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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

08 Oct

Un Livre Que J'ai Lu (18) : Le Catéchisme (René Daumal)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu

 Ce catéchisme-là regroupe quatre petits textes, dont la guerre sainte, qui, pour ma part, demeure une ode toute aussi lucide sur la guerre que celles de Jünger (1). Cette guerre, la guerre orale, verbale, est à elle seule une chambre à combustion aussi vieille que la trahison. La paix, selon René Daumal, c’est accuser les autres (p30), aussi l’auteur avant d'accuser les autres aura écrit pas moins de 32 fois le mot "guerre" dans un texte qui fait une dizaine de pages. Au-delà, si la mort est le fruit de la guerre, pour Daumal, puisqu’il est athée d’éducation, vivre dans l’angoisse du néant, est insupportable. Il veut donc expérimenter la mort, à sa manière, certainement plus douce que celle de l’arrêt cardiaque. Le tétrachlorure de carbone va l’y aider, il entre éveillé dans l’état de sommeil (p34). C’est peu dire, l’expérience est à éviter, Daumal va jouer avec le feu, du moins avec les braises. La syncope est là, il garde raison, il est entré dans un autre monde, un brasier ardent de réalité, dit-il à la page 37. Cette trajectoire asymptotique, qui jamais ne parvient à franchir la ligne du « plus rien du tout », lui révèle cependant bien des choses dont la certitude de l’existence d’un au-delà (p38). Ce n’est pas rien du tout, si les athées avaient la même curiosité et la même honnêteté intellectuelle, il se pourrait que le monde soit un peu moins matérialiste qu’il ne l’est. Daumal est donc dur avec eux, ils sont des individus limités qui n’ont même pas essayé de regarder l’infini par le trou d’une serrure (p53). Du coup, à la suite de ses expériences, Daumal va lire les confessions des grands mystiques jusqu’aux visions d’Ezéchiel et de saint Jean, il s’attardera également sur le livre des morts tibétain. Pour finir, dans sa dernière nouvelle, Les dernières paroles du poète, René Daumal raconte les derniers instants d’un  condamné à mort. Pour René Daumal, la mort est effectivement le sujet des sujets, il rejoint là le sermon sur la mort de Bossuet qui disait que la mort était la seule grande affaire. En sachant qu'il a fait la connaissance, durant ses études au lycée Henri-IV, de la futur philosophe Simone Weil, on peut alors s'imaginer les brillantes discussions qui furent les leurs sur cette question. 

 Si René Daumal cherche à passer outre tombe sans dommage définitif sur son être, il va user comme on l'a vu du tétrachlorure de carbone, qui dit-il, est de la même série que le chloroforme. La solution a son problème sert d'ordinaire à tuer les coléoptères qu'il collectionne. Un article du monde, daté du 30 novembre 2018, traite de la fin de vie et de la sédation profonde. Le journaliste, François Béguin, explique que la sédation profonde consiste à faire dormir le patient avant de mourir pour ne pas qu'il souffre. En effet certaines souffrances insupportables provoquées par une affection grave et incurable, mettent le malade et sa famille dans une situation difficile dont la gouvernement, en 2016, avait pris acte en promulguant une loi en faveur justement des malades et des personnes en fin de vie. Ceci dit, les soignants soulignent l’ambiguïté de la loi en question, la loi Claeys-Leonnetti. La frontière entre l'euthanasie et la sédation profonde n'est pas si visible que cela, il se peut que le patient, à défaut d'obtenir le droit de mourir médicamenté, obtienne, à travers la sédation profonde, le même résultat. Pour les services hospitaliers concernés, la sédation profonde étant irréversible, elle n'est pas forcément la réponse la plus favorable pour accompagner le patient en fin de vie. Le malaise occasionné par la question révèle en réalité une situation morale impossible qui tenaille une partie du personnel soignant dont la fonction est avant tout de préserver la vie.

 Au regard de la mort, à vrai dire, l'état républicain étant laïc par essence, n'a donc pas d'autorité spirituelle pour une question qui tient plus de l'immatériel et du surnaturel que du temporel. La mort est comme le dit l'organisme officiel sur la question, le CNSPFV, le centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, n'est pas le début d'une autre vie ou même la continuité de la vie présente mais bel et bien la fin de la vie. Simple question de cohérence, quand en 1905 la loi de séparation des églises et de l'état est voté, ce même état écarte officiellement le sixième commandement à propos du meurtre. Aussi ce type d'état n'est pas le mieux placé pour parler ni légiférer sur la mort quand on estime que 84% de la population mondiale est religieuse (2).  

 La question est donc épineuse, nous allons donc l'aborder en évoquant quelques ouvrages référentiels dont les lectures offriront des clés de compréhension suffisamment lumineuses ou tout du moins bénéfiques pour apaiser les angoisses naturelles que provoquent le mot. Tous les ouvrages cités bénéficieront, à la suite, d'une fiche de lecture détaillée.

 Outre le fameux "Ivre et mort" de Gustave Flaubert, les "Cinq méditations sur la mort" de l'académicien François Cheng,  est un ouvrage qui nous fait conscientiser non pas la mort mais l'idée que nous nous en faisons. L'auteur, François Cheng, d'origine chinoise, cite alors le père du Taoïsme, Lao-zi, "Ce qui est provient de ce qui n'est pas, et ce qui n'est pas contient ce qui est.". La formule remet en perspective le fameux néant à l'origine de tout, autrement dit si le tout est dans le rien, on peut concevoir que le rien a en germe le tout. Aussi la vaste nuit qui accueille Virgile et Dante sortant des enfers, peut-être cette image du rien dont les étoiles sont le tout en devenir. La béatitude qui attend alors Dante est cet arrière monde que l'âme, sur terre, saisit par l'intuition. Pour les athées le rien est cette condition finale et inévitable mais pour le religieux ce rien est la présence invisible même de Dieu. L'énigme, nous dit François Cheng, est en quelque sorte résolu . En effet, l'académicien évoque celui qui a été cloué sur la croix il y a maintenant près de 2000 ans. Avec lui, dit-il,

 la mort n'est plus seulement la preuve de l'absolu de la vie mais celle de l'absolu de l'amour... Oui, avec lui, la mort s'est transformée en vraie naissance. Et cela s'est passé sur notre terre, à un moment crucial de notre histoire humaine. Personne n'est allé aussi loin. Quelle que soit la conviction de chacun, on peut admettre ce fait christique comme l'un des plus haut qui soient venus bouleverser notre conscience.

 

 Tout naturellement l'ouvrage de Bossuet, "Sermon sur la mort", aborde la question du détachement total dont doit faire preuve l'âme pour quitter honorablement la vie ici-bas. La séparation avec les choses matérielles est essentielle afin que l'âme, quand la mort frappe à la porte, soit véritablement prête à quitter le monde. La mort c'est la seule affaire à laquelle toutes les autres affaires doivent céder, nous dit Bossuet. Il faut donc régler la volonté sur  le salut de l'âme, la nécessité de l'éternité doit nous faire songer qu'ici bas le temps est court pour se préparer. Il est donc juste de préférer le sérieux de l'existence plutôt que les frivolités que la société offre. Toutefois cette rationalité de base est étrangère à celle des athées. La rationalité de ces derniers s'établit sur un postulat simple, l'idée du paradis est réduite à la seule réalité visible, c'est pourquoi le but de l'existence est de faire en sorte de rendre la vie paradisiaque. La téléologie, pour l'athée est donc ramené à la nature en tant que nature, dans la mesure où cette nature se distingue concrètement et qui n'a de sens que son observation objective. C'est donc en elle, en la nature qu'il existe une finalité, la nature révèle être la fin en soi et la fin de toutes choses. Il n'y a pas besoin, pour l'athée, d'autre chose que la nature, la raison lui ordonne que la nature est la seule chose révélé. La révélation divine est pour lui une révélation subjective, voire abstraite et qui est beaucoup trop dépendante aux imperfections humaines. Mais pour autant, il faudra rappeler à l'athée, qu'on a jamais vu aucun athée être aussi inspiré moralement et humainement que Moïse et Jésus sur leur montagne.

Si donc pour l'athée la vie paradisiaque se vit ici et maintenant, il n'y a donc pas de sens à l'existence puisque suivant leur définition, la vie conduit inévitablement au néant. Pour l'athée il n'existe donc aucune promesse de la victoire du bien sur le mal. Pour eux, la jouissance est cette fin dernière, éblouissante et illusoire à la fois. La fable ne nous dit-elle pas, à ce propos, que la cigale fut bien malheureuse quand la bise fut venue?

 Si la morale de cette histoire condamne le comportement écervelé de la cigale face à celui méritant de la fourmi, il n'en sera pas autrement avec l'ouvrage de Thomas More sur les fins dernières. Le théologien et homme politique anglais du temps d'Henri VIII, prévient l'âme que ses actes ont une incidence certaine sur son devenir après la mort. Le chanoine qui est également juriste, historien et philosophe dans l’Angleterre du XVIème siècle, à travers ce traité, "Mise en garde avant l'enfer" prévient de l'oeuvre du malin dans la vie ici bas. Il condamne ces plaisirs inférieurs qui ne sont que des contrefaçons du plaisir supérieur. Aussi, si l'auteur place au dessus de tout le Christ, c'est pour mieux identifier les trois ennemis mortels de l'âme, à savoir, le diable, le monde et notre propre chair. Ainsi, en exemple du Christ sur la croix, la souffrance n'est pas forcément un mal inutile. A la manière, par exemple, de l'alpiniste qui gravit sa montagne dans la tempête et le froid, la souffrance fait rejaillir sur l'âme l'espérance d'un plaisir spirituel bien grand. L'âme s’aguerrit alors et ne voit dans la peine et la difficulté que des moyens d'élévation spirituels. Si Thomas More s'attarde quelques peu sur les conclusions horribles qu’entraîne certains attachements excessifs au monde, il souligne justement, tout comme Nietzsche à Criton dans son Gai Savoir, que toute notre vie est une maladie dont on ne guérit jamais, ceci étant dit, pour Socrate, la mort seule est un médecin (3). Si donc finalement Thomas More préconise d'extirper du fond de notre cœur les racines gangrenées par le péché, il affirme également que la mort mettra un terme à la fois aux souffrances et aux plaisirs, et donc comme la félicité ne s'acquiert que par la mortification, il ajoute en toute logique, 

Il faudrait être bien fou pour ne pas souhaiter souffrir un peu afin de gagner le plaisir éternel, plutôt que prendre un bref plaisir afin de gagner des souffrances éternelles.

 

 Pour finir, l'ouvrage de la psychanalyste Françoise Dolto, servira de guide psychologique. En effet "Parler de la mort" est un tout petit livre qui aborde le phénomène d'une très belle manière. En effet l'auteur nous fait percevoir la vie et la mort notamment du point de vue de l'enfant. Si le garçon joue à faire mourir ses copains, la fille, quant à elle, joue à entretenir la vie en servant, à l'aide de sa dînette, le thé et les petits gâteaux à ses amis imaginaires, de plus invisibles, dont la matérialisation à travers son petit esprit, lui confirme que le monde des vivants est aussi spirituel. De ce point de vue là, l'enfant ne comprend la mort qu'à travers la vie qui finit. La formule est totalement rassurante pour l'enfant, il comprend ainsi qu'une chose laisse place à une autre, comme le dessert vient après l'entrée, le plat chaud et le fromage. La mort devient alors, comme le garçon qui tombe en faisant exprès de mourir, une étape comme une autre, puisqu'après être mort, il se relève et recommence à vivre. Instinctivement l'enfant ne croit pas que la mort soit la fin de toute chose, il développe inconsciemment l'idée d'immortalité. 

Antoine Carlier Montanari

 

 

(1) Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure, fiche de lecture 8

(2) Le Monde des religions,http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/84-de-la-population-mondiale-est-religieuse-18-01-2013-2925_118.php, Fabien Trécourt, 18-01-2013

(3) Pierre Hadot, Eloge de Socrate, p71

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