Un Livre Que J'ai Lu (17) : Le Philosophe Bon-Bon, Le Cottage Landor (Edgar Allan Poe)
Quand on parle d’Edgar Allan Poe, Baudelaire n’est jamais loin, du moins, dans cette histoire-là, l’auteur des Fleurs du mal a toujours été le mieux placé pour traduire l’auteur des Nouvelles histoires extraordinaires. Le poète français, dont le buste trône impérialement dans le jardin du Luxembourg, face au lycée Montaigne, a la fine bouche, tout comme Poe, pour parler du vin. C’est donc en buvant du champagne, du chambertin et du sauternes que le diable et le philosophe dissertent. Dans cette courte nouvelle, vraiment très courte, Poe met en scène un diable très catholique, dont le chapeau, d’une hauteur remarquable, rappelle étrangement celui que porte le Dracula de Coppola. Sa Majesté, comme est surnommé le diable, fut intime d’Aristote et de Platon, et fut, selon ses dires, Épicure lui-même. Et donc Épicure engendra, entre autres, le célèbre marquis de Sade. On est donc en bonne compagnie, le bon philosophe qui se démène tant bien que mal avec son aristocrate de démon, qui n'avait d’yeux que pour l’âme et non pour voir, au sens d’un mortel, ne voyait pas, ce même philosophe, où le diable le menait. Tout naturellement, Si Edgar Poe affiche un diable embourgeoisé, qui par ailleurs et par clin d’œil rappellera celui de Nicolas Machiavel, c'est pour souligner le caractère intrinsèquement perverti de l'homme du monde. Indubitablement, l'auteur américain a ôté les yeux de son diable comme pour magnifier cette sentence de Jérémie, ils ont des yeux et ne voient point (5-21). Mais ici, Edgar Poe rivalise d'absurdité, si son diable n'a pas d'yeux, il voit pourtant mieux sans eux! Ainsi voit-il mieux dans le noir là où le bon philosophe n'y voit rien.
Si Edgar Allan Poe nous conte une histoire bien ficelée, la seconde, dont on pourra tirer avantage si l’on veut être peintre par les mots, est délicieusement narrée. En effet, la ruralité est au cœur de la description, les arrangements de l’homme s’accordent tout naturellement avec les combinaisons de la nature. D’une manière critique, au regard des grandes cités urbaines et des plateaux bétonnés qui sillonnent les landes et les campagnes, doué bien sûr d’un regard plus que délicat, à la manière, peut-être d’un Monet sans sa cataracte, le paysage décrit par Poe est impeccablement dessiné et qui sans doute pourra rappeler quelques une des œuvres de John Constable. En effet, Paysage avec cottages, peint en 1809, année par ailleurs qui a vu naître Poe, pourrait judicieusement illustrer cette nouvelle. La charrette de foin, également, peinte en 1821, aurait aussi son mot à dire. Poe trace donc, en longueurs, en largeurs, en yards, les espaces naturels et les irrégularités formelles dont la nature a le secret et qui, avec précision, élargissent ou rétrécissent les vallons et les forêts, les plans d’eau et les collines et que sais-je encore qui ressemble de près comme de loin à des parcelles de terre, de granit ou de fleuraison. Et c’est au cœur de cela, que l’auteur, nous mène tranquillement à cette bâtisse de pierre et de bois qui se nomme Landor. Trois daims, non trop loin, erraient dans la vallée où un liriodendron tulipiferum à triple tronc, était, sans aucun doute, pour l'auteur, l'arbre le plus magnifique (p38). Ce tulipier, formé de trois tiges jointes au buste à trois pieds environ du sol, rappelait certainement cette croix du Christ que rien n'égalait en gloire. Si Dieu fit un tel arbre, l'homme également, avec soin et élégance éleva une bâtisse toute aussi glorieuse. Aussi, cette beauté, quoi qu’artificielle, enfermait en elle une autre bien naturelle dont le charme eut inscrit, dans le regard du narrateur, tout ce que la féminité avait de plus précieux. Edgar Poe, en homme poli, pour conclure, tisse alors une métaphore toute aussi précieuse de la femme dans cette chambre soigneusement décorée où le foyer de la cheminée est étrangement garni.
Antoine Carlier Montanari