Le Dessous Des Toiles : Le Lyrisme Dans La Forêt (Alphonse Osbert)
Il faut penser la structure de cette oeuvre un peu comme celle du poème Voyelles de Rimbaud. L'auteur d'Une saison en enfer, a agencé son poème autour d'une subtile articulation qui découpe en réalité le mot Voyelles, en deux mots, vois et elle. Chacune des voyelles de ce poème est une image d'une partie du corps de la femme, de la femme "coitus" soit de la femme lascive.
Ainsi, Alphonse Osbert a discrètement dessiné la sensualité féminine derrière le charme lyrique de la forêt. En effet, l'étang, puissante manifestation de la vie, entouré d'un bois touffus, sous entend cette partie dissimulée et non moins coupable de la femme dont la parure conserve avec soin son honneur . Outre que la forêt est le sanctuaire du mystère et de la solitude, elle est aussi la forêt vierge que les explorateurs rêvent de découvrir. L'homme qui y pénètre forme donc l'allégorie de la volupté. Dans le conte de la belle au bois dormant, l'adjectif dormant sous entend que le bois est inactif, innocent, qu'il est chaste, que la belle est donc vertueuse et pure. Quand le prince se fraie un chemin dans la forêt de ronces pour la rejoindre, coupant avec son épée les épaisses broussailles, il est par cette épée l'image piquante qui ouvre pour la première fois les portes de ce temple au péristyle étroit . Cette défloration constitue avec le baiser du prince cette perte de la virginité à venir de la belle qui dort encore. De là, sur notre pastel, l'ouverture qui s'ouvre sur la chaîne de montagne et le ciel étoilé constitue le col voluptueux mais tout aussi délicieux de Vénus. L'étang, ombrage non moins délicat, qui est le siège de la vie est ici alimenté par une petite rivière qui provient du dehors, c'est ici que s'exerce la perfide volupté. Les deux femmes, accolées aux arbres forment en quelque sorte les prémices du plaisir. On peut insister ici sur le linge blanc qui habille les trois demoiselles. Tout comme le lys blanc entre les mains de l'ange Gabriel, qui, dans la célèbre toile de Léonard de Vinci, annonce à la Vierge qu'elle mettra au monde le messie, symbolise la pureté et la virginité. Alphonse Osbert n'est pas si éloigné du sujet, son Christ solitaire et surtout sa vision de Sainte Geneviève où son rôle dans la défense de Paris face aux invasions des Huns, est un écho de la chasteté dont l'agression hunnique évoque le viol, sont des miroirs d'une union non pas avec la chair mais avec le Ciel. Ces ravissantes muses au soleil couchant qui jouent de la lyre font vibrer le monde, n'ignorent pas que c'est le temps des noces cosmiques où le ciel étoilé forme la chambre nuptiale tandis que le ciel ensemence la terre. Sous les mains du maître, les muses ravissantes languissent près de l'eau dans laquelle bien entendu, le soleil encore vaillant, jette ses derniers feux. Aussi cet égrillard a infiniment de talent, il ne se contente pas d'enchanter la nature, parfois il ensanglante quelques entrailles boisées pour les remplir d'une douce chaleur. La floraison roussie, sur la droite, augure de l'automne et fruit de la fougue de cet éphèbe céleste, a jugé précieux ce libertinage divin. La muse qui s'enflamme au bord de l'eau et qui câline ses cordes comme une jeune pucelle ravie par l'amour, s'est, comme les arbres, dressée en conséquence.
Alphonse Osbert a donc, à sa manière, et comme Rimbaud, et en quelques mystères, couché sur papier une plaisante histoire sensuelle. L'artiste ne donne donc pas d'issu à cette charge érotique, il est certainement plus louable de résoudre invisiblement la tension sensuelle dans l'évocation subtile du lyrisme de la nature. Il est peut-être vrai qu'ainsi, beaucoup d'hommes pourront sublimer leurs forces instinctives naturelles. Cette suggestion de l'artiste métamorphose la libido pour devenir une essence libératoire et spirituelle. Un tel processus psychique oriente le regard vers une fin beaucoup plus noble que celle qui se dévoile entièrement. Indubitablement le spectateur se projette agréablement dans ce jardin des délices sans avoir à en rougir. Ainsi le choix du pastel est judicieux. Dans cette affaire là, le maître a essentiellement crayonné la surface verticalement afin d'absorber la vision terre à terre ou matérialiste. Il déploie et assume une palette éthérée, légère et transparente, presque vaporeuse, qui, pour ma part, constitue un stratagème poétique afin de noyer sa duperie. Quoi qu'il en soit, il a idéalisé la femme et exilé volontairement l'image lubrique et pervertie, presque exutoire pour l'homme. Si le pastel, ici, double admirablement l'antique siècle, elle attise constamment la douceur de vivre et l'idée du paradis perdu ou du séjour céleste.
Antoine Carlier Montanari