Portrait : Charles Baudelaire (1821 - 1867)
Le bois vert de Baudelaire dont on ne sait si les mains qui y ont enfoncé les clous sont celles des damnés du Styx dépeint par Dante sur la toile du maître de la liberté ou de celles du même peuple horrible qui crucifia le Christ, est certainement un de ceux qui prennent ombrage dans les grandes forêts occidentales dont les sapins les plus forts sont abattus pour servir de proue aux vaisseaux qui traversent les glaces du septentrion. Aussi bien que l'auteur précédent qui en terre brûlée y consacra une majeure partie de son œuvre, Charles Baudelaire est de cette sorte de poète qui pourrait être cloué sur une croix. Certains ont planté et même replanté dans son jardin la vigne infâme qui sert à noircir la terre de France dont le blanc lys qui jadis l'avait honoré en siècle, est tombé en 1793. Delacroix a fini par le souiller entièrement et Baudelaire l'y a porté en épitaphe dans sa modernité. Ce monument français qui dit que nul n'a le droit de se passer de poésie, même trois jours, a trouvé le moyen de se passer, dans ce même laps de temps, de pain, c'est dire de quel bois il se chauffe! À cet égard, le français qui ne possède pas dans sa bibliothèque quelques-uns de ses poèmes ne peut être compté au nombre des fiers dont l'orgueil serait d'avoir retenus quelques vers. Et quoi qu'il en soit, ce grand bonhomme qui tendrement a aimé la poésie a regardé passer la vie penché au-dessus d'un verre de Jurançon. Ce vin de l'est qui devance en amertume tous les autres breuvages aura gelé, jusqu'à la mort, le pauvre homme. Sans doute qu'un tel homme à l'agonie fait croître la vie sans corrompre la mort, il vaut mieux en effet avoir rendu l'âme ainsi que d'engraisser en platitudes, lesquelles, sur terre, font tant de médiocres âmes.
Antoine Carlier Montanari