Un Livre Que J'ai Lu (42) : Sur Le Style De Flaubert (Marcel Proust)
Abordé Flaubert n'est pas chose aisée, si Willa Cather l'a évoqué par l'intermédiaire de sa nièce, Marcel Proust a cartographié son art comme Baudelaire a pu le faire avec ses salons. L'auteur de La recherche du temps perdu, analyse le temps grammatical employé par l'auteur de Madame Bovary. En effet, l'imparfait est usité de manière à éclairer les choses et les êtres sous un nouvel angle (p16). La conjonction "et" est aussi analysée, Flaubert en use non comme un modèle de coupe qui taille en mesure une série de choses, de personnages ou d'événements, mais comme un espace-temps qui introduit, dans une longue phrase, une phrase secondaire (p20). Si le style de Flaubert émerveille Marcel Proust, ce dernier n'en demeure pas moins adextre pour le souligner. Ainsi, en bon pisteur, il fixe son attention sur un adverbe dont la localisation achève une des nouvelles de Flaubert, Hérodias. En effet, dans la toute dernière phrase du conte, Flaubert se sert d'un adverbe pour mesurer la lourdeur de la tête décapitée de saint Jean posée sur un plateau: " Comme elle était lourde, ils la portaient alternativement." (p23). Effectivement, l'adverbe "alternativement", tout en alourdissant le mot "lourde", transmet au lecteur, une charge aussi symbolique que la croix du Christ. L'adverbe est un moyen pour Flaubert de solidifier son texte par réaction contre une littérature trop légère. Le poids de la tête décapitée c'est le sérieux de l'existence transmis au lecteur. Notons ici que Proust relève comme Willa Cather dans la nièce de Flaubert, cette fameuse et dernière phrase d'Hérodias dont on pourra dire désormais qu'elle est une phrases type dont on pourra se servir pour évoquer la mort du saint. Si l'on veut s'attarder un peu sur la question, et comprendre pourquoi une telle phrase interpelle autant, il faut, je crois, noter la solidité stylistique de l'auteur. Flaubert, use du mot "lourde" pour souligner efficacement le sentiment de mort évoqué par la décollation du Baptiste. La tête du saint est ce point final qui conclut le texte d'Hérodias dont la loi gravitationnelle suggéré par sa lourdeur, évoque le mot "tomber" où le mot "tombe" est insinué inconsciemment pour évoquer la fin de vie.
Il est sûr, du moins, comme avec Balzac, que le style de Flaubert a la vertu d'illumination des choses inconsciemment produites en nous par les événements qui nous touchent de près comme de loin. Si ce n'est que Nerval, Stendhal, Hugo et Chateaubriand viennent également fournir matière à réflexion sur la condition humaine, on peut aisément affirmer que l'esprit français est bien redoutable. Cette perception juste du monde, procède d'une interprétation calibrée par l'esprit puis traduite par la langue dont le style saura manifester admirablement. Le seul style de Proust est d'ailleurs plus que mirifique, en effet il harmonise judicieusement des rapports interprétatifs singulièrement échafaudés que seul un lecteur chevronné pourra savourer. Si Proust daigne, avec son propre style, démêler celui de Flaubert, la seule élégance de la langue française va rehausser le tout pour constituer une gnose linguistique aussi pertinente que celle de Baudelaire. Il est sûr, que ce triptyque ainsi constitué matérialise un phénomène littéraire assez exceptionnel dont la pensée française pourra se targuer d'avoir alignée.
Antoine Carlier Montanari