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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

25 Mar

Un Livre Que J'ai Lu (51) : Le Journal D'un Homme De Trop (Ivan Tourgueniev)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu

 Tourgueniev alias Tchoulkatourine est cet homme de trop qui avec le prince N… forment cette rivalité mimétique engendrée par le désir de la charmante et jolie Elisabeth Cyrillovna. La théorie de l’anthropologue français René Girard est contenue dans cette nouvelle. Effectivement quand deux hommes désirent la même femme il s’ensuit tout naturellement une rivalité qui entraîne soit la mort soit l’humiliation. Le dixième commandement vient nous rappeler qu’on ne partage pas les femmes, l’auteur, Ivan Tourgueniev, ayant compris cela, met donc en scène le désir mimétique et la rivalité qu'il engendre. Aussi cette Lise, aussi charmante que puisse l'être une femme, était parvenu, certainement malgré elle, à séduire un prince qui probablement ne s'attendait pas à trouver une si joli perle dans une si vilaine coquille, la perle étant évidemment la belle Elisabeth et la coquille la ville où elle réside. Ce rival triomphant qu'était le prince était cet homme destiné à humilier Tchoulkatourine, lequel fut une nouvelle fois humilié par la femme qu'il aimait. Cette Lise finit par épouser, non pas le prince, mais un autre homme du nom de Besmionkof. 

 Au final la mort sera libératrice pour le pauvre Tchoulkatourine qui a été victime de son amour pour la belle Lise. L'effet négatif engendré par la rivalité est précisément une tragédie toute aussi violente que celle de Roméo et Juliette puisque l'amour ne peut se concrétiser ici bas. La mort apparaît donc pour Tchoulkatourine comme une chose sainte, elle élève le plus petit d'entre nous, dit-il à la page 87. Ainsi le désir de mourir a succédé à celui de l'amour de la belle Lise, Tchoulkatourine est véritablement incapable de sortir intact de cette relation inachevée. La beauté de la créature étant, il a été réduit à chercher l'amour dans cette même créature. La coquetterie se mue alors en menace pour les hommes qui ne voyant pas le piège à con que constitue la séduction, tombent fatalement comme des mouches piégées par une goutte de miel.

 Le caractère machinal du désir mimétique trouble le rapport à l'objet désiré, c'est très important, beaucoup plus important que l'amour que peut engendrer l'objet désiré. En effet, la concurrence ou la rivalité mimétique franchit ici le seuil de la violence et le duel entre Tchoulkatourine et le prince, à l'initiative de ce dernier, ritualise en quelque sorte un sacrifice sélectif qui évitera à la femme désiré de choisir entre ses deux prétendants. Le prince ne fait alors que révéler le désir triangulaire (1) déchiffré par René Girard dans son ouvrage, Mensonge romantique et vérité romanesque. Effectivement Tchoulkatourine passe par les trois étapes du désir triangulaire, l'envie, la jalousie et la haine impuissante. L'envie c'est le désir de la belle Lise, la jalousie c'est la concurrence du prince et la haine impuissante c'est la perte définitive de Lise. A la page 52, l'auteur, en faisant parler Tchoulkatourine, ne fait, mais dans un ordre un peu différent, que confirmer la chose:

 " la jalousie, l'envie, le sentiment de ma nullité, une méchanceté impuissante, me déchiraient tour à tour."

 L'appétit sexuel qu'engendre le désir de la femme, c'est l'amour concupiscent de la créature pour la créature qui peut entraîner dans des conflits d'appropriation et qui en réalité fait circuler les protagonistes concernés dans les cercles des enfers. C'est tourner sans fin autour d'une chose dont en vérité elle nous fait croire qu'elle dissimule quelque chose de  bien plus supérieur et qui si elle est obtenu, cette même chose nous assouvira enfin! Il n'est donc pas anodin que l'auteur, Tourgueniev, use de la roue, aux pages 73 et 85, comme symbole de cette circulation infernale. Aussi, depuis Dante en son enfer, Béatrice est ce modèle intermédiaire féminin qui conduit à la béatitude, on passe de l'amour charnel à l'amour spirituel. On sort alors des cercles sans fin pour être mené au Ciel par la main douce et apaisante d'une femme dont la grâce sanctifiante a déjà élevé au paradis.

  31 ans plus tard, en 1911, Léon Tolstoï, un compatriote de Ivan Tourgueniev, publiera une nouvelle intitulée Le Diable. Tolstoï, avec cette histoire, comme on le verra plus attentivement dans une prochaine fiche de lecture, fera écho de cette concupiscence caustique qui détournera un homme  de son épouse. En effet, la belle paysanne Stépanida a les charmes nécessaires et Tolstoï, en quelque sorte, y succombera à travers Irténiev, un propriétaire terrien, convenable et consciencieux et marié à une femme admirable, nommée Lise. On retrouve-là une triangulation du désir dont la structure spécifiquement littéraire expose magnifiquement les rouages du désir aliéné où le démoniaque est le facteur qui décompose toujours l'unité sociale.

Antoine Carlier Montanari

 

(1) Les grands entretiens d'artpress, René Girard, Ed.artpress, p4

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