Un Livre Que J'ai Lu (59) : Cristal De Roche (Adalbert Stifter)
Dans les repères biographiques du début de l'ouvrage on apprend que la période où l'auteur fut pensionnaire au monastère bénédictin de Kremsmünster, fut une période des plus heureuses dont on peut deviner qu'elle sera aussi instauratrice qu'éducatrice. Cet enracinement chrétien que l'on a déjà pu précédemment entrevoir dans Le sentier dans la montagne, est tout aussi efficient chez l'auteur russe Anton Tchekhov dont les récits portent avec une même élégance une société dont la modernité était déjà en train de déraciner. Assurément, à cette même époque, dans un mouchoir de poche, Marx, Nietzsche et Freud, vont, chacun à leur manière, être des anti-chrétiens acharnés dont les assauts fulgurants vont affaiblir considérablement l'emprise chrétienne sur les peuples. Adalbert Stifter apparaît alors comme un des derniers vestiges de cet empire dont la racine va tout de même enfanter des auteurs comme Léon Bloy dont la prose va plusieurs fois renvoyer dans ses cordes le diables et ses acolytes.
Les termes "Notre Eglise", notez Eglise avec un "e" accent aigu majuscule, baptisent notre petite histoire où les mots "Pentecôte", "Pâques", "Semaine Sainte", "Noël", "le Saint jour", "Veillée de Noël" et "Veillée Sainte", avec toujours la majuscule en tête, vont se succéder dans un paragraphe entièrement consacré à la plus belle des solennité chrétienne (p21). Adalbert Stifter intronise donc la naissance du Christ au beau milieu de ce petit village de haute montagne dans lequel l'église élève en son centre son clocher où, à toute volée, ses cloches annoncent l'arrivée du Seigneur. Ainsi à la manière de Tchekhov dans l'étudiant, l'auteur narre cette empreinte chrétienne si fermement ancrée dans le pays réel, si bien d'ailleurs qu'on peut percevoir aujourd'hui combien ces récits sont irrévérencieux.
Au coeur donc de cette montagne enneigée, notre auteur, à vrai dire, géographise sa propre ascension spirituelle à travers le voyage mouvementé de deux enfants dont l'histoire évoque presque curieusement, avant l'heure, celui des deux enfants de la Salette dont le sort fut scellée à la Vierge, une année plus tard, en 1846, dans les hautes alpes française; il faut rappeler ici que le conte de Stifter fut publié en 1845. Ainsi, l'auteur nous installe tranquillement au cœur d'une neige immaculée qui, dans son invisible grâce, saura être clémente avec les deux enfants perdus dans la montagne. Tout se terminera donc bien pour Conrad et Suzanne, laquelle, juste après leur retour miraculeux et juste avant d'admirer l'arbre de Noël, dira à sa mère, "-Maman, cette nuit, sur la montagne, j'ai vu Notre Seigneur Jésus." (p73) Outre la forte allusion au discours sur la montagne du Christ, comment ne pas penser alors aux mots de Maximin et Mélanie quand ils disent au curé de la Salette avoir vu la Sainte Vierge.
A ce propos, on approfondira, dans de prochaines fiches de lecture, le cas des apparitions de la Salette. L'affaire est suffisamment sérieuse pour s'y attarder tant notre époque a relégué les prophéties et le prophètes au rang de superstition du passé. On commencera donc par l'ouvrage de Léon Bloy, Le symbolisme de l'apparition, dont la lecture permettra de comprendre la sémiotique chrétienne et biblique où le surnaturel rappelle celui de Moïse devant pharaon. Suivra ensuite et naturellement une biographie de Léon Bloy dont la vie a été littéralement gouvernée par les apparitions de la Vierge à la Salette. Pour finir, et en attendant d'autres lectures futures sur la question, on retracera les événements de la Salette à l'aide de ce livre agréablement illustré, qui s'acquitte parfaitement de son rôle didactique et historique.
Antoine Carlier Montanari