Génération Sacrifiée (10)
Ils exercent leurs mots sans ne rien dire, et , devant des étagères de DVD et de figurines, ajoutent sentence sur sentence tout en s'érigeant en consommateur averti. Cette armée de réserve constitue d'avantage un relais zélé du Capital et fourni au spectacle un moyen gratuit et efficace pour promouvoir ses produits. Ce qu'il faut bien comprendre, l'analyse n'a aucune importance, qu'elle soit positive comme négative, ce qui est recherché est l'action verbale, plus la dynamique est effervescente plus le désir est suscité. Au fond, les critiques les plus mauvaises ne font qu'exciter la curiosité.
Ainsi une multitude de théories s'empilent les unes aux autres sans pour autant transmettre la moindre analyse pertinente sur le rôle joué par le spectacle dans cette affaire là. La prêche quoique parfois bien construite, n'en demeure pas moins affectée d'une forme d'immaturité tant les partis pris empêchent bien une analyse rigoureuse et pertinente du film. Le véritable profit se fait en vérité autour du produit dérivé prêt à être exposé sur un meuble comme un objet de culte. Ce simulacre est en réalité un trompe l’œil de la vérité, c'est en quelque sorte un piège à con qui projette, grâce à l'imagination, autant de fantasmes que possible. Il s'agit en réalité de rêver la vie en la remplissant d'une multitude de simulacres dont les figurines représenteront des idoles à aimer. Cette nouvelle religion qui ne dit pas son nom obsède véritablement les esprits et les cœurs au point de détrôner toute autre valeur sérieuse. À dire vrai tous ces héros et tous ces personnages, au milieu des effets numériques, sont passionnément aimé comme pourrait l'être une très belle femme. De là, on pourrait trouver désespérant qu'autant d'énergie soit dispensé pour cette matière là. Cyrano disposa de son plus grand talent, pour l'amour de la belle Roxane, de même, Napoléon coucha sur papier ses plus beaux mots pour la délicieuse Joséphine. Nul doute que ces penchants en prose valent mieux que toute ces dissertations orales dont la production empiète un peu trop sur les choses bien plus essentielles.
Le narcissisme d'Hollywood voit là un moyen supplémentaire de s'étendre. Ces jeunes hommes, beaucoup plus adolescent qu'adulte, inoffensifs mais puérils, affectent la conscience sociale au profit de la conscience du loisir. Ces masses ne produiront malheureusement aucune réflexion importante sur la condition humaine. Elles produiront tout au plus des opinions qui ne seront que le fruit de l'imagination. À cela, il faudra compter sur un langage ordinaire dont le vocabulaire formera des truismes conduisant bien souvent à des galimatias dont la seule utilité est de cloîtrer le fan dans une caisse de résonance. L'absence manifeste d'une puissance analytique destinée à la réflexion et à la méditation et qui aurait principalement pour but d'aiguiser la conscience morale et politique à travers un esprit critique digne des périodes révolutionnaires, et qui ont mis en marche le progrès social, développe en réalité sa propre caverne de Platon. Si vous tenez pour exemple l'épisode 8 de la saga Star Wars, qu'il mérite l'approbation ou le blâme, sa seule existence n'est dû qu'à l'immense somme que les producteurs vont pouvoir se mettre dans leur poche. La myriade de commentaires ne fait qu'accroître le pouvoir publicitaire d'un produit culturel. Dès le départ, la chose était entendu par Georges Lucas lui-même. La question comptable a toujours motivé les inclinations artistiques et les choix scénaristiques, quant à l'opinion du public la chose était acquise depuis que le marché lui a offert tout un tas de simulacres en plastique à collectionner. Le but étant non pas d'élever le niveau culturel mais bel et bien la masse culturelle. Plus celle-ci est abondante plus elle envahi les esprits, et plus elle impose son rythme sous qualitatif à la société. On ne peut hélas considérer les motifs sérieux sans échapper à la puissance financière qui alimente toute cette production. Il est évident que la mise en œuvre d'un opéra par Puccini, des fresques de la Chapelle Sixtine par Michel-Ange ou de La recherche du temps perdu par Marcel Proust n'ont pas été motivés par une quelconque entreprise commerciale. Cette différence est fondamentale, le Capital aurait certainement corrompu ces œuvres s'il avait pu donner son mot.
C'est pourquoi la seule conclusion à notre affaire n'est jamais faite par ceux-là même qui s'autorisent a donner leur avis dont tout le monde se fiche car de toutes les manières chacun obéi à son propre avis qu'il estime être bien au dessus des autres. Cette triangulation mimétique où le modèle du désir est le critique devant sa webcam, l'objet du désir étant le film et le consommateur celui qui désire, ne fait qu'ajouter du vide au vide qui circule. A dire vrai, le petit écran comme le grand sont des fonds d'écran qui masquent le réel. Dans ces conditions la lecture de La société du spectacle de Guy Debord est à lire d'urgence!
Antoine Carlier Montanari