Aphorisme (96) : L'Aliéniste (Série)
« Oh Seigneur Dieu, je ne m’habituerai jamais à cet horrible appareil ! Je préférerai de loin parler à une personne de vive voix, plutôt que d’avoir l’oreille interne contrainte à la promiscuité avec la langue d’un inconnu ! » Ces mots que dit la grand-mère de John Moore au moment où le téléphone sonne, dans l’épisode 5 de la série l’Alieniste, ne sont pas si fortuites ni désuètes qu’elles n’y paraissent. En effet, dans la scène suivante, un train à vapeur lancé à pleine vitesse à travers la forêt siffle ardemment. On est à la fin du XIXème siècle et quelques années plus tôt, plus exactement en 1853, Herman Melville accusera, dans Cocorico, les progrès de son époque à travers la locomotive qui gueule à tue-tête. « La coque lugubre de Charon », ce bois vert de Baudelaire qui qualifiera la barque de Delacroix, sert ici à Melville de surnom démoniaque pour nommer le train. C’est dire que la conception scientifique du progrès est reconnaissable au bruit qu’elle produit. En réalité, elle corrompt le vrai progrès, à savoir le silence. Pour Melville le bruit qui compte c’est le chant du coq, une vraie action de grâces, une bénédiction, dira-t-il.
Antoine Carlier Montanari