Le Dessous Des Toiles : Je Ne Suis Pas Un Salaud (Emmanuel Finkiel)
Il y a deux niveaux de lecture, le premier est politiquement correct tandis que le second vient déconstruire le premier. Dans un premier temps donc, le supposé salaud du titre n'est pas en réalité celui qu'on croit, ce n'est pas Eddie, le blanc, mais Ahmed, le maghrébin. Le réalisateur fait passé subtilement le blanc pour un salaud et le beurre pour un innocent. Tout porte à croire, malgré les circonstances atténuantes, qu'Eddie est une victime de la société, et l'on croit tout naturellement qu'il n'est pas le salaud du titre. En innocentant Ahmed, le réalisateur transfert en réalité la culpabilité sur le blanc qui lui même aura été victime d'une bande de jeunes délinquants originaires d'Afrique dont l'affaire sera vite expédié et délocalisée aux oubliettes. Le réalisateur évacue donc le problème en se concentrant essentiellement sur la lente dégradation psychologique d'Eddie. Ahmed, en second plan, est ce salaud qui n'en est pas un. Le réalisateur tâchera de le démontrer en chargeant petit à petit toute la faute sur Eddie. La formule satisfait au politiquement correct ambiant, on se retrouve ainsi dans un duel où le blanc est un menteur et le maghrébin un honnète homme. La fin tragique justifiera cette grille de lecture, mais la part inconsciente retiendra que le gentil est Ahmed et le méchant le blanc. La colère d'Eddie ne viendra que confirmer sa mauvaise foi, le réalisateur choisira de le transformer en tueur pour définitivement ôter tout doute le concernant. Son suicide est l'aveu de sa culpabilité. Dans cette affaire-là, les délinquants ne paieront pas pour leurs actes et c'est un autre blanc, lui, innocent, directeur d'entreprise qui avait aidé Eddie qui est assassiné par ce dernier. Le réalisateur déconstruit le mâle blanc avec une certaine complicité dont on pourra souligner ici qu'elle n'est pas nouvelle dans le cinéma français d'aujourd'hui.
Toutefois, une seconde grille de lecture tout a fait intéressante, permet d'y voir réellement plus clair, il est possible que le réalisateur en ait dit plus qu'il ne devait en dire. En effet, la fin se révèle, par son caractère punitif, être un message anticapitaliste dans lequel la mort du directeur dans un temple de la consommation devient un acte à caractère politique. On ne peut s’empêcher de considérer cet événement comme une sorte d'avertissement aux maîtres capitalistes. Ainsi si le réalisateur marxise en quelque sorte son long métrage, il répartit quelques scènes sur la conditions sociale en France. D'ailleurs, la scène finale est sans équivoque sur la nouvelle situation d'Ahmed. Celui-ci vient d'être embauché dans une entreprise de téléphonie. Le réalisateur oppose alors et peut-être malgré lui la soumission du maghrébin au Capital à l'insoumission presque permanente du blanc. Sous cet optique, ce dernier se révèle donc être le véritable héros de l'histoire. Le petit coussin rouge isolé sur le grand canapé où quelques mètres plus loin gît le corps inanimé d'Eddie, précisément sur le même axe vertical, le montage visuel est sans ambiguïté, est une manière d'associer le personnage d'Eddie au sang, à la colère, à la contestation et à la révolte. Il n'est pas de celui qui se laisse faire, ni devant les délinquants, ni devant le patronat! Eddie est en réalité plein de bonnes volontés, il demande pardon à sa femme tout en reconnaissant ses fautes, il admet, devant le tribunal, s’être trompé en dénonçant Ahmed. Il n'aime pas l'injustice, on peut-être même impressionné de son calme, de son détachement et du contrôle de soi dont il fait preuve alors qu'en ce même temps le juge, la défense et l'auditoire s'acharnent sur lui avec véhémence. Une voix de l'auditoire le traitera de salaud,la descente aux enfers d'Eddie ne fait que commencer tandis qu'Ahmed est innocenté puis libéré.
Antoine Carlier Montanari