Un Livre Que J'ai Lu (25) : Tempéraments Philosophiques (Peter Sloterdijk)
Pour lire du Peter Sloterdijk il faut assurément être correctement équipé intellectuellement, l’auteur philosophe ne badine pas avec les expérimentations verbales et les équations intellectuelles. Il y a chez lui une redoutable construction phraséologique avec des sentences particulièrement bien échafaudées, proches, dans leurs assemblages des expressions idiomatiques, dont la portée peut facilement échapper au commun des mortels. Ceci dit, le philosophe allemand manie la langue française avec la dextérité d’un jongleur, son voyage philosophique n’est ni scolastique ni didactique, son mode de pensée nous conduit dans un dédale de fragments intellectifs heureusement fragmentés en autant de chapitres qu’il y a de philosophes. Witold Gombrowicz s’était déjà adonné à l’exercice dans son livre cours de philosophie en six heures un quart, qui bénéficiera ultérieurement d’une fiche de lecture appropriée. C’est donc là que tout commence, avec Platon dont Nietzsche, dira de lui qu’il avait cette croyance chrétienne (p12). Pour l’auteur de l’antéchrist, et donc anti platonicien, la reformulation des lois morales est plus que souhaitable. S'il parodie le discours sur la montagne avec son Zarathoustra, c'est pour singer l'enseignement de l'homme sur la croix. Naturellement en survitaminant sa doctrine de type prométhéen, Nietzsche annonce une allégorie wagnérienne des mythes nordiques dont Siegfried sera le modèle du surhomme. Bien entendu, loin de ça, la synthèse universelle de Platon promet de partager la pleine lucidité du ciel (p24). La recherche de la paix de l’âme (p17) est son credo, le concept vise à éveiller le sens, en réalité Platon préfigure toute la philosophie monothéiste du pourquoi du monde. De là, Aristote va inaugurer l’ère du concept, il sera le philosophe-buste dont l’intellect va produire une alchimie scolastique particulièrement féconde, surtout dans les grandes écoles européennes du savoir (p34). Augustin, le troisième chapitre, sera le philosophe de la séparation divine bien comprise. Augustin met en évidence le corpus satanique qui régit le monde tel que l’entendait le Christ. La trace du péché originel, comme l’entendait Baudelaire, est ici approfondie afin de souligner l’immense grâce de Dieu qui agit malgré tout. Bruno n’en tiendra pas compte, son agenda panthéiste fera de lui le héros romain des lumières. Ce dominicain retourné annonce déjà la rhétorique nietzschéenne. La méthode de Descartes effacera pour un temps les facéties de l’italien, le français est quant à lui beaucoup plus raisonnable. A l’évidence c’est la première intelligence de type « artificielle » qui sévit au grand jour. L’impulsion Descartes est un moteur de recherche métaphysique qui pense la précision comme une religion. De même, Pascal, l’autre français, professera la cohérence et la logique, c’est l’école de l’équation du vivant. Pour Nietzsche, il est comme cet homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci. Leibniz est le septième philosophe, dans l’ordre des chapitres, selon lui, Dieu seul résout la question du sens universel. C’est la poutre porteuse universelle dont Kant veut s’émanciper. L’esprit civil du philosophe allemand est quelque peu critique, très critique, l’idée de la créature placée sous l’autorité de Dieu est à substituer à l’idée de l’homme cosmos où la réalisation du royaume de la raison est sa grande vocation. Ainsi, pour Kant, le paternalisme de Dieu est insupportable (p75), l’homme doit être absolument souverain de lui-même et en lui-même. Pour Fichte, l’aliénation marxienne est la tenue vestimentaire du monde dont le bourgeois est le pardessus mortifère. C’est le règne de la marchandise, la mort est donc au pouvoir (p81) et elle se maintient en vie avec une extrême vigueur. C’est la grande illusion du marché dont Marx aura vite fait d’en établir les bases. Et de là le monstrueux Hegel va rafler tout l’or de monde, le souvenir est son maître mot dont la racine deviendra une école d’archivage pour tous les individus en quête d’infini. On passera sur Schelling et son accouchement de la conscience ainsi que sur Schopenhauer et sa vision comportementale de l’esprit. Kierkegaard est le croyant pur, à vide, l’expression de la vérité sans le cadre dogmatique. Marx et Nietzsche, ensuite, séviront de modèle antichrétien pour un socialisme monolithique. Ces deux géants de la radicalité ont soustrait la foi aux hommes, et avec eux, le Christ est mort deux fois. Toutefois, pour Nietzsche, comme pour Socrate, la frivolité de l'esprit n'a pas de place. Le sérieux existentiel a déserté les consciences et Nietzsche reproche l'immaturité des adultes. Un article du Figaro économique, daté du 16 mai 2018, traite de cette adulescence avec un titre plutôt ironique où l'on apprend que selon le cabinet d'études NPD, un jouet sur dix achetés en 2017 était destiné à un adulte, soit 11% du chiffre d'affaires total du secteur. L'adulte replonge dans l'enfance, commente un spécialiste des jouets chez NPD. Sous ce code de l'esthétique (p124), Nietzsche découvre un stéréotype psychologique qui tourne à vide. L'autodiscipline et l'auto-éducation doivent être des moteurs décisifs pour régler les problèmes qui s'annoncent à l'humanité (p128). Pour Nietzsche il faut reformuler l'esprit des lois morales comme il le fut au temps de la révolution française. C'est la synthèse nietzschéenne pour l'homo sapiens. A la suite, la phénoménologie de Husserl ne viendra rien changer, Wittgenstein et ses écrits épistolaires et sa philosophie du langage non plus. Le livre s’achèvera sur ce qui a de plus pourri dans l’esprit français, Sartre et Foucault. Le premier a jeté l’âme aux ordures, on l’a adulé pour ça et on l’adulera encore, c’est le noyau de la subjectivité narcissique enfermée dans la mode contemplative. Sartre est réellement le péché assumé, tout comme Foucault d’ailleurs dont le masque nietzschéen a intellectuellement aliéné.
Antoine Carlier Montanari