner l'irremplaçable souffle spirituel dont le christianisme et le platonisme ont respectivement désigné sous les termes " amour courtois" et "Agapè" (p65).

 En Chine, nous dit François Cheng, à la page 66, les artistes ont symbolisé l’Éros par une chambre close où à travers une fenêtre ouverte une brise printanière caresse des branches fleuries où gazouille des oiseaux. Cette même fenêtre ouverte, dans la peinture primitive chrétienne symbolisera la virginité de la Vierge. L'extase charnelle que l'on peut convenablement comparer à celle mystique de Sainte Thérèse dont on trouvera une trace précieuse sur un marbre du Bernin, est l'idée du céleste bonheur divin. Ce septième ciel illustre alors le moment le plus extatique des deux tourtereaux unis dans l'amour. C'est ainsi que l'amour est ce pont dressé jusque dans l'autre monde où la mort semble avoir disparu et même vaincu. Cette proximité étroite entre l'amour et la mort, Éros et Thanatos, se retrouve également sur la croix du Christ quand celui-ci meurt d'amour pour les hommes.

 Si François Cheng ne peut éviter la référence à Simone Weil, c'est pour mieux souligner l'épreuve de la souffrance qui nous mène à Dieu. Cet autre pont amène l'âme au dessus de la mort pour qu'elle s'y miroite, en effet la conscientisation de sa propre vulnérabilité la contraint à chercher un ailleurs réconfortant et une promesse de guérison durable. Le lien à Dieu est alors intimement et mystérieusement tissé. Pour l'âme qui observe attentivement le Christ sur la croix, une compassion particulière la saisit et l'amène à prêter l'oreille à ce dernier souffle qui sortit des entrailles du crucifié. Dieu ayant reprit son Bien, il le redonna au troisième jour et fit du monde une vallée où poussent les âmes (p130). Ces paroles du poète effectuent une relation ouverte entre la terre et le Ciel. Aussi, lorsque l'âme s'émeut, l'esprit se meut et l'âme alors résonne, résonne avec un "e" accent aigu comme une cloche lorsqu'elle est percutée par son battant. Cette intime résonance avec le Ciel manifeste l'amour de Dieu dans l'âme.

 Dans la troisième méditation, la notion de beauté et la notion du mal se confrontent philosophiquement et moralement. Pour Bergson, "le degrés suprême de la beauté est la grâce" (p82). Le mal, naissant des enfers, use parfois de la beauté mais toujours dépouillée de la bonté et de la charité. Ces deux dernières vertus, dont on pourra rappeler qu'elles étaient présentes chez l'homme éléphant John Merrick, sont garantes de la qualité de la beauté, sans quoi, la beauté seule est la beauté du diable. La beauté instrumentalisé devient un moyen de pervertir les âmes parce que son pouvoir de séduction peut facilement cacher le degré de perversité qu'elle contient. A l'inverse la beauté suprême est la grâce (p82), laquelle transforme toute chose, même la chose la plus laide. Dieu qui pourvoit en Bien tout ce qu'il touche, harmonise également l'ensemble de la création qui, malgré qu'elle soit affecté par le péché et par la mort, ne peut péricliter. L’expérience que connait la nature dans son renouvellement saisonnier évoque ce phénix qui se régénère dans le feu. En conséquence ces mots de Zhuang-zi réaffirment l'élan invisible qui renouvelle toute chose à travers la mort

 Le pouvoir magique de la nature qui ne cesse de transmuer le pourri en merveille (p88). 

 Dans cette logique et sans quitter la troisième méditation, pour faire écho à la question de Leibniz, Dostoïevski, à la fin du XIXème siècle, à sa manière répondra, Si Dieu n'est pas, tout est permis (p95). Puisque en ce temps-là, Nietzsche avait professé la mort de Dieu, la superbe intelligence de l'écrivain russe offrit une réponse existentielle qui mit le monde dans une situation morale impossible. Comme l'industrialisation de la mort au XXème siècle n'eut fait que donner corps aux mots de Dostoïevski, François Cheng achève sa troisième méditation avec un poème du poète Benjamin Fondane mort à Auschwitz en 1944. On retiendra alors ces mots d'une extrême intensité,

la mort aura parachevé les travaux de la haine,

je serai un bouquet d'orties sous vos pieds,

-alors, eh bien, sachez que j'avais un visage

comme vous. Une bouche qui priait comme vous.

 Dans la quatrième méditation, François Cheng s'attarde sur le cas de Shelley, poète et mari de Mary Shelley qui fut rendu célèbre pour son Docteur Frankenstein. En effet et outre qu'il fut une figure inspiratrice pour François Cheng, Shelley permet de nous révéler cette part d'éternité qui habite même l'athée convaincu. Le poète est de ceux pour qui l'âme est un souffle qui dans la tempête pousse les voiles d'un navire à son extrême. Si Shelley fut admiratif de l'autre poète anglais, John Keats, François Cheng dira de ces deux grands poètes, tout en se référant à Virgile et Dante, qu'ils ont été comme l'eau qui mènent les âmes sur l'autre rive. L'un mourut à 26 ans et l'autre à 30.

 Les deux poètes s'en sont allés, avec peut-être l'idée que Dieu ne fut pas simplement une idée mais une possibilité. Aussi, ces quelques mots de Shelley à propos de Keats et cités par François Cheng, n'en sont pas moins troublants,

L'âme d'Adonaïs, ainsi qu'une étoile,

Veille en phare de la demeure où sont les Éternels!

 Tout naturellement l'idée de l'engendrement ne peut-être évacuée si facilement. François Cheng évoque alors une nouvelle fois le penseur chinois Zhuang-zi, qui à plusieurs reprises parle dans son oeuvre de celui qui a fait toute chose. L'intuition, sans pour autant faire l'expérience de Dieu, perçoit tout de même cette relation à un créateur que nous avons peut-être besoin de nommer Dieu (p120). Aussi quand il fut auprès de nous, sur la croix, ce même Dieu, n'a t-il pas appeler les hommes à s'aimer inconditionnellement? Pour le poète, n'y a t'il pas là l'idée d'une absolu révélation? Pour François Cheng personne n'est allé aussi loin et quelle que soit les convictions de chacun l'événement qui a suivi une telle mort est la preuve du salut. Qui dit résurrection d'entre les morts, dit le Christ crucifié. Dans cette perspective l'humanité est poussée à ne plus voir la mort comme une fin de la vie mais le début de la vraie vie.

 Les vers de François Cheng, dans cette cinquième et dernière méditation, nous prouvent qu'il incarne comme il se doit l'esprit français. L'un de ses poèmes, qui évoque le bois mort de la croix, est plein de cette dynamique bloyenne qui revitalise le christianisme. Et quelques pages plus loin, dans un autre poème, le poète français enfonce le clou avec ces mots,

Si le feu prométhéen demeure toujours vivant,

La voie christique demeure, elle, ouverte.

 

Antoine Carlier Montanari


 

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